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ïoft'e, pour convaincre les auteurs de cet artifcle de
la plus infigne fourberie. ^
La façon dont eft préparé l’organfin, foit à deux,
trois 8c quatre brins étant connue , le velours ne
tirant fa perfettion qu’autant qu’il eft garni par le
poil , afin que la toile ne paroiffe pas au travers-, il
s’agit d’examiner fi un fil à trois ou quatre brins fe
féparera fuffifamment, pour qu il foit parfait, atten-
du le tors : c’eft ce qu’on défie à tous les fabriquans
enfemble de foutenir, encore moins de prouver; M.
Fagon difoit que fi on pouvoit fabriquer à Lyon les
velours 8c les damas aufli bien qu’à Genes, il faudroit
•bâtir une nouvelle ville , tant cet objet lui paroiffoit
important-; voyons donc fi la méthode contenue
-dans ce nouvel article augmentera leur perfe&ion :
c’eft ce qu’il eft impoflible de perfuader; il eft clair
nu contraire qu’elle la diminue.
On a déjà obfervé que fi on pouvoit fabriquer le
velours à quatre poils avec les huit brins féparés qui
compofent les quatre fils d’organfin par boucle, il en
feroit infiniment plus beau ; il faut le prouver. Les
quatre fils d’organfin étant tordus 8c retordus dans le
premier 8c fécond apprêt du moulin, il n’eft pas pof-
fible qu’ils ne confervent dans la fabrication une partie
de ce même tors que les huit brins fepares n’au-
roient pas ; il eft encore plus difficile que les deux
brins qui cbmpofént le f il, tellement unis par le fécond
apprêt, qu’il eft impoflible de les féparer, puif-
fent produire un effet femblable à deux brins qui n’auront
aucune préparation de cette nature.
Si les fabriquans étrangers n’avoient pas été convaincus
par une longue expérience de la néceflité
de féparer les fils qui compofent le poil des velours,
il y a long-tems qu’ils auroient introduit chez eux
la nouvelle découverte des fabricateurs du réglement
de 1744 ; mais ils ont reconnu l’importance de la matière,
8c qu’une nouveauté fi dangereufe ne ten-
droit rien moins qu’à la deftruâion de leurs manufactures
; c’eft pourquoi ils ont voulu qu’un fil
d’organfin à trois brins ne tint lieu que d’un fil ordin
a ire , mais encore que leurs velours ne fuffent fabriqués
qu’avec des fils de cette efpgce; que répondront
à cela les fabricateurs du réglement de 1744,
lefquels moins fcrupuleux que ceux, des fabriques
étrangères , n’étendent pas la fpeculation jufqu a ce
point? Douteront-ils de ce qu’on avance ? il faut le
.leur prouver.
Le réglement de la manufacture de Turin du 8
Avril 1724 fait fur le modèle de celui de Gènes,
précédé des ordonnances des 11 Juin 1 7 1 1 ,4 Juillet
1703 & 17 Mai 1687, ordonne précifément (articles
) tj116 chaque fil de poil fervant à la fabrication
des yeldurs unis , fera compofé d’un fil d’organfin
fuperfin à trois brinsvll faut citer l’article.
T ali veluù dovranno fabbricarji, cioè li veluti, corne
anche le panne, con organfini travagliati di J'éte filate di
8 in 12. cochetti ; il pelo di cochetti S in y. 0 pure d’or-
gan^ino Joprafino a tré filé, e con trame di Jeta de féconda
forte.
Çes étrangers ne portent pas feulement la délica-
.teffe jufqu’au point de faire leurs velours avec des
organfins luperfins à trois brins, ils veulent, encore
que chaque qualité d’organfin qui compofe tant la
toile que le poil, foit tirée à un certain nombre de
cocons pour que le velours foit plus parfait.
Si les fabriquans de Turin, Gènes, Pile, Lucques
8c Florence portent la délicateffe. jul,qu’au point de
ne fe l’eryir que d’organfin à trois brins pour le poil
des velo.urs, afin de les faire plus parfaits, s’ils veulent
•que des mêmes velours ne loient fabriqués qu’avec
des trames.de fécondé forte, à quels reproches ne
doivent pas être expofés les inftigateurs. du régle-
.pîent de 1744, de vouloir qu’un fil d’organfin de
femblable efpece foit réputé tenir lieu d’un fil 8c de-
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m i} N’eft-ce pas facrifier la fabrique de Lyon à leur
intérêt propre ou à leur aveuglement ? Le confeil n’a
point été inftruit de cette façon de fabriquer le velours
; ce ne feroit point un mal que le Diûionnaire
encyclopédique fît corriger ce défaut. 1
Pour achever de confondre les fabricateurs du réglement
de 1744, on leur obfervera encore que l’article
9 du même titre ordonne que dans toutes les
étoffes autres que le velours, chaque fil d’organfin,
à quelque nombre de brins qu’il foit monté , ne foit
compte que pour un fil.
Si un fil d’organfin à trois brins fait un velours parfait,
étant compté pour un fil & demi, comment fe
peut-il faire qu’il ne produife pas le même effet dans
une étoffe moins délicate, 8c qu’on veuille qu’il ne
foit compté que pour un fil ? ce contrafte paroît des
plus finguliers.
‘ C’eft un fait certain que toutes les étoffes unies
même façonnées toute foie, il n’en eft pas une plus
belle ni plus riche que le velours, ni qui. demande
tant de foin 8c d’application pour la rendre parfaite
( ce qu’on n’a pas encore pu faire en France); or
puifque la beauté du velours ne tire fon origine que
du poil, qui feule en fait la figure , comment donc
ofent foutenir les inftigateurs du nouveau réglement
de 1744 qu’un fil d’organfin à quelques brins qu’il
foit monte, ne fera compté que pour un fil dans toute
autre étoffe que le velours, où il fera compté pour
plufieurs, ou un & demi, s’il eft monté à trois brins;
c’eft-à-dire , qu’il fera la perfe&ion de cette dernière
étoffe, tandis qu’il fera défectueux dans toute autre.
C ’eft ce qu’il eft poflible de concevoir.
Quoique la perfection de toutes les étoffes en général,
tant unies que façonnées, exige qu’ellesfoient
compofées d’un certain nombre de portées pour en
rendre la bonté certaine , néanmoins le défaut des
portées ou fils prefcrits par les réglemens ne fauroit
produire la même défeCtuofité ( principalement dans
celles qui font façonnées ) , qu’il peut apporter dans
le velours. Il importe peu qu’un fatm ou taffetas ait
quelques portées ou fils de moins , l’étoffe ne fera
ni moins belle , ni moins parfaite ; les réglemens
mêmes anciens 8c nouveaux n’ont jamais affujetti
les fabriquans à un nombre fix é , ni pour l’une ni
l’autre étoffe dans celle qui eft façonnée ; mais ils fe
font toujours expliqués pour le velours, même juf-
qu’à un demi-fil, pour en faire connoître l’importance.
Que les fabricateurs du réglement de 1744 s'accordent
donc avec eux-mêmes fur l’article 7 & fur
l’art. 9 du titre 8 ; pour lors on ne leur fera aucun
feprdche.
Çe’ne feroit pas affez d’avoir démontré l’impoflî-
bilite de faire les velours unis en France aufli bien
que chez l’étranger, fi on vouloit fe conformer à
l’article 7 du tit. 8 du réglement de 1744; il faut faire
voir encore que fi on manque en France du côté'de
la màtiere, le défaut de la main-d’oeuvre ou fabrication
de^’ouvrier n’apporte pas plus de perfection à
ce genre d’ étoffe que l’exécution de l’article cité ci-
demis.
On n’entre point dans le détail de la façon dont le
métier eft moqté, foit par la quantité des liffes 8c
leur mouvement, foit par la façon dont eft paffé le
fe r , celle de couper le poil qui,form.e le velours ; on
.fera feulement l’analife du poil des velours de Gènes ;
ou autres qui fe fabriquent en Italie, avec celle de
ceux quife fabriquent en France; après quoi on fera
un parallèle de la maniéré dont ces derniers font travaillés
, avec celle qui eft en ufage chez les étran-:
gers, pour démontrer qu’il eft impoflible de faire le
velours parfait, fi on ne les imite pas ; on démontrera
enlùite que la façon de faire le noir en France eft totalement
différente de celle d’Italie, laquelle étant
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plus belle 8c plus lîire, augmenté encore la perïeo
tion de ce genre d’étoffe.
Il n’eft pas furprenant fi les velours qui font fabriqués
en France # ne font pas aufli beaux que ceux
qui fe fabriquent à Turin, Gènes & autres villes
d’Italie ; la raifon de leur défeChiofité ne vient que
de ce qu’un velours fabriqué en France 8c marqué
pour quatre poils, contenant quatre fils par boucle
d’organfin à deux brins , il ne fe trouve que huit
brins au lieu de douze que contient chaque boucle
de ceux qui font fabriqués chez les étrangers.
Le velours de France à quatre poils contenant 80
portées d’organlin à deux brins , compofé de 6400
fils ; chaque coup de fer contient par conféquent
12800 fils , attendu la jon&ion des fils fur le même
coup, qui fe trouvent élevés, de façon qu’à chaque
coup de fer il fe trouve 25600 brins, lorfque l’or-
ganfin eft monté à deux bouts ou brins.
Les velours d’Italie de même à quatre poils contiennent
après la coupe 12800 fils ; mais l’organfin
étant à trois brins , cette quantité compofe un total
de 38400 brins : ce qui fait une différence de 12800
brins de plus que ceux de France, à quoi il faut ajouter
encore que les velours d’Italie étant plus étroits
d’un pouce que ceux de France, il n’eft pas difficile
de croire qu’ayant plus de couverture ( c’eft le terme)
, 8c étant plus garnis , ils ne foient plus parfaits.
C ’eft pour cela que les velours de France ne parodient
pas aufli garnis, quant à ceux en couleur, que ceux
d’Italie, ni aufli beaux quant à ceux qui font noirs.
La raifon de cette différence n’ eft autre que celle de
la quantité fupérieure des brins qui forment le ve*
lours, laquelle étant tirée d’un organfin plus tendre
& plus fin, reçoit plus facilement les impreflionsde
la belle teinture , puifque les organfins qui font employés
dans les poils des velours d’Italie , font infiniment
plus légers que ceux qu’on emploie en France.
A la qualité plus belle d’organfin il faut encore
ajouter la façon de teindre les foies pour les velours
8c autres étoffes, dont les étrangers fe fervent pour
les noirs.
C’eft un ufage établi principalement à Gènes, Florence
, Naples fc c . que les teinturiers de foie ne peuvent
teindre chez eux ou dans leurs ouvroirs , aucune
foie ert noir; ils ont feulement la liberté de les
faire cuire , de les engaler , 8c enfin de leur donner
toutes les préparations ufitées pour les paffer fur les
bains , cuves ou piés de noirs ; les vaifleaux deftinés
pour leur donner cette couleur, font dans des lieux
•qui appartiennent aux villes où ces opérations font
en pratique ; on les nomme ordinairement feraglio^
Ces vaifleaux ou cuves font entretenus aux dépens
de la v ille , & l’endroit ou le lieu où ils font placés,
n’eft ouvert qu’une fois par femaine, 8c dans un jour
régulièrement fixé. Les teinturiers inftruits du jour
de l’ouverture du feraglio, tiennent leurs foies préparées
pour les paffer fur les cuves ou bains, 8c
payent une rétribution fixée pour chaque livre de
foie qu’ils paffent. Cette rétribution fert à l’entretien
des cuves, & lorfqu’il arrive que l’entretien eft au-
deffus de la rétribution ordonnée , la ville fait lè fur-
plus des frais ; & dans le cas où la rétribution ordonnée
excede la dépenfe ( ce qui arrive rarement),
le bénéfice demeure à la ville ; c’eft à la fin de chaque
année que cette vérification eft faite.
Cette façon de tenir les cuves ou bains de noir
dans des lieux cachés eft tellement néceffaire,. qu’il
n’eft pas un teinturier qui ne fâche qu’ils font extrè-
■ mement'délicats' , 8c que peu de choie peut les troubler
, même que l’entrée du feraglio eft interdite à
toutes les femmes., crainte de bouleverfement dans
des tems critiqués de la part de ce fexe. Une raifon
plus importante encore donné ïieuà cet ufage, parce
qu’il eft peu de perfonnes qui né lâchent que plus un
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nain de noir éft vieux, meilleur il eft : ce qui fait qu’il
fe trouve des cuves dans les feraglio qui fontpofées
depuis quatre cens années & plus ; ces cuves d’ailleurs
font prefque toutes de cuivre; il y en a quelques
unes de fer : cette matière foit cuivre, foit fer,
contribue à la bonté du noir, puifque l’une & l’autre
ne peuvent produire dans l’humide que du verd-
de-gris ou de la rouille, que le verd de-gris ou ver-
det forme une partie de la compofition du noir , 8c
que la rouille ne fauroit produire d’autre effet que
Celui de faire mordre la couleur à la matière préparée
pour la recevoir.
Tout ce qui vient d’être dit touchant la matière
qui entre dans la compofition du velours uni, doit
faire connoître qu’il n’eft pas poflible que tous les
velours , principalement les noirs, ne foient plus
beaux que ceux qui fe font en France ; il ne refte
plus à démontrer que l’imperfeftion qui fe trouve
dans la. main-d’oeuvre de ceux qui fe font à Lyon*
bien différente de ceux d’Italie ; ce qui occafionne
des défauts fi fenfibles , qu’il n’eft pas befoin d’être
fabriquant pour les concevoir,
Tous les velours de Lyon étoienf fabriqués anciennement
avec des peignes compofés de dents tirées
du dos ou écorce de rofeaux, ce qui a fait donner
le nom de rot aux peignes dont on fe fert dans
les manufactures de draperie & toilerie. Depuis 25
années environ, on ne fe fert que de peignes compofés
de dents de fer qui font polies 8c difpofées de
façon que l’étoffe puiffe être fabriquée comme il faut,
8c que la dent ne coupe pas le fil de la chaîne; ces
peignes qui font communément appellés peignes d’acier
f font excellens pour les étoffes richés; mais ils
ne valent rien pour le velours ni aucune autre étoffe
unie ; ils occafionnent trois défauts effentiels auxquels
il n’eft pas poflible de parer ; peut-être même
que les fabricateurs du réglement de 1744 ne les ont
pas mie.ux prévus que ceux qu’entraîne après foi l’é-
xécution de l’article 7 du titre 8. Il faut en donner.
l’expliGation,
Le premier defaut dti peigné d’acîer dans le ve-i
lours u n i, eft que la dent du peigne ayant plus de
confiftance, & étant plus dure que celle du rofeau,
il n’eft pas poflible que le mouvement, continuel du
battant quife fait tantôt en avant, tantôt en arriéré,
afin deîerrer la trame, 8c faire dreffer le fer, ne
liffe 8c racle le p o il, 8c ne détache une partie du noir
qui couvre le f il, lequel n’eft pas déjà affez beau ,
8c qui par ce moyen devenant plus luifant, lui fait
perdre une partie de la couleur foncée que le teinturier
lui a donnée ; ce qui ne fçauroit arriver avec
une dent aufli douce que celle du roféau.
Le fécond défaut, aufli eflcntiel que le premier,
eft qu’étant moralement impoflible de faire un peigne
avec cette égalité qu’ exige un ouvrage de cette efpece
, fur-tout dans l’arrangement des dents, cette
inégalité forme des rayeures dans le velours ^ auxquelles
il,eft impoflible de parer, & qui ne fe trouvent
pas , quand on fe fert de peignes de rofeau. La
raifon en eft fenfible ; l’inégalité de la dent du peigne
d’acier caufe une femblable inégalité dans l’étoffe
fabriquée , parce que la dent d’acier ayant plus de
force 8c de confiftance que celle de rofeau , en vain
donne-t-on une certaine extenfion à la chaîne qui
fait la toile, elle ne fçauroit ranger la dent trop ferrée
fur celle qui ne l ’eft pas autant ; au lieu que la
dent de.rcffeau étant plus flexible , cette même extenfion
de..la chaîne la range dans fa jufte place ; 8c
il s’enfuit de-là que la dent d’acier conduit la chaîne,
& q,ue celle de rofeau eft conduite par cette
même chaîne, ce qui eft un des plus grands avantages
, parce que dans toutes les étoffes unies la chaîna
doit commander à la dent pour qu’elles foient parfaites
; au lieu que dans le cas où la dent commande^