•» gret n’eft que lefouhait de ce que l’on a perdu; &
» le defir regarde auffi-bien.ce que l’on voudrait ob-
» tenir-, que ce que l’on ne polie de plus. Ces deux
» exemples font d’autant plus frappans que les deux
» expreffions conjîderarc &C dejiderare n’ayant rien de
» commun dans l’idée qu’ils préfentent, ni dans l’af-
» fe&ion de Taine, & f e trouvant chacun précédé
•» d’une particule qui les cara&érifè , on ne pour-
» roit les tirer ainfi tous deux de Jiderare, fi le dévé-
*> loppement de l’opération de Telprit, dans la for-
» mationdes mots , n’avoit été tel qu’on vient de le
» décrire ».
Il feroit aifé de multiplier ces exemples en très-
;grand nombre : [ & j’en fupprime effe&ivement une
<juantité.confidérable dont M. le préfident deBroffes
a enrichi fes mémoires ] « ceux-ci doivent fuffire
» aux perfonnes intelligentes pour les mettre fur les
» voies de la maniéré dont procédé la formation de
» ces fortes de termes qui expriment des idées rela-
» tives ou intelleéhielles. Pour leur démontrer qu’il
» n’y en a point de cette efpeçe qui ne viennent d’une
» image d’un objet extérieur, phyfique & fenlible ;
» c’eft qu’étant difficile de démêler le fil de ces fortes
>> de dérivations, oiifouvent la racine n’eftplus con-
» nue , oîi l’opération de l’homme eft toujours va-
» gue, arbitraire, & fort compliquée ; on d oit, en
» bonne logique , juger des chofes que l’on ne peut
» connoître, par celles de même elpece qui font fi
» bien connues, en les ramenant à un principe dont
» l’évidence fe fait appercevoir par-tout où la vue
» peut s’étendre. Quelque, langue que l’on veuille
» parcourir, on y trouvera dans la formation de leurs
» mots , le même procédé dont je viens de donner
*> des exemples pris de la langue-françoife ».
Qu’eft-ce autre chofe que des tropes &c des métaphores
continuelles , qui favorifent cette formation
des termes intellettuels? la comparaifon & lafimili-
tude y font fenfibles : or il eft confiant que les hommes
ont eu befoin de très-bonne heure de cette elpe-
ce de termes ; & il n’y a prefque pas à douter que
l’expédient de les prendre par analogie dans l’ordre
phyfique, nefoit auffi ancien & ne vienne de la même
fource que le langage même. Voye[ L a n g u e .
Nous pouvons donc croire que les tropes doivent leur
première origine à la néceffité , & que ce que dit
Quintilien de la métaphore , eft vrai de tous lestro-
pes , favoir queprcefiat ne ulli rei nomen deejfe videatur.
« La vivacité avec laquelle nous reffentons ce que
» nous voulons exprimer , dit avec raifon M. du-
» Marfais ( loc. cit. ) , excite en nous ces images ;
» nous en fommes occupés les premiers , & nous
» nous en fervons enfuite pour mettre en quelque
» forte devant les yeux des autres , ce que nous
» voulons leur faire entendre.. . . les rhéteurs ont en-
» fuite remarqué que telle expreffion étoit plus no-
» ble, telle autre plus énergique, celle-là plus agréa-
» ble, celle-ci moins dure ; en un mot ils ont fait
» leurs obfervations fur le langage des hommes » [ &
l’art s’eft établi fur les procédés néceflaires de la nature
: les différens degrés de fuccès des moyens fug- i
gérés par le befoin , ont fervi de fondement aux réglés
fixées enfuite par l’art, pour ajouter l’agréable
à l ’utile ].
« Pour faire voir que l’on fubfiitue quelquefois des '
» termes figurés à la place des mots propres qui man-
» quent, ce qui eft très-véritable, Cicéron , de or a-■
» tore, lib. JII. n. 155. aliter xxxviij. Quintilien ,
» Injlit. VIII. vj. & M. Rollin, tom. II. pag. 246".
» qui penfe & qui parle comme ces grands hommes,
» difent que c’eft par emprunt & par métaphore qiïon a
» appellégemma le bourgeon de la vigne, parce, difent-
» ils , quU n’y avoit point de mot propre pour l'expri-
» mer. Mais fi nous en croyons les étymologiftes ,
» gemma eft le mot propre pour lignifier le bour-
» geon de la vigne, & ç’a été enfuite par figure que les
» Latins ont donné ce nom aux perles, & aux pierres
» précieufes. Gemma efl id quod in arboribus tumefdt
» cum parère incipiunt, à geno, id efl, gigno : kinc
» margarita & deinceps ornnis lapis pretiofus dicitur
» .gemma.. . . quod habet quoque Perottus , cujushàc
» J'unt verba » : lapillos gemmas vocavere àjîmilitudi-
ne gemmarum quas in vitibus Jîve arboribus cernimus •
gemma: enimproprié funt populi quos primé vîtes émit-,
tune , & gemmare vîtes dicuntur, dum gemmas émit-
tunt ( Martinii, lexic. voce gemma). « gemma oculus
» vitis proprih. 2. gemma deind'e generale nomen efl la-
» pidumpretioforum (Baf. Fabri , thefaur. yocegem-
» ma ). En effet, c’eft toujours le plus commun & le
» plus connu qui eft le propre, & qui fe prête en-
» fuite au fens-figuré. Les laboureurs du pays latin
» connoiffoient les bourgeons des vignes & des ar-
» bres , & leur avoient donné un nom avant que
» d’avoir vu des perles & des pierres précieufes *
» mais comme on donna enfuite par figure & par
» imitation ce même nom aux perles & aux pierres
» précieufes,& qu’apparemment Cicéron, Quinti-
» lien, & M. Rollin ont vu plus de perles que de
» bourgeons de vignes, ils ont cru que le nom de
» ce qui leur étoit plus connu, étoit lé nom propre,
» & que le figuré étoit celui de ce qu’ils connoif-
» foient moins -v■-
III. Delà maniéré défaire ufage des tropes. C’eft particulièrement
dans les tropes, dit le p. Lamy , ( rhét.
I. II. c.iv. ) que confiftent les richeffes du langage;
axiffi comme le mauvais ufage des grandes richeffes
caufe le déreglement des états , le mauvais ufage des
tropes eft la fource de quantité de fautes que l’on commet
dans le difeours : C’eft pourquoi il eft important
de le bien regler, & pour cela ‘lés- tropes doivent fur-»
tout avoir deux qualités ; en premier lieu , qu’ils
foient clairs, & faffent entendre ce qu’on veut dire,
puifque l’on ne s’en fert que pour rendre le difeours
plus expreffif: la fécondé qualité, c’eft qu’ils foient
proportionnés à l’idée <ju’ils doivent réveiller.
I. Trois chofes .empechent les tropes d’être clairs.
i°. S’ils font tirés de trop loin , & pris de chofes qui
ne donnentpasoccafion àl’ame de penfer d’abord à ce
qu’il faut qu’elle fe repréfente pour découvrir la pen-
fee de celui qui parle. Pour éviter ce défaut, on doit
tirer les métaphores & autres tropes de chofés fenfi-
bles & qui foient fous les y e u x , dont l’image par
conféquent fe préfente d’elle-même fans qu’on la
cherche. La fageffe divine, qui s’accommode à la capacité
des hommes , nous donne, dans les faintes
Ecritures , un exemple du foin qu’on doit avôir dé
fe fervir des chofes connues i ceux qu’on inftruit,
lorfqu’il eft queftion de leur faire comprendre quelque
chofe de difficile. Ceux qui ont l’elprit petit, &
qui cependant ofent critiquer l’Ecriture, y condamnent
les métaphores & les allégories qui y font prifes
des champs, des pâturages, des brebis, des chaudières;
ils ne prennent pas garde que les Ifraélites
étoient tous bergers, & qu’ainfi il n’y avoit rien qui
leut fut plus connu que fe ménage de la campagne.
Les prêtres , à qui l’Ecriture s’adreffoit particulierè-
ment, étoient perpétuellement occupés à tuer des
bêtes dans le temple , à les écorcher , & à les faire
cuire dans les grandes cuifines qui étoient autour du
temple. Les écrivains facrés ne pouvoient donc pas
choifir des chofes dont les images fe préfentaffent
plus facilement à l’efprit des Ifraelites.
z°. L’idée du trope doit être tellement liée avec
celle du mot p ropre, qu’elles fe fuivent , & qu’en
excitant l’une des deux , l’autre foit renouvellée. Le
défaut de cette liaifon eft la fécondé chofe qui rend
les tropes obfcurs.
30. L’ufage trop fréquent des tropes eft une autre
caufe d’obfeurité. Les tropes les plus clairs ne fignifient
les chofes qu’indire&emerit ; l’idée naturelle dé
ce que l’on n’exprime que fous le voile des tropes,
ne fe préfente à l’efprit qu’après quelques réflexions ;
on s’ennuie de toutes ces réflexions , & de la peine
de deviner toujours les penfées de celui qui parle.
On ne condamne pourtant ici que le trop fréquent
ufage des tropes extraordinaires : il y en a qui ne font
pas moins ufités que les termes naturels ; & ils ne
peuvent jamais obfcurcir le difeourSi
II. Si je veux donner l’idée d’un focher dont la
hauteur eft extraordinaire , ces termes grand, haut ,
élevé, qui fe difent des rochers d’une hauteur commune
, n’en feront qu’une peinture imparfaite ; mais
fi je dis que ce rocher femble menacer le ciel, l’idée
du ciel, qui eft la chofe la plus élevée de toute la nature
, l’idée de ce mot menacer, qui convient à un
homme qui eft au-deflus des autres , forment l’idée
de la hauteur extraordinaire que je ne pouvois ex-
prime|: d’une autre maniéré ; mais l’imâge auroit été
excemve , fi je ne difois que le rocher femble menacer
le ciel : & c’eft ainfi qu’il faut prendre garde qu’il
y ait toujours quelque proportion entre l’idée naturelle
du trope & celle que l’on veut rendre fenfible.
« Il n’y a rien de plus ridicule en tout genre , dit
» M. du Marfais, Trop.part. I. art.y. § . 3. que l’af-
» feûation & le défaut de convenance. Moliere,
» dans fes précieufes, nous fournit un grand nombre
» d’exemples de ces expreflions recherchées & dé-
» placées. La convenance demande qu’on dife fim-
» plemerit à un laquais, donne^ des Jieges, fans aller
» chercher le détour de lui dire, voiture^ nous ici les
» commodités de la converfation, (fç . ixA De plus les
» idées acceffoires ne jouent point, fi j’ofe parler
» ainfi, dans le langage des précieufes de Moliere,
» ou ne jouent point comme elles jouent dans l’ima-
» gination d’un homme fenfé, [ parce que les idées
» comparées n’ont entr’elles aucune liaifon natu-
» relie ] : le confeiller des grâces ( f ç . vj. ) ; pour dire,
>> le miroir : contente^ T envie qu’a ce fauteuil de vous
» embraffer ( fç . ix. ) pour dire, ajfeyeç-vous.' ■
» Toutes ces expreffions tirées de loin & hors de
» leur place marquent une trop grande contention
» d’efprit, & font fentir toute la peine qu’on a eue
» à les rechercher : elles ne font pas , s’il eft permis
» de parler ainfi , à l ’unifTon du bon fens , je veux
» dire qu’elles font trop éloignées de la maniéré de
» penfer de ceux qui on tl’efprit droit & jufte , &
» qui fentent les convenances. Ceux qui cherchent
» trop l’ornement dans le difeours, tombent foüvent
» dans ce défaut s’en s’appercevoir ; ils fe favent bon
» gré d’une expreffion qui leur paroît brillante &
» qui leur a coûté , & fe perfuadent que les autres
» doivent être auffi fatisraits qu’ils le font eux-
>> mêmes.
» On ne doit donc fe fervir de tropes que lorf-
» qu’ils fe préfentent naturellement à l’efprit ; qu’ils
» font tirés du fujet ; que les idées acceffoires les
» font naître, ou que les bienféances les infpirent :
» ils plaifent alors ; mais il ne faut point les aller
» chercher dans la vue dé plaire.
» Il eft difficile , dit ailleurs notre grammairien
» philofophe , part. III. art. 23. en pariant & en
» écrivant, d’apporter toujours l’attention & le dif-
» cernement néceflaires pour rejetter les idées ac-
» ceffoires qui ne conviennent point au fujet, aux
» circonftances & aux idées principales que l’on
» met en oeuvre : de-là il eft arrive dans tous les
» teins que les écrivains fe font quelquefois fervis
» d’expreffions figurées qui ne doivent pas être pri-
» fes pour modèles.
» Les réglés ne doivent point être faites fur l’ou-
» vrage d’aucun particulier ; elles doivent être pui-
» fées dans le bon fens & dans la nature ; & alors
» quiconque s’en éloigne, ne doit point être imité
» eh të point. Si l’on veut former le goût des jeunes
» gens j on doit leur faire remarquer les défauts
» auffi-bien que les beautés des auteurs qu’on leur
» fait lire. Il eft plus facile d’admirer, j’en Conviens ;
» mais une critique fage, éclairée, exempte de paf-
» fions & de fanàtifme, eft bien plus utile.
» Ainfi l’on peut dire que chaque'fiecle a pu avoir
» fès critiques & fon dictionnaire néologiqüe. Si qtiel-
» ques perfonnes difent aujourd’hui avec raifon où
>) fans fondement, ( dicl. néol. ) qu’il régné dans le
» tangage une affectation puérile ; que le fly le frivole &
» recherché pajje jufqu’aux tribunaux les plus graves f
» Cicéron a fait la même plainte de fon tem sfOrati
» n. C) 6. aliter xxvij.) eft enim qüoddam etiam infigne
» jS* fiorens orationis, picium & expolttüm genùs, in
» quo onines verborum , omneS fenteritiarum illîgantur
» lepores. Hoc totum è fophiflarum fontibus deflüxit iri
» forum., &c.
» Au plus beau fiecle de Rome, félon le p. Saha-
» don, (Poéf. d'Horace, tome II. p. 264.') c’eft-à-dire
» au fiecle de Jules-Céfar & d’Augufte, un auteur a
» dit infantes fiatuas , pour dire des fiatues houvtlle-
» ment faites : un autre , que Jupiter crachoit la nei<*e
» fur les Alpes ; Jupiter hibernas canâ nivê confpuit
» Alpes. Horace fe moque de l’un & de l ’autre dé
» ces auteurs, II.fai. verf. 40. mais il n’a pas été
» exemt lui même des fautës qu’il a reprochées à fes
» contemporains ». [Je dois remarquer qu’Horace ne
dit pas Jupiter, mais Furius (qui eft le nom du poète
qu’il cenfure) hibernas canâ nive confpuit Alpes/] '
« Quintilien, après avoir repris dans les anciens
» quelques métaphores défeftueufes , dit que ceux
» qui font inftruits du bon & du mauvais ufage des
» figures' ne trouveront que trop d’exemples à re~
» prendre : Quorum exempta nimiitm fréquenter re-
» prehendet3 qui fciverit hæc vida. (Injlit. viij. 6'.)
» Au refie, les fautes qui regardent les mots, ne
» font pas celles que l’on doit regarder avec le plus
» de fbin : il eft bien plus u'tilé d^bferver celles qui
» pechent contre la conduite, contré la jüfteffe du
» raifonnement, ‘contre là probité, la droiture & les
» bonnes moeurs. Il feroit à fouhaiter que les exem-
» pies de ces dernieres fortes de fautes fuffent plus
» rares , ou plutôt qu’ils fuffent inconnus ». (B . E.
R. M .)
TRO PÉ A , ( Géogi màd. ) en latin Tropcea , ad
Trôpcea, ville d’Italie , au royaume de Naples, dans
là Calabre ultérieure, fur le fommet d’un rocher, à
12 milles de Mileto, 40 dé Meffine, & 4s de Reg-
gio. Son évêché éft fuffragant de Reggio. Long. 3 3 .
40.latit.38. 40. (D . J. )
TROPÈS, saint- , (G éog. mod.) ville de France,
en Provence, au diocèfe de Fréjus , fur la Méditerranée
, oh elle a un port, à 24 lieues au levant de Mar-
Teille , & à 6 au fud-oüeft de Fréjus. Long. 24. 20.
latit. 43. iy. (D . J. )
TROPHÉE, f.m. (Archit.) c’étoit chez les anciens
un amas d’armés & de dépouilles des ennemis , élevé
par le vainqueur dans le champ de bataille , &
qu’on a enfuite repréfenté en pierre ou en marbre ,
Comme les trophées dë Marius & de Sylla âu capitole,
& dont on fait ufage en ârchitefture , pour décorer
un bâtiment avec des attributs militaires.
Les trophées antiques font formés d’armes greques
& romaines ; ceux qu’on emploie aujourd’hui font
compofés d’armes de diverfes nations de notre tems.
On voit de ces trophées ifolés à l’arc de triomphe du
fauxbourg S. Antoine , & fur la baluftrade du château
de Verfailles. On en fait aiiffi èn bas-relief, comme
à la colonne trajane , & à l’attique de la cour du
Louvre. La beauté des uns & des autres confifte
principalement dans le choix , la difpofition & le
rapport qu’ils doivent avoir au deffein général de
l’édifice, Il y en a dé différentes efpeces.- Nous allons