vu que les cerfs ayent été tués d’un feul coup.'
Salnove ne dit rien de pofitif fur la longue vie des
• cerfs ; voici comme il s’explique.
Salnove ne doute pas que la nature enfeigne aux
cerfs les fimples pour les guérir lorfqu’ils font malades
; le cerf peut vivre long-tems {ans accident, il
s’en trouve peu de mort $ mais d’en favoir l’âge, cela
ne fe peut, ou bien de connoître s’il eft jeune ce r f,
ou cerf dix cors ou vieux cerf.
M. de Selincourt ne dit rien dans fon parfait chaf-
feur fur la longueur de la vie des cerfs.
Il Æ pas aifé de décider de la durée de la vie
des cerfs. Les Naturaliftes font partagés à cet égard.
Quelques-uns prétendent qu’ils peuvent vivre deux
cens ans. L’auteur du livre ait : « Pour moi, fans en-
» trer dans aucune difcuffion à ce fujet, mon fenti-
» ment eft que les cerfs ne peuvent vivre plus de
» quarante ans ». Il feroit aifé d’en faire l’expérience
, en mettant dans un parc un jeune cerf avec quelques
biches , ils y tiendroient le ru t , 8c il faudroit
en retirer les faons qui en proviendroient, de peur
qu’ils ne fe battiffent entr’eux, 8c qu’à la fin ils ne
tuaflént le vieux cerf. Nouveau traité de vénerie i j ô o ,
P• 140.
Le poëme des dons des enfans de Latone ne dit
rien fur la vie des cerfs.
Dans l’école de la chaffe de M. le Verrier de la
Contrie, I.part, au chap. j. de la chaffe du cerf tp.8o.
l’auteur cite Phoebus, qui fixe la durée de fa vie à
cent ans, il le réfute , en difant que les meilleurs naturaliftes
ne donnent aux cerfs que quarante ou cinquante
ans de v ie , 8c non cent. Il eft toujours confiant
qu’il eft de longue vie , quoique fujet à deux
grandes incommodités, ce que l’auteur a remarqué
dans deux qu’il a élevés : la première eft une rétention
d’urine ; la fécondé, eft une démangeaifon vive
8c douloureufe, caufée par de gros vers blancs, appelles
taons , qui s’engendrent & proviennent pendant
l’hiver de la mauvaife nourriture, dont il eft
obligé de faire fon viandis ; comme la nature pouffe
àu-dehors tout ce qui lui eft contraire, ces vers cheminent
entre cuir 8c chair pour trouver par où fortir:
lés tins vont le'long du dos, les autres le long du cou,
mais ne pouvant pafferoutre les oreilles,ils defcendent
fous la gorge, où ils s’amaffent & y féjournent jufqu’à
ce qu’ils ayent tous pu fortir par la bouche 8c les narines.
Quand on vient à lever la tête d’un cerfpris dans
cette faifon, on en trouve quelquefois dans le gavion
gros comme les deux poings ; ces fortes de vers affoi-
bliffent 8c font maigrir extraordinairement les cerfs,
mais ils fe guériffent de cette maladie aux mois de
Mars 8c d’Avril ; en Mars , en mangeant le bouton
qui précédé le nouveau bois, 8c le bourgeon des arbres
fruitiers ; en Avril, avec le nouveau bois même,
les blcs verds , 8c autres herbes tendres & nouvelles.
Quant à leur rétention d’urine, ils s’en guériffent
fingulierement : ils tuent à coups de pié un crapeau
ou une vipere, la mangent, 8c fe mettent enfuite à
courir de toutes leurs forces, puis fe jettent à l’eau ;
ceci n’eft point un conte fait à loifir ( c’eft toujours
l’auteur de l’école de la chaffe qui parle), j’en ai la
preuve de mes yeux : Ifidore eft de plus mon garant,
& nombre de perfonnes qui, en ouvrant des cerfs,
ont trouvé dans leur panfe de ces fortes de reptiles.
Le cerf s’épuife fi fort pendant le ru t , qu’il refte
tout l’hiver dans un état de langueur ; fa chair eft
même alors fi dénuée de bonne fubftance, 8c fon fang
fi fort appauvri , qu’il s’engendre des vers fous fa
peau, lefquels augmentent encore fa mifere, &ne
tombent qu’au printems lorfqu’il a repris, poiir ainfi
dire, une nouvelle vie par la nourriture aérive que
lui fourniffent les produirions nouvelles de la terre.
-Toute fa vie fe paffe donc dans des alternatiyes
de plénitude & d’inanition, d’embonpoint & de maigreur
, de fanté , pour ainfi dire , & d e maladie, fans
que ces oppofitions fi marquées 8c cet état toujours-
exceffif altèrent fa conftitution, il vit aulïï long-tems'
que les autres animaux qui ne font pas fujets à ces
viciffitudes. Comme il eft cinq à fix ans à croître, il
vit auffi fept fois cinq ou fix ans, c’eft-à-dire trente-
cinq ou quarante ans («). Ce que l’on a débité fur
la longue vie des cerfs, n’eft appuyé fur aucun fondement
; ce n’eft qu’un préjugé populaire qui régnoit
dès le tems d’Ariftote, 8c ce philolbphe dit avec rai-
fon que cela ne lui paroît pas vràiffemblable , attendu
que le tems de la geftation & celui de l ’accroiffe-
ment du jeune cerf n’indiquent rien moins qu’une
très-longue vie. Cependant, malgré cette autorité ,
qui feule auroit dû fuffire pour détruire ce préjugé,
il s’eft renouvelle dans des fiecles d’ignorance par
le cerf qui fut pris par Charles VI. dans la forêt de
Senlis qui portoit un collier , fur lequel étoit écrit,
Cce far hoc me donavit, 8c l’on a mieux aimé fuppofer
mille ans de vie à cet animal 8c faire donner ce collier
par un empereur romain, que de convenir que
ce cerf pouvoit venir d’Allemagne où les empereurs
ont dans tous les tems pris le nom de Ccefar.
Il eft très-certain que ce cerf a été repréfenté dans
la falle du préfidial à Senlis ; j’ai été pour l’y v o ir ,
mais il n’y étoit plus, l’infcription étoit encore fur
la muraille , 8c je l’ai tranfcrite mot à mot, comme
la v o ic i, dans l’année 1756 , le 30 Juin, en allant à
Compiegrie. « En l’an, &c. effacé, le roi Charles VI.
» chaffant dans laforeft de Hallatte prit le cerf dont
» vous voyez la figure, portant un collier d’o r , où
» étoit écrit, hoc me CoeJ'ar donavit, de ce lieu en
» l’endroit où il fut relancé ».
La tête des cerfs va tous les ans en augmentant
en groffeur & en hauteur depuis la fécondé année de
leur vie jufqu’à la huitième ; elle fe foutient toujours
belle, 8c à-peu-près la même pendant toute la vigueur
de l’âge ; mais lorfqu’ils deviennent v ieu x,
leur tête décline auffi. Il eft rare que nos cerfs portent
plus de vingt ou vingt-deux andouillers lors-
même que leur tête eft la plus belle ( depuis qua-
rante-fix ans qué je fuis dans les chaffes du cerf, je
n’en ai vu qu’un à Fontainebleau qui en portoit vingt-
fix, attaqué à Maffory, 8c pris à la riviere dans le mois
de Juillet, il n’avoit pas touché au bois il y a 40 ans),
8c ce nombre n’eft rien moins que confiant ; car il
arrive fouvent que le même cerf aura dans une année
un certain nombre d’andouillers, & que l’année fui-
vante il en aura plus ou moins, félon qu’il aura eu plus
ou moins de nourriture & de repos ; 8c de même la
grandeur de la tête ou du bois du cerf dépend de la
quantité de nourriture, la qualité de ce même bois
dépend auffi de la différente qualité des nourritures ;
il eft comme le bois des forêts, grand, tendre , 8c
affez léger dans les pays humides 8c fertiles ; il eft au
contraire court, dur 8c pefant dans les pays fecs 8c
ftériles. Il en eft de même encore de la grandeur 8c
de la taille de ces animaux , elle eft fort différente,
félon les lieux qu’ils habitent : les cerfs de plaines,
de vallées ou de collines abondantes en grains ont
le corps beaucoup plus grand, 8c les jambes plus
hautes que les cerfs des montagnes feches, arides 8c
pierreules ; ceux-ci ont le corps bas, court & trapu,
ils ne peuvent courir auffi v îte , mais ils vont plus
long-tems que les premiers ; ils font plus méchans,
ils ont le poil plus long fur le maffacre , leur tête eft
ordinairement baffe & noire, à-peu-près comme un
arbre rabougri, dont l’écorce eft rembrunie, au-lieu
que la tête dès cerfs de plaine eft haute & d’une couleur
claire-rougeâtre , comme l’écorce des arbres
(a) Pour moi, fans entrer dans aucune difcuffion à ce fujet,
mon fentiment eft que les cerfs ne peuvent vivre plus dé quarante
ans* -Nouveau traité de la Vénérie, p. 141,
•qui croiffent en bon terrein. Les petits cerfs trapus
n’habitent guere les futayes, 8c fe tiennent prefque
toujours dans les taillis, où ils peuvent fe fouftraire
plus aifément à la pourfuite des chiens ; leur venai-
ibn eft plus fine, 8c leur chair eft de meilleur goût
que celle des cerfs de plaine. Le cerf.de Corfe paroît
être le plus petit de tous ces cerfs de montagne , il
n’a guere que la moitié de la hauteur des cerfs ordi-
dinaires, c’eft, pour ainfi dire, un baffet parmi les
cerfs; il a le pelage (ar) brun, le corps trapu, les
jambes courtes ; 8c ce qui m’a convaincu que la grandeur
8c la taille des cerfs en général dépendoit abfolu-
ment de la quantité 8c de la qualité de nourriture, c’eft
qu’en ayant fait élever un chez moi, 8c l’ayant nourri
largement pendant quatre ans, il étoit à cet âge beaucoup
plus haut, plus gros, plus étoffé que les plus
vieux cerfs de mes bois, qui cependant font de la
belle taille.
Le pelage le plus ordinaire pour les cerfs eft le
fauve ; cependant il fe trouve même en affez grand
nombre, des cerfs bruns, 8c d’autres qui font roux :
les cerfs blancs font bien rares. Mgr. le D u c , pere
de M. le prince de Condé, avoit dans fa ménagerie
à Chantilly, des cerfs blancs, il en a fait paffer dans
les forêts voifines, ils ont communiqué dans le tems
du rut avec les biches, il en eft forti des faons marqués
de blanc 8c de fauve, qui fe font élevés 8c répandus
dans les forêts des environs, il y en a eu un
dans la forêt de Montmorenci qui avoit la face 8c
les quatre piés blancs, il eft venu dans le tems du
rut aux environs de Verfailles à Faufferpaufe, il a
laiffé de fon efpeee , plufieurs faons en font venus
très-reffemblans ; ils fe font é levés, en ont fait d’autres
de leur efpeee, 8c fe font répandus dans les forêts
voifines ; à Scenart, à Saint-Leger, aux Alluets,
&c. Ce premier cerf à nez blanc eft venu à Faufferpaufe
pendant plus de fix à fept ans, toujours dans
la faifon du ru t, 8c il s’en retournoit, à la fin il a
difparu , mais il y en a encore de très-reffemblans,
il en eft entré un de fon efpeee mais bien plus blanc,
dans la forêt de Marly par une breche, celui-ci fera
des faons fauves & blancs, qui femblent être des cerfs
devenus domeftiques, mais très-anciennement ; car
Ariftote 8c Pline parlent des cerfs blancs, 8c il paroît
qu’ils n’étoient pas alors plus communs qu’ils ne
le font aujourd’hui. La couleur du bois comme la
couleur du p o il, femble dépendre en particulier de
l’âge 8c de la nature de l’animal, 8c en général de
l-’impreffion de l’air: les jeunes cerfs ont le bois plus
blanchâtre 8c moins teint que les vieux. Les cerfs
dont le pelage eft d’un fauve clair 8c délayé , ont
fpuvent la tête pâle 8c mal teinte ; ceux qui font du
fauve v if , l’ont ordinairement rouge ; & les bruns,
fur-tout ceux qui ont du poil noir fur le c o l, ont
auffi la tête noire. Il eft vrai qu’à l’intérieur le bois
de tous les cerfs eft à-peu-près également blanc,
mais ces bois different beaucoup les uns des autres
en folidité 8c par leur texture, plus ou moins ferrée;
il y en a qui font fort fpongieux & où même il fe
trouve des cavités affez grandes : cette différence
dans la texture fuffit pour qu’ils puiffent fe colorer
différemment, 8c il n’eft pas néceffaire d’avoir recours
à la feve des arbres pour produire cet effet ,
puifque nous voyons tous les jours l’ivoire le plus
blanc jaunir oii brunir à l’air , quoiqu’il foit d’une
matière bien plus compare 8c moins poreufe que
celle du bois.du cerf.
Le cerf paroît avoir l’oeil bon, l’odorat exquis,
8c l’oreille excellente ; lorfqu’il- veut écouter, il levé
la tête, dreffe les oreilles, 8c alprs il entend de
fort loin ; lorfqu’il-fort dans un petit taillis ou dans
quelqu’autre endroit à demi découvert, il s’arrête
'0*) Pelage, c’eft la couleur du poil du cerf, du dain , du
çhevreuil, ; ..
pour regarder de tous cotés, & cherche enfuite le
deffous duyent pour fentir s’il n’y a pas quelqu’un
qui puiffe l’inquiéten. Il eft d’un naturel affez fimple,
8c cependant il eft curieux 8c rufé ; lorfqu’on le fifle
ou qu’on l’appelle de loin, il s’arrête tout court 8c
regarde.fixement 8c avec une efpeee d’admiration,
les voitures, le bétail, les hommes, 8c s’ils n’ont ni
armes, ni chiens, il continue à marcher d’affurance
( y ) 8c paffe fon chemin fierement 8c fans fuir: il paroît
auffi écouter avec autant de tranquillité que de
plaifir , le chalumeau ou le flageolet des bergers ,
8c les veneurs fe fervent quelquefois de cet artifice
pour le raffurer, ce qui ne s’eft jamais pratiqué dans
la vénerie. En général, il craint bien moins l’homme
que les chiens , 8c ne prend de la défiance 8c de la
rufe , qu’à mefure 8c qu’auîant qu’il aura été inquiété
: il mange lentement, il choiiit fa nourriture ; 8c
lorfqu’il a viandé, il cherche à fe repofer pour ruminer
à. loifir, mais.il paroît que la rumination ne fe
fait pas avec autant de facilité que dans le boeuf ; ce
n’eft pour ainfi. dire, que par fecouffes que le cerf
peut faire remonter l’herbe contenue dans fon premier
éftomac. Cela vient de la longueur 8c de la di-
reérion du chemin qu’il faut que l’aliment parcoure :
le boeuf a le col court 8c droit, le cerf l’a long 8c
arqué ; il faut donc beaucoup plus d’effort pour faire
remonter L’aliment, 8c cet effort fe fait par une ef-
pece de hoquet, dont le mouvement fe marque au-
dehors 8c dure pendant tout le tems de la rumination.
Il a la voix d’autant plus forte, plus groffe & plus
tremblante, qu’il eft plus âgé ; la biche a la voix plus
foible 8c plus courte, elle ne rait pas d’amour, mais
de crainte : le cerf rait d’une maniéré effroyable
dans le tems du ru t, il eft alors fi tranfporté, qu’il
ne s’inquiète ni ne s’effraie de rien, on peut donc le
furprendre aifément, 8c comme il eft furchargé de
venaifon, il ne tient pas long-tems devant les chiens,
mais il eft dangereux aiix abois., 8c il fe jette fur
eux avec une efpeee de fureur. Il ne boit guere en
hiver, 8c encore moins au printems; l’herbe tendre
8c chargée de rofée lui fuffit; mais dans les chaleurs
8c fécherefles de l’été , il va boire aux ruiffeaux,
aux marres, aux fontaines , 8c dans le tems du rut,
il eft fi fort échauffé qu’il cherche l’eau partout, nom-
feulement pour appaifer la foifbrûlante, mais pour
fe baigner 8c fé rafraichir le corps. Il nage parfaitement
bien, 8c plus légèrement alors que dans tout
autre tems, à caufe de la venaifon dont le volume
eft plus léger qu’un pareil volume d’eau : on en a vu
traverfer de trèsrgrandes rivières ; on prétend même
qu’attiré par Todeur des biches, les cerfs fe jettent à
la mer dans le tems du ru t ,/ 8c paffent d’une île à
une autre, à des diftances de plufieurs lieues ; ils
fautent encore plus légèrement qu’ils ne nagent, car
lorfqu’ils font pourfuivis , ils franchiffent aifément
une haie, 8c même un palis d’une toife de hauteur ;
leur nourriture eft différente fuivant les différentes
faifons ; en automne, après le rut, ils cherchent les
boutons des arbuftes verds, les fleurs de bruyères ,
les feuilles de ronces, &c. en hiver lorfqu’il neige ,
ils pelent les arbres & fe nourriffent d’écorces, de
moufle, &c. 8c lorftju’il fait un tems doux , ils vont
viander dans les blés au commencement du printems
; ils cherchent les chatons des trembles, des
marfaules, des coudriers, les fleurs & les boutons
du cornouiller, &£. en été ils ont dequoi choifir ,
mais ils préfèrent les feigles à tous les autres grains ,
& la bourgenne à tous les autres bois. La chair du
faon eft bonne à manger, celle de la biche & du da*
guet n’eft pas abfolument mauvaife, mais celle des
{y)_ MaFÇlw.d’aflûrance, aller d’affûrgnçe, ç’eft lQrfque
le cerf va d’un pas régie Sc tranquille.