dire qu’ elle fert à enlever de la toile la qualité qu’elle
avoit reçue du cadoucaie ; & que fi elle laconlervoit
encore, le bleu qu’on prétend appliquer dcvien-
droit noir. _ t
Il y a encore une autre raifon qui rend cette operation
néceflaire, c’eft de donner plus de blancheur
à la toile; car nous avons dit qu’elle n’étoit qu’à demi
blanchie, quand on a commencé à y travailler. En l’ex-
pof'ant au foleil, on ne l’y laiffe pas fécher entièrement
; mais on y répand de l’eau de-tems-en-tems
pendant un jour : enfuite on la bat fur une pierre au
bord de l’eau ; mais non pas avec un battoir, comme
il fe pratique en France. La maniéré indienne eft de
la plier en plufieurs doubles, & de la frapper fortement
fur une pierre avec le même mouvement que
font les Serruriers & les Maréchaux, en frappant de
leurs gros marteaux le fer fur l’enclume.
Quand la toile eft fuffifamment battue dans un fens,
on la bat dans un autre, 6c de la même façon : vingt
ou trente coups fuffifent pour l’opération préfente.
Quand cela eft fini, on trempe la toile dans du cange
de riz : le mieux feroit, fi l’on avoit la commodité
de prendre du kevaron, de le broyer, de le mettre
fur le feu avec de l’eau, comme fi on vouloit le faire
cuire, 8c avant que cette eau foit fort épaiflie, y
tremper la toile, la retirer aufii-tôt, la faire fécher,
& la battre avec le cottapouli, comme on a fait dans
la première opération pour la liffer.
Comme le bleu ne fe peint pas avec un pinceau,
mais qu’il s’applique en trempant la toile dans l’indigo
préparé, il faut peindre ou enduire la toile de cire
généralement par-tout, excepté aux endroits oh il
y a du noir, & à ceux oit il doit y avoir du bleu ou
du verd. Cette cire fe peint avec un pinceau de fer
le plus legerement qu’on peut, d’un feul côté, prenant
bien garde qu’il ne refte fans cire que les endroits
que nous venons de dire ; autrement ce feroit
autant de taches bleues , qu’on ne pourroit effacer.
Cela étant fait, on expofe au foleil la toile cirée de la
forte; mais il faut être attentif à ce que la cire nefe
fonde , qu’autant qu’il eft néceflaire pour pénétrer
de l’autre côté. Alors on la retire promptement ; on
la retourne à l’envers, & on la frotte en paffant fortement
la main par-deffus. Le mieux feroit d’y employer
un vafe de cuivre rond par le fond; par ce
moyen la cire s’étendroit par-tout, même aux endroits
qui de l’autre côté doivent être teints en bleu.
Cette préparation étant achevée, le peintre donne
la toile au teinturier en bleu, qui la rend au bout de
quelques jours ; car il eft à remarquer que ce ne font
pas les peintres ordinaires, mais les ouvriers ou teinturiers
particuliers, qui font Cette teinture.
Voici comment l’on prépare l’indigo : on prend
des feuilles d’avarei ou d’indigotier, que l’on fait bien
fécher ; après quoi on les réduit en poufliere : cette
poufliere fe met dans un fort grand vafe qu’on remplit
d’eau ; on la bat fortement au foleil avec un bambou
fendu en quatre, 8c dont les quatre extrémités
inférieures font fort écartées. On laiffe enfuite écouler
l’eau par un petit trou qui eft au-bas du vafe, au
fond duquel refte l’indigo ; on l’en tire, & on le partage
en morceaux gros à-peu-près comme un oeuf de
pigeon; on répand enfuite delà cendre à l ’ombre,
& fu r cette cendre on étend une toile, fur laquelle on
fait fécher l’indigo qui fe trouve fait.
Après cela il ne refte plus que de le préparer pour
les toiles qu’on veut teindre : l’ouvrier, après avoir
véduit en poudre une certaine quantité d’indigo, la
met dans un grand vafe de terre qu’il remplit d’eau
froide. Il y joint enfuite une quantité proportionnée
de chaux réduite pareillement en poufliere ; puis il
flaire l’indigo pour connoître s’il nefent point l’aigre
; & en ce cas-là il ajoute encore de la chaux, autant
qu’il eft néceflaire pour lui faire perdre cette
odeur. Prenant enfuite des graines f d’avarei environ
le quart d’un boiffeau, il les fait bouillir dans un
feau d’eau pendant un jour & une nuit, confervant
la chaudière pleine d’eau ; il verfe après cela le tout,
eau & graine, dans le vafe de l’indigo préparé. Cette
teinture fe garde pendant trois jours ; & il faut avoir
foin de bien mêler le tout.enfemble, en l’agitant quatre
ou cinq fois par jour avec, un bâton : fi l’indigo
fentoit encore l’aigre,. on y ajouteroit une certaine
quantité de chaux.
Le bleu étant ainfi préparé, on y trempe la toile
après l’avoir pliée en double; en forte que le deffus
de la toile foit en-dehors, & que l ’envers foit én-
dedans. On la laiffe tremper environ une heure 8c
demie ; puis on la retire teinte en bleu aux endroits
convenables : on voit par-là que les toiles indiennes
méritent autant le nom de teintes, que celui de toiles
peintes.
La longueur 8t la multiplicité de toutes ces opérations
pour teindre en bleu, fait naître naturellement
un doute, favoir fi l’on n’auroit pas plutôt fait
de peindre avec un pinceau les fleurs bleues, fur-
tout quand il y a peu de cette couleur dans un def-
fein. Les Indiens conviennent que cela fe pourroit;
mais ils difent que ce bleu ainfi peint ne tiendroit
pas, 8c qu’après deux ou trois leflives il difparoî-
troit.
La ténacité 8c l’adhérence de la couleur bleue doit
être attribuée à la graine d’avarei ; cette graine croît
aux Indes orientales, quoiqu’il n’y en ait pas partout.
Elle eft d’un brun clair olivâtre , cylindrique,
de la groffeur d’une ligne, 8c comme tranchée par
les deux bouts ; on a de la peine à la rompre avec la
dent ; elle eft infipide 8c laiffe une petite amertume
dans la bouche.
Après le bleu c’ eft le rouge qu’il faut peindre ; mais
on doit auparavant retirer la cire de la toile, la blanchir
, 8c la préparer à recevoir cette couleur ; telle
eft la maniéré de retirer la cire.
Onmet la toile dans l’eau bouillante,la cirefefond;
on diminue le feu, afin qu’elle fumage plus aifément,
8c on la retire avec une cuillier le plus exaélement
qu’il eft poflible : on fait de nouveau bouillir l’eau
afin de retirer ce qui pourroit y être refté de cire.
Quoique cette cire foit devenue fort fale, elle ne
laiffe pas de fervir encore pour le même ufage.
Pour blanchir la toile on la lave dans de l’eau ; on
la bat neuf à dix fois fur la pierre, 8c on la met tremper
dans d’autres eaux, oii l ’on a délayé des crottes
de brebis. On la lave encore, 8c on l’étend pendant
trois jours au foleil, obfervant d’y répandre légèrement
de l’eau de*tems-en-tems, ainfi qu’on l’a dit
plus haut. On délaye enfuite dans de l’eau froide une
forte de terre nommée ola, dont fe fervent les blan-
chiffeurs, 8c on y met tremper la toile pendant environ
une heure ; après quoi on allume du feu fous
le vafe ; 8c quand l’eau commence à bouillir , on en
ôte la toile, pour aller la laver dans un étang , fur le
bord duquel on la bat environ quatre cens fois fur
la pierre, puis on la tord fortement. Enfuite on la
met tremper pendant un jour 8c une nuit dans de
l’eau, où l’on a délayé une petite quantité^de boufe
de vache, ou de buffle femelle. Après cela , on la retire
; on la lave de nouveau dans l’étang, 8c on la
déployé pour l’étendre pendant un demi-jour au fo-
leii, Scl’arrofer légèrement de-tems-en-tems. On la
remet encore fur le feu dans un vafe plein d’eau ; 8c
quand l’eau a un peu bouilli, on en retire la toile
pour la laver encore une fois dans l’étang, la battre
un peu, 8c la faire fécher.
Enfin, pour rendre la toile propre à recevoir 8c à
retenir la couleur rouge, il faut réitérer l’opération
du,cadoucaie, comme on l’a rapporté au commencement
; c’eft-à-dire, qu’on trempe la toile dans l’infufion
fimpïe du cadou, qu’on la lavé enfuite, qu'on
la bat fur la pierre, qu’on la fait fécher, qu’après cela
ion la fait tremper dans du lait de buffle, qu’on l’y
agite, 8c qu’on la frotte pendant quelque tems avec
les mains; que quand elle eft parfaitement imbibée,
on la retire, on la tord , 8C on la fait fécher ; qù’alors
s’il doit y avoir dans les fleurs rouges des traits blancs,
tomme font fouvent les piftils, les étamines, & autres
traits, on peint Ces endroits avec de la cire ;
après quoi on peint enfin âvec Un pinceau indien lé
touge qu’on a préparé auparavant. Ce font communément
les enfans qui peignent le rouge, parce que
ce travail eft moins pénible, à-moins qu’on ne voulût
faire un travail plus parfait.
Venons maintenant à la maniéré dont il faut préparer
le rouge : on prend de l’eau âpre, c’eft-à-dire,
de l’eau de certains puits particuliers, à laquelle on
trouve ce goût. Sur deux pintes d’eau on met deux
onces d’alun réduit en poudre, on y ajoute quatre
onces de bois rouge nommé vartahgén, ou du bois
de fapan réduit aufli en poudre. On met le tout au
foleil pendant deux jours, prenant garde qu’il n’y
tombe rien d’aigre 8c de fale ; autrement la couleur
perdroit beaucoup de fa force. Si l’on veut que lé
rouge foit plus foncé, on y ajoute de l’alun ; on y
Verîe plus d’eau, -quand on Veut qu’il le foit moins ;
& c’eft par ce moyen qu’on fait le rouge pour les
nuances, 8c les dégradations de cette couleur.
Pour compofer Une couleur de lie de vin 8c Un peu
violette, il faut prendre une partie du rouge dont
nous venons de parler, 8c une partie du noir dont on
a marqué plus haut la compofition. On y ajoute une
partie égale de cange, de ris gardé pendant trois mois,
& de ce mélange il'en réfulte la couleur dont il s’agit.
Il régné une fuperftition ridicule parmi plufieurs
gentils au fujet de ce cange aigri. Celui qui en a ,
s ’en fervira lui-même tous les jours de la femaine ;
mais le dimanche, le jeudi, 8c le vendredi, il en re-
fufera à d’autres qui en manqueroient. Ce feroit,
difent-ils, chaffer leur dieu de leur maifon, que d’en
donner ces jours-là. Au défaut de ce vinaigre de
Cange, on peut fe fervir de vinaigre de callou, ou
de vin de palmier.
On peut compofer différentes couleurs dépendantes
du rouge, qu’il eft inutile de rapporter ici. Il fuf-
fit de dire qu’elles doivent fe peindre en-même tems
que le rouge, c’eft-à-dire avant de paffer aux opérations
dont nous parlerons, après que nous aurons
fait quelques obfervations fur ce qui précédé.
i°. Ces puits dont l’eau eft âpre ne font pas communs
, même dans l’Inde ; quelquefois il ne s’en trouve
qu’un feul dans toute une ville. i ° . Cette eau , félon
l’épreuve que plufieurs européens en ont faite,
n’a pas le goût que les Indiens lui attribuent, mais
elle paroit moins bonne que l’eau ordinaire. 30. On
fe fert de cette eau préférablement à toute autre,
afin que le rouge foit plus beau, difent les uns, 8c
fuivant ce qu’en difent d’autres plus communément,
c’ eft une néceflité de s’en fervir, parce qu’autrement
le rouge ne tiendroit pas. 4®. C’eft d’Achen qu’on
apporte aux Indes le bon alun 8c le bon bois de fapan.
Quelque vertu qu’ait l’eau aigre pour rendre la
couleur rouge adhérante, elle ne tiendroit pas fuffifamment
, 8c ne feroit pas belle, fi l’on manquoit d’y
ajouter la teinture d’imbourre ; c’eft ce qu’on appelle
plus communément chaïaver ou racine de chdia. Mais
avant que de la mettre en oeuvre il faut préparer la
toile en la lavant dans l’étang le matin, en l’y plongeant
plufieurs fois, afin qu’elle s’imbibe d’eau, ce
qu on a principalement en vu e, & ce qui ne fe foit
pas promptement, à caufe de l’onftuofité du lait de
Duffle, ou auparavant l’on avoit mis cette toile, on
a bat une trentaine de fois fur la pierre, & on la fait
fécher.
Tandis qu’on préparoit la toile^ on a dû aufli préparer
la racine de chaïa, ce qui fe pratique de cetté
maniéré. On prend de cette racine bien feché, on la
réduit en poudre très-fine, en la pilant bien dans
un mortier de pierre 8c non de bois, ce qu’on recommande
expreflement, jettaht de tems-en-tems
dans le mortier un peu d’eau âpre : on prend de cette
poudre environ trois livres, & on la met dans deux
feauX d eau ordinaire , que l’on a fait tiédir, 8c
1 on à foin d agiter un peu le tout avec la main : cette
eau devient rouge, mais elle ne donne à la toile
qu une affez vilaine couleur : aufli ne s’en fert - on
que pour donner aux autres couleurs rouges leur
derniere perfeftion.
Il faut pour cela plonger la toile dans cette teinture
; & afin qu’elle la prenne bien, l’agiter 8c la
tourner en tout fens pendant Une demi-heure, qu’on
augmente le feu fous le vafe. LOrfqüe la main ne
peut plus foutenir la chaleur de la teinture, ceux
qui veulent que leur ouvrage foit plus propre 8c
plus parfait, ne manquent pas d’en retirer leur toile ,
de la tordre, & de la faire bien fécher ': en Voici là
raifon. Quând on peint le roüge, il eft difficile qu’il
n’en tombe quelques gouttes dans les endroits où il
ne doit point y en avoir. Il eft Vrai qüe le peintre a
foin de les enlever avec le doigt autant qu’il peut,
à-peu-près comme nous faifons lorfque quelque
goutte d encre eft tombée fur le papier où nous écrivons
; mais il refte toujours des taches que la teinture
de chaia rend encore plus fenfibles : c’eft pourquoi
avant que de paffer outre on retire la toile, on la
fait fecher, 8c l’ouvrier recherche ces taches, 8c les
enleve le mieux qu’il peut avec un limon Coupé en
deux parties.
Les taches étant effacées, on remet la toile dans
la teinture, On augmente le feu jufqu’à ce que la
main n’en puiffe pas foutenir la chaleur ; on a foin
de la tourner 8c retourner en tout fens pendant une
demi-heure : fur le foir on augmente le feu, 8c on
fait bouillir la teinture pendant une heure ou environ.
On éteint alors le feu ; 6c quand la teinture eft
tiede, on en retire la toile qu’on tend fortement, 8c
que l’on garde ainfi humide jufqu’au lendemain.
Avant que de parler des autres couleurs, il eft
bon de dire quelque chofe fur le chaïa. Cette plante
naît d’ellé - même ; on ne laiffe pas d’en femer aufli
pour le befoin qu’on en a. Elle ne croît hors de terre
que d’environ un demi-pié ; la feuille eft d’un verd
clair, large de près de deux lignes, 8c longue de cinq
à fix. La fleur eft extrêmement petite 8c bleuâtre ;
là graine n’eft guere plus groffe que celle du tabac.
Cette petite plante pouffe en terre une racine qui vâ
quelquefois jufqu’à près de quatre piés ; ce n’eft pas
la meilleure : on lui préféré celle qui n’a qu’un pié
ou un pié 8c demi de longueur. Cette racine eft fort
menue, quoiqu’elle pouffe avant en terre 8c tout
droit ; elle ne jette à droite 8C à gauche que fort peu
& de très-:petits filamens. Elle eft.jaune quand elle
eft fraîche, 8c devient brune en fe féchant : ce n’eft
que quand elle eft feche qu’elle donne à l’eau la couleur
rouge, fur quoi on a fait une épreuve affez fin-
guliere. Un ouvrier avoit mis tremper cette racine
dans de l’eau qui étoit devenue rouge. Pendant la
nuit un accident fit répandre la liqueur ; mais il fut
bien fûrpris de trouver le lendemain au fond du vafê
quelques gouttes d’une liqueur jaune qui s’y étoit
ramaffée ; ce qui ne Venoit que de ce que le chaïa
dont il s’étoit fervi étoit de la meilleure eïpece. En
effet, lorfque les ouvriers réduifent en poufliere
cette racine, en jettant un peu d’eau, comme on l’a
dit, il eft affez ordinaire qu’elle foit de couleur de
fafran. On remarquera, qu’autour de ce vafe ren-
verfé, il s’étoit attaché une pellicule d’un violet affez
beau. Cette plante fe vend en paquets fecs ; on en