<lencede certains hommes privilégiés tient un peu de
cet attribut de la divinité. Ils rapprochent les analogies
les plus éloignées ; ils voyent des liaifons prefque
néceffaires oii les autres font loin d’avoir des conjectures.
Les pallions ont chacune leur phyfionomie particulière.
Les traits s’altèrent fur le vifage à mel'ure
qu’ellesfe fuccedent dans l’ame.Le même homme présente
donc à l’obfervateur attentif un grand nombre
de mafques divers. Ces mafques des pallions ont des
traits cara&ériftiques & communs dans tous les hommes.
Ce font les mêmes vifceres intérieurs qui fe meuvent
dans la joie, dans l’indignation, dans la colere,
dans la frayeur, dans le moment de la dilîimulation,
du menfonge, du reflentiment. Ce font les mêmes
mufcles qui fe détendent ou fe relferrent à l’extérieur,
les mêmes parties qui fe contractent ou qui s’affaif-
fent ; fi la palîion étoit permanente, elle nous feroit
une phyfionomie permanente, 8c fixeroit fon mafque
fur notre vifage. Qu’eft-ce donc qu’un phyfionomifte?
C ’eftun homme qui connoit les mafques des pallions,
qui en a des repréfentations très-préfentes, qui croit
qu’un homme porte , malgré qu’il en ait, le mafque
de fa palîion dominante, & qui juge des caraéteres
des hommes d’après les mafques habituels qu’il leur
voit. Cet art eft une branche de la forte de divination
dont il s’agit ici.
Si les pallions ont leurs phyfionomies particulières
, elles ont aulîi leurs geftes , leur ton, leur ex-
prelîion. Pourquoi n’ai-je point été furpris qu’un
homme que j’avois regardé'pendant de longues années
comme un homme de bien, ait eu tout-à-coup
la conduite d’un coquin? C’eft qu’au moment où j’apprends
fon attion , je me rappelle une foule de petites
chofes qui me l’avoient annoncé d’avance, 8c
que j ’avois négligées.
Les théofoplus ont tous été chimiftes, ils s’appel-
loient les philofopkes par U feu. Or il n’y a aucune
fcience qui offre à l’efpritplus de conjectures déliées,
quileremplifle d’analogies plus fubtiles , que la chimie.
Il vient un moment où toutes ces analogies fe
préfentent en foule à l’imagination du chimifte : elles
l ’entrainent ; il tente en conféquence une expérience
qui lui rçuflit, 8c il attribue à un commerce
intime de fon ame avec quelque intelligence fupé-
rieure, ce qui n’eft que l’effet fubit d’un long exercice
de fon art. Socrate avoit fon démon ; Paracelfe
avoit le lien ; 8c ce n’étoient l’un 8c l’autre ni deux
fous, ni deux fripons , mais deux hopimes d’une pénétration
furprenante , fujets à des illuminations bruf-
ques 8c rapides, dont ils ne cherchoient point à fe
rendre raifon.
Nous ne prétendons point étendre cette apologie
à ceux qui ont rempli l’intervalle de la terre aux
cieux, de natures moyennes entre l’homme 8c Dieu,
qui leur obéifloient, & qui ont accrédité fur la terre
toutes les rêveries de la magie, de l’aftrologie 8c de
la cabale. Nous abandonnons ces thcofophes à toutes
les épitketes qu’on voudra leur donner.
La feéte des thèofophes a été très-nombreufe. Nous
ne parlerons que de ceux qui s’y font fait un nom ,
tels que Paracelfe , Valentin , Fludd, Eoëhmius, les
.Van-helmont 8c Poiret.
Philippe AureolusThéophrafte Paracelfe Bombait
de Hobenheim naquit en SuilTe en 1493. Il n’y a forte
de calomnies que fes ennemis n’aient bazardées
contre lui. Ils ont dit qu’un foldat lui avoit coupé les
tellicules, dans la Carinthie où il étoit employé à
conduire un troupeau d’oies. Ce qu’il y a' de certain,
c ’eft que les premières années de fa vie furent diflo-
lues, 8c qu’il n’eut jamais de goût pour les femmes.
Il garda le célibat. Son pere prit fur lui-même le foin
de fon éducation. Il lui montra les humanités , 8c
l’inltruifit des principes de la médecine ; mais cet enfant
doué d’un génie furprenant, 8c dévoré du defir
de connojtre , ne demeura pas long-tems fous l’aile
paternelle. Il entreprit dans l’âge le plus tendre les
voyages les plus longs 8c les plus pénibles, ne mé-
prifant ni aucun homme ni aucune connoiflance, 8c
conférant indiftinétement avec tous ceux dont il ef-
péroit tirer quelque lumière. Il fouffrit beaucoup ;
il fut emprifonné trois fois ; il fervit ; il fut expofe à
toutes les miferes de la nature humaine : ce qui ne
l’empêcha point de fuivre l’impulfion de fon enthoufiafme
, 8c de parcourir prefque toutes les contrées
de rÈttrope, de l’Afie 8c de l’Afrique. L’enthoufiaf-
me eft le germe de toutes les grandes chofes, bonnes
ou mauvaifes. Qui eft-ce qui pratiquera la vertu
au milieu des traverfes qui l’attendent, fans enthou-
fiafme? Qui eft-ce qui fe confacrera aux travaux continuels
de l’étude, fans enthoufiafme ? Qui eft-ce
qui facrifiera fon repos, fa fanté, fon honheur, fa
v ie , aux progrès des fciences 8c des arts & à la recherche
de la v érité, fans enthoufiafme ? Qui eft-ce
qui fe ruinera, qui eft-ce qui mourra pour fon ami,
pour fes enfans, pour fon pays, fans enthoufiafme?
Paracelfe defcendoit à vingt ans dans les mines de
l’Allemagne ; il s’avançoitdans la Ruffie ; il étoit fur
les frontières de la Tartarie; apprenoit-il qu’un homme
pofledoit quelque fecret, de quelqu’état qu’il fût,
en quelque coin de la terre qu’il fût relégué, il le vi-
fitoit. Il s’occupoit particulièrement à recueillir les
ouvrages des chimiftes ; il alloit au fond des monaf-
teres les arracher aux vers, aux rats 8c à la poufliere ;
il feuilletoit jour 8c nuit Raimond Lulle 8c Arnaud
de Villeneuve ; il conféroit fans dédain avec les charlatans,
les vieilles, les bergers, les payfans, les mineurs,
les ouvriers; il vécut familièrement avec des
hommes d’un rang le plus diftingué, des prêtres, des
abbés,des évêques. Il difoit avoir plus appris de ceux
que.le monde appelle des ignorans, que toute l’ école
galénique ne favoit; il faifoit peu de cas des auteurs
anciens; il en abandonna la leâure de bonne heure; il
penfoit qu’il y avoit plus de tems à perdre avec eux
que de vraies connoiffances à recueillir. Il affeétoit
furtout le plus grand mépris pour les médecins qui
l’avoient précédé. Les médecins de fon tems ne le lui
pardonnèrent pas. U brûla publiquement à Bâle les
ouvrages d’Avicenne ; mon maître, difoit-il, je n’en
reconnois point d’autre que la nature 8c moi. Il fub-
ftitua les préparations chimiques à la pharmacie galénique.
Ses fuccès dans les cas les plus defefpérés
lui firent une réputation incroyable. Jean Frobenius
qui s ’eft immortalifé,finon par l’invention, du moins
par la perfection de l’art typographique, étoit tourmente
de la goutte au pié droit ; les remedes qu’on
lui ordonnoit, ne faifoient qu’irriter fon mal ; on
étoit fur le point de lui couper le pié ; Paracelfe le
vit 8c le guérit. Si l’on en croit Vanhelmont, la lepre,
l’afthme, la gangrené, la paralyfie, l’épilepfie, la
pierre , l’hydropifie, la goutte , le cancer 8c toutes
ces maladies qui font le defefpoir de nos médecins ,
ne lui réfiftoient pas. Les habitans de Bâle l’appelle-
rent à eux , 8c le nommèrent à une chaire de phyfi-
que. Il fit fes leçons en langue vulgaire, 8c il eut l’auditoire
le plus nombreux. Il ne favoit point de grec ;
la langue latine lui étoit peu familière ; d’ailleurs il
avoit un fi grand nombre d’idées qui lui étoient pro- .
près, 8c qui n’avoient point de nom dans aucun
idiome, foit ancien, foit moderne, qu’il eût été obligé
de s’en faire un particulier. Il s’appliqua beaucoup
plus à l’étude de la matière médicale , à la pratique
de la chimie,à la connoiflance8câ la cure des maladies,
qu’à la théorie 8c à l’érudition de l’art. Cependant
il ne négligea pas entièrement ces dernieres parties.
Il fit un ufage furprenant du laudanum qu’on appel-
loit dans fon éc«le le remede par excellence. Il parle
fouvent dans fes ouvrages de l’azoth qu’il définit li-
gnum & linta vit».On prétend que cet azoth eft le remedeuniv
erfel, la pierre philofophale. Ilauroitptt
jouir à Bâle de la confidération des hommes 8c du
repos , les deux plus grands biens de la v ie ; mais il
connoiffoit l’ignorance 8c les autres v ices de fes collègues
, 8c il s’en expliqûoit fans ménagement. Ses
cures les u lcéroient; fes découvertes les humiliaient;
fon défintéreffement leur reprochoit fans celle leur
avarice ; ils ne purent fupporter un homme d’un mérite
fi affligeant ; ils cherchèrent l’occafion de le mortifier.
L ’imprudent 8c vain Paracelfe la leur offrit ; il
entreprit la guérifon d’un chanoine de Bâle ; il en
v in t a bout ; les magiftrats reglerent fon honoraire
à un prix dont la modicité choqua Paracelfe ; il s’en
plaignit av ec amertume ; il fe compromit par l’indif-
crétion de fa plainte, 8c il fut obligé d efo rtir de Bâle
8c de fe réfugier en A lfa c e ,o ù il trouva des hommes
qui furent honorer 8c récompenfer fes talens;
Oporinus fon difciple, 8c le condu&eur de fon laboratoire
, préparoit les médicamens , Paracelfe les
adminiftroit ; mais cet homme avo it pris du goût
pour la v ie errante 8c vagabonde. Il quitta l’A lla c e ,
il revint en Su ifle , il difparut pendant onze ans. Il difo
it qu’il ne convenoit point à un homme né pour
foulager le genre humain, de fe fixer à un point de
la t e r r e , ni à celui qui favoit lire dans le liv re de la
n a tu re , d’en avoir toujours le même feuillet ouvert
fous les y e u x . Il parcourut l’Autriche , la Suifle , la
Bavière , guériflant les co rp s , 8c infeétant les âmes
d’un fyftème particulier de théologie qu’il s’étoitfait.
Il mourut à Salsbourg en 154 1 .
C e fut un homme d’un mérite Sc d’une vanité pro-
digieufe ; il fouffroit av ec impatience qu’on le comparât
à Lu th er, 8c qu’on le mît au nombre des difci-
ples de cet héréfiarque. Qu ’il fafle fon affaire , difo
it - il, 8c qu’il me laiffe faire la mienne ; fi je me
mêlois dé réforme , je m’en tirerois mieux que lui :
on ne nous affocie que pour nous perdre. O n lui attribue
la connoiflance de tranfmuer les métaux ; il eft
le fondateur de la pharmacie chimique ; il exerça la
médecine av e c le plus grand fuccès ; il a bien mérité
du genre humain, par les préparations dont il a enrichi
l’art de guérir les maladies. Ses ennemis l’accu-
ferent de plagiat ; il les défia de montrer dans quel-
qu’auteur que ce fû t , le moindre veftige de la plus
petite de fes découvertes, 8c ils refterent muets : on
lu i reprocha la barbarie de fes termes 8c fon obfcuri-
t é , 8c ce fut av ec raifon. C e ne fu t pas non plus un
homme pieux : l’habitude de fréquenter le bas peuple,
le rendit crapuleux ; les chagrins, la débauche, 8cles
veilles , lui dérangèrent la tête : il paffa pour forcier,
ce qu i fignifie aujourd’hui que fes contemporains
étoient des imbécilles. Il fe brouilla av ec les T h é o lo giens
; le moyen de penfer d’après fo i , 8c de ne fe
pâS*brouiller av ec eux ? Il a beaucoup é crit ; la plû-
part de ceux qui le ju g en t, fo it en b ien , foit en m a l,
n’ont pas lu une ligne de fes ouvrages : i l ala ifféu n
grand nombre de difciples mal inftruits, téméraires ;
ils ont nui à la réputation de leur maître, par la mal-
adreffe qu’ils ont m ontrée dans l’application de fes
remedes.
Il eut pour d ifciple , p o u r fe c ré ta ire , 8c pour ami,
Oporinus. Adam de Bodeftan profeflale premier publiquement
fa doétrine. Jacques G o h o r y la fit con-
noître à Paris. Gérard D o rn ee expliqua fa méthode
8c fes procédés chimiques. Michel T o x ite s’appliqua
à définir fes mots obfcurs. Ofw ald Crollius reduifit
le paracelfifme en fyftème, Henri K unra th, 8c Jofeph-
François Burrhus laifferentlà ce qu’il y avo it de vrai
8c d’important, pour fe précipiter dans le théofo-
phifme. ‘
V o ic i les principaux axiomes delà doftrine de Paracelfe
, autant qu’il eft poflible de les recueillir d’après
un auteur aulîi obfcur 8c aufli découfu.
La vraie philofophie 8c la médecine ne s’appren-
Çeut ni des anciens, ni par la créature, elles yiennent
de Dieu ; il eft le feul auteur des arcanes ; c’eft
lui qui a figné chaque être de fes propriétés.
Le médecin naît par la lumière de la nature'8c de
la grâce, de l’homme interne 8c invifible, de l’ange *
<jui eft en nous,par la lumière de la nature qui fait à fon
egard la fonction de maître qui l’inftruit, c’eft l’exercice
qui le perfectionne 8c le confirme-; il a été*produit
par l ’inftitution de Dieu 8c de la nature.
Ce ne font pas les fonges vains des hommes qui
fervent de bafe à cette philofophie 8c médecine ; mais
la nature que Dieu a imprimée de fon doigt aux corps
fublunaires, mais fur-tout aux métaux : leur origine
remonte donc à Dieu.
Cette médecine , cette momie naturelle, ce pépin
de nature , eft renfermé dans le l’oufre, tréfor delà,
nature entière ; il a pour bafe le baume des végétaux,
auquel il faut rapporter le principe de toutes
les actions qui s’opèrent dans la nature, 8c par la vertu
duquel feul toutes les maladies peuvent être guéries.
Le rapport ou la convenance de l’homme, ou du
petit monde au grand, eft le fondement de cette
fcience.
Pour découvrir cette médecine il faut être aftro-
nome 8c philofophe ; l’une nous inftruit des forces
8c des propriétés delà terre 8c de l’eau ; l’autre , des
forces 8c des propriétés du firmament 8c de l’air.
C ’eft la philofophie 8c l’aftronomie qui font le philofophe
interne 8c parfait, non-feulement dans le
macrocofme , mais aufli dans le microcofme.
Le macrocofme eft comme le pere , 8c le microcofme
, ou l’homme , eft comme l’enfant ; il faut
difpofer convenablement l’un à l’autre.
Le monde intérieur eft comme, un miroir, où. le
petit monde, ou l’homme, s’apperçoit ; ce n’eft pas
par la forme extérieure , ou la fiibftance corporelle ,
qu’ils conviennent ,'mais par les vertus 8c les forces j
ils font un 8c même quant à l ’effence 8c à la forme interne
; ils ne different que par la forme extérieure.
.. . Qu’eft-ce que la lumière de nature ?• fi-non une
certaine analogie divine de ce monde vifible, avec
le corps microcofmique.
Le monde intérieur eftla figure de l’homme ; l’homme
eft le monde occulte, car les chofes qui font vifi-
bles dans le monde, font invifibles dans l’homme ; 8c
lorfque ces invifibles dans l’homme fe rendent vifi-
bles , les maladies naiftent.
La matière de l’homme étantun extrait des quatre
élémens, il faut qu’il ait en lui de la fyinpathie aveC
tous les élémens Scieurs fruits j il ne pourroit fubfif-
ter ni vivre fans eux.
Pour éviter le vuide, Dieu a créé dans les quatre
élémens des êtres vivans, mais inanimés, ou fans ame
intelleétuelle ; comme il y a quatre élémens, il y a
quatre fortes d’habitans élémentaires ; ils different de
l’homme qui a été créé à l’image de D ieu , en entendement
, en fagefle, en exercices , en opérations 8c
en demeures.
Les eaux ont leurs nymphes, leurs ondains, leur»
mélozénis, 8c leurs monftres ou bâtards , les firenes
qui habitent le même élément.
Les terres ont leurs gnomes , leurs lémures, leurs
fylphes, leurs montains,leurs<zonnets, dont les monftres
font les pigmées.
L’air a fes fpeétres, fes fylvains, fes fatyres, dont
les monftres font les géans.
Le feu , ou le firmament, a fes Vulcanales, feS
pennates, fes falamandres, fes fupérieurs, dont les
monftres font les zundels.
Le coeur macrocôfmique eft igné, aerien, aqueux,
8c terreux.
L’harmonie célefte éft comme la maîtreffe 8c di-
reétrice de l’inférieure ; chacune a fon c ie l, fon fo-
leil, fa lune, fes planètes, & fes étoiles ; les chofes