marc* On côrtimence cette opération dans îa matinée,
& on continue la même manoeuvre jufqu’à ce
que tout le fuc foit exprimé, ayant foin de changer
de cabas dès qu’on s’apperçoit que celui dont on s’é-
toit fervi jufque-là eft percé. Quand on a tiré tout
le fu c , les uns avant que de l’employer le laiffent
tepofer un quart d’heure ; les autres en font ufage fui*
le champ ; quelques-uns , mais en petit nombre, mettent
auparavant dans le fuc une chopine où un pot
d’urine, fur environ trente pots de füc ( il y a en
général peu d’uniformité dans la maniéré de procéder).
La plupart emploient leiir füc tout de fiiite,
comme je viens de le dire. On en fent afi'ez la raifon
fans que je l’explique, & voici de quelle façon ils
procèdent.
. Ceux qui font cette préparation achètent à Montpellier,
ou dans d’autres villes voifines, de grands
lacs à laine, de vieilles ferpilieres, ou quelqu’autre
toile écrue ( je veux dire qu’on n’emploie à Gallar-
gues que cette efpece dè toile y qui n’a pas été blanchie
par la rofée, ni par la leffive) , qui ait déjà fervi
, & qui foit à bon compte ; fi elle • eft falë, on la
lave & on la fait fécher. Toute toile eft bonne pour
cette opération, pourvu qu’elle foit de chanvre, la
plus groflîere* la moins ferrée dans fon tiffu , n’eft
pas à rejetter ; mais il faut qu’on l’ait bien nettoyée,
car tous les corps pras & huileux font contraires au
fuccès de cette préparation.
On divife la toile-dont on fe fert en pliifièurs pièces
; fur cela il n’y a aucune réglé,- les femmes font
toute la manoeuvre de cette opération. Le fuc exprimé
eft porté dans une efpece de petite cuve de bois,
que nous appelions dans ce pays femâou ou comporte.
La femme a devant foi urt baquet de bois,- pareil à
ceux dont les blanchiffeufes fe fervent pour favon-
ner leur linge ; elle prend une, deux ou trois pièces
de toile, fuivant qu’elles font plus ou moins grandes
, qu’elle met dans le baquet ; elle verfe enfüite
fur ces morceaux de toile, tin pot du fuc de maurejs }
le qu’elle a toujours à fon côté ; & tout de fuite, par
un procédé pareil à celui des blanchiffeufes qui fa-
vonnent le linge, elle froiffe bien la toile avec fes
mains, afin qu’ elle foit partout bien imbibée de fuc. :
Cela fait, on ôte ces chiffons, & on en remet d’au- j
très qui font à portée , & toujours ainfi de fuite : on
ne ceffe de faire cette manoeuvre que tout le fuc exprimé
n’ait été employé. Après cette opération,-l’on
v a étendre ces drapeaux fur des haies expofées au
foleil le plus ardent, pour les faire bien fécher: on
ne les met jamais à terre, parce que l’air y pénétre-
roit moins facilement, & qu’il eft effentiel que les
chiffons fechent vite. Je ferai obferver que les femmes
qui font cette manoeuvre favent bien mettre à
profit tout leur fuc : les drapeaux ne fortent du baquet
qu’imbibés de ce fuc dans une j ufte proportion.
,
Après que les drapeaux ont été bien féchés au foleil
, on les ramaffe & on en forme des tas. Les femmes
ont foin un mois avant que de commencer cette
préparation, de ramaffer de l’urine dans leur cuve
de pierre, qui, après qu’on y a mis tous les ingré-
diens, eft appellée Valuminadou, ce qui indique
qu’on y mettoit autrefois de l’alun ; quelques particuliers,
en petit nombre, s’en fervent encore aujourd’hui.
La quantité d’urine qu’on met dans la cuve n’ eft
pas déterminée, on en met ordinairement une trentaine
de pots, ce qui donne cinq ou fix pouces d’u-
ri ne'dans chaque cuve. On jette enfuite dans la cuve
cinq à fix livres de chaux vive. Ceux qui font dans
l’ufage d’employer l’alun, y en mettent alors une
livre : car il faut remarquer qu’on y met toujours de
la chaux, quoiqu’on emploie l’alun. On remue bien
«e mélange avec un bâton ; après cela on place à la
fuperficie de l’uriné, desfarmens où desrQ.feaux affu-
jettis à chaque extrémité de la cuve ; on étend fut
ces rofeaux les drapeaux imbibés de fuc & bien féchés
: on en met l’un fur l’autre ordinairement fept
à huit, quelquefois plus ou moins , ce qui dépend
de la grandeur de la cuve ; on couvre epfuite cette
même cuvé d’un drap ou d’une couverture. Oit
laiflè communément les drapeaux expofés à la vapeur
de l’ùrine pendant vingt-quatre heures; fur
cela il n’y a aucune réglé certaine, ia force & la
quantité de l’Urine doivent décider : quelques particuliers
laiffent leurs drapeaux expofés à la vapeur
pendant plufieurs jours, les autres s’en tiennent ait
tenis que j’ai marqué. Mais pôitr juger avec certitude
du fuccès de l’opération, l’on vifite de tenis en
tems lés drapeaux ; & quand on s’apperçoit qu’ils ont
prisja couleur b leue, on les ôte de deffus la cuve. Il
fautfe fouvenir que pendant que les chiffons font expofés
à la vapeur de l’urine, il faut les retourner fens-
. deffus-deffous, afin qu’ils préfentent à la vapeur toutes
leurs furfaces. On doit prendre garde que les chiffons
qui font fur les morceaux de bois expofés à la
vapeur de l’urine, ne trempent point dans cette liqueur,
ce feroit autant de perdu, l’urine détruiroit
entièrement la partie colorante des drapeaux.
Comme il faut une grande quantité d’urine, & que
d’ailleurs les cuves font trop petites pour que l’on
puiffe colorer dans l’efpace d’uh mois & demi tous
les drapeaüx que demandent les marchands, les particuliers
ont eu recours à une autre méthode, ils ont
fubftitué le fumier à l’urine ; cependant la plus grande
partie emploient l’urine, mais tous en font en même
tems par l’une & par l’autre méthode. Les drapeaux
que l’on colore par le moyen de l’urine, font
les plus aifés à préparer ; quelque tems qu’on les laiffe
expofés à fa vapeur, ils ne prennent jamais d’autre
couleur que la bleue, & la partie colorante n’eft jamais
détruite par Palkali volatil qui s’élève de l’urine,
quelque abondant qu’il foit: il n’en eft pas de même
quand on emploie le fumier; cetté autre méthode
demande beaucoup de vigilance, comme nous l’allons
voir. Dès qu’on veut expofer les drapeaux qui
ont reçu là première préparation à la vapeur du fumier,
on en étend une bonne couche à un coin dè
l’écurie ; fur cette couche on jette un peu de paille
brifée, on met par-deffus les chiffons entafles les uns
furies autres, & tout de fuite on lescouvre d’un drap,
comme dàns l’autre méthode : on met fur le fumier
à-peu-près le même nombre de drapeaux que l’on
expoferoit à la vapeur de l’urine.
Si le fumier eft de la première force, on va au bout
d’une heure retourner fens-deffus-deffous les chiffons;
une heure après on va encore les vifiter, & s’ils ont
pris une couleur bleue , on les retire de deffus le fumier
; on les met en tas>& on les ex-pofe à l’air pour
les faire fécher. Je ferai remarquer que fi le fumier
n’eft pas fort, on les y laiffe plus long-tems, quelquefois
douze heures, & plus même s’il eft néceffai-
re. On fent bien que tout ceci dépend des différent
degrés de force du fumier : la couleur bleue eft la
pierre de touche po,ur connoître la durée du tems
dont nous parlons. On doit être attentif à vifiter fou-
vent les drapeaux ; car la vapeur du fumier, fi on les
y laiffoit trop long-tems expofés, en détruiroit la'
couleur, & to u t le travail feroit perdu. Le fumier
qu’on emploie.eft celui de cheval, de mule ou dè
mulet. Certaines femmes expofent d’une autre maniéré
leurs drapeaux à la vapeur du fumier ; elles les
mettent entre deux draps,& les draps entre deux couches
de fumier.-
Pour l’ordinaife on n’expofe qu’une feule fois les
chiffons à la vapeur de l’urine-ou du fumier. Quelques
particuliers m’ont dit que quand l’opération ne
réuffiffoit pas par le moyen du fumier, on expofok
les drapeaux qu’on n’avoit pu colorer par cetfë voie,
à la vapeur de l’urine ; mais ces cas font extrêmement
rares. Je ferai obferver que pendant tout le
tems que dure cette préparation, l’on met prefque
tous les jours de l’urine dans la cuve ; & à l’égard de
ia chaux vive, on n’en met que trois fois pendant
toute la durée de l’opération : il en eft de même
quand on y met de l’alun. On remarquera que toutes
les fois qu’on expofe de nouveaux drapeaux à la vapeur
de l’urine, il faut, avant de les y expofer , bien
remuer l’urine avec un bâton ï on change de même
le fumier à chaque nouvelle opération. Après que
les femmes Ont achevé toutes leurs préparations,
qui fe font chaque année, elles jettent l’urine de leur
cuve qu’elles nettoyent bien.
Nous avons dit qu’on n’expofoit qu’une feule fois
les drapeaux à la vapeur de l’urine ou dufùmier:
cette opération étant faite, comme je viens de la décrire
, on a de nouveau fuc de maurelle ( car il eft
bon de faire obferver que pendant toute la durée de
Cette préparation, il y a des hommes en campagne
pour recueillir delà maurelle ) ; on imbibe une fécondé
fois les drapeaux de ce nouveau fu c , en faifant la
même manoeuvre qu’à la première opération , je
veux dire qu’on favonne en quelque forte les drapeaux
avec ce nouveau fuc , oc on les fait bien fécher,
comme nous avons dit» Si après cette fécondé
ïmbibition de fuc les chiffons font d’un bleu foncé
tirant furie noir, on ne leur fournit plus de nouveau
fuc ; alors la marchandife eft dans l’etat requis. Si les
chiffons n’ont pas cette couleur foncée que je viens
d’indiquer, on les imbibe de nouveau fuc une troi-
ïieme fois > quelquefois une quatrième, mais ces cas
font bien rares.
Les particuliers qui font cette préparation , ne
commencent à imbiber leurs drapeaux de fuc de maurelle
que vers les dix ou onze heures du matin, comme
j’en ai été témoin : la raifon en eft qu’alors le foleil
commence à être dans fa plus grande force , &
que les drapeaux étant expofés à fon ardeur, fechent
plus vîte. Le tems eft très-favorable , comme je l’ai
déjà d it , quand le vent eft majhijirâou ou nord oueft,
& le foleil bien ardent. Onfe gardé bien de faire cette
préparation quand le vent eft fud-eft , ou , comme
on dit dans ce pays-ci, marin ; on rifqueroit alors de
erdre tout le fruit de fon travail i ce vent eft fort
umide , & les chiffons, pour réuflir, doivent fecher
promptement. Il eft arrivé dans'certaines années plu-
vieufes, que des particuliers ont perdu leur maurelle
, recueillie avec beaucoup de peine, faute de
trouver un jour favorable.
Nous avons dit que quand la toile qù’on emploie
eft fale , on la lave & on la fait fécher ; de même il
faut prendre garde qu’elle ne foit pas imbibée de
quelque corps gras ou huileux. On me raconta qu’un
particulier avoit employé dans fa fabrique certaines
toiles qui avoient fervi lur les vaiffeaux ; elles étoient
un peu enduites de gaudron, cela fit une mauvaife
préparation , à caufe que le gaudron empêchoit le
lue de faire union avec le chanvre ; auffi lui eonfif-
qua-t-on fa marchandife, comme n’étant pas de recette.
Je remarquai,étantau grand Gallargues, que dans la
grande quantité de drapeaux colorés, il y en avoit
quelques morceaux qui n’avoient pas pris la couleur
bleue. Je ne fus pas lurpris de ce phénomène, dès
que j’eus vu manoeuvrer les femmes ; elles n’obfer-
vent pas beaucoup de régularité en étendant leurs
chiffons, tant fur la cuve que fur le fumier : la partie
volatile de l’urine ou du fumier ne peut pas pénétrer
par-tout egalement. D ’ailleurs, fi on a le malheur de
laiffer un peu trop long-tems les drapeaux à la vapeur
du fumier, qui a beaucoup de force, il mangé la
•couleur, fi je puis m’exprimer ainfi; au lieu d’être
Tom X V I .
bleue, elle tire fur la couleur de chair : lés femmes
appellent cela en leur langue faula. Aufti la plupart
de celles qui ont leurs chiffons fur du fumier extrê-
ment fo r t , vont-elles les vifiter fouvent.
On m’a raconté à Gallargues & dans les lieux voi-
fins, qù’on ne pouvoit préparer ces drapeaux de là
maniéré que je viens de décrire, que dans ce premier
village feulement î les habitans du grand Gallargues
& des environs le croient fermement ; voici les preuves
qu’ils en donnent. Les filles de ce village,difent-
ils , qui vont fe marier ailleurs * par exemple * à Ai*
gu es-vives, autre village qui n’en eft éloigné que
d’une petite lieue , ne peuvent féuffir à faire cette
préparation , quoiqu’elles l’aient faite plufieurs fois
dans leur maifon. Tout ce ci fent le merveilleux ; j’ai
l’expérience du contraire. J’ai préparé moi-même à
Montpellier dans mon laboratoire de pareils drapeaux
, par le moyen de la vapeur de l’urine, & ils
font auffi beaux que ceux qu’on nous envoie de Gallargues.
Il eft vrai de dire, qu’au fujet des drapeaux
qu’on prépare au grand Gallarques , on ne peut le
faire que dans une partie dé Cette province & dans
quelqu’autres voifines , comme la Provence & une
partie du D auphiné, où cette plante croît dans quelques
cantons.
M. Niffolle dit, que la maurelle ne Croit pas dit
côté de Lyon, ni en Auvergne : fi elle croiffoit en
Hollande, les Hollandois ne feroient pas affez dupes
pour nous acheter nos drapeaux ; ils les prépareroient
chez eux, & par-là ils épargnèroient beaucoup. Cè
feroit au gouvernement à acheter ou à fe procurer le
fecret des Hollandois pour faire la pierre bleue ap*
pellée tournefol ; le commerce en retirer oit un grand
avantage, & principalement cette province; par cô
moyen deux préparations fe feroient dans le mêmé
pays. Il eft impoffible de faire la première, que dans
le pays où la maurelle croît naturellement : s’il étoit
Inéceffaire de la multiplier, on pourroit laiffer mûrir
la graine , 6c en femer des champs comme on feme
le blé.
Je penfe qu’un jou r , il en faudra venir à ce que
je prOpofe;cette année(i76o), la maurelle a manqué,
les marchands n’ont pas pu avoir la quantité des drapeaux
qu’on leur demande d’Hollande ; on n’en a
préparé à ce qu’on m’a affuré , que pour trois mille
livres. Si le gouvernement n’y prend garde, on détruira
entièrement cette plante ; les payfans qui font
cette récolté arrachent la plante, & alors la graine
n’eft pas mûre, & par-là on Voit qu’elle ne peut pas
fe multiplier, ils affurent que Ce qui a fait la rareté
cette année de la maurelle, c’eft la féchereffe, .& qu’il
n’a pas plû au commencement de l’été ; mais je crois
que c’eft faute de graine qu’il n’en vient point, cette
plante n’étant pas vivace.
La maurelle ne peut pas être tranfportée fort loin,
parce qu’il faut qu’elle foit verte pour être employée,"
& qu’on ne peut la garder trop long-tems fans qu’elle
fe gâte par une trop grande fermentation, comme
onpeut levoir dans la théorie que j’ai donnée du procédé.
Voye^ le mém. de l’acad. royale des Sciences ,
année 1754, pag. 6$ 8. 6* fuiv.
Quand les drapeaux ou chiffons, préparés comme
je viens de le dire , font bien fecs , on les emballe
dans de grands facs, on les y ferre & preffe bien ,
puis on fait un fécond emballage dans d’autres fa es
dans de la toile avec de la paille, & on en forme des
balles de trois ou quatre quintaux ; des marchands-
commiffionnaires de Montpellier ou des environs ,
les achètent pour les envoyer en Hollande, en les
embarquant au port de Cette. Cette marchandife fè
•vend 30 à 31 Iiv. le quintal, elle a valu certaines années
jufqu’à 50 liv. On m’a affuré qu’on fabriquoit
toutes les années dans ce village ( qui eft compofé
de 130 maifons, & qui a mille habitans ) de ces draç