qu’elles en avoient beaucoup plus avec celles du fo -
lanum fomniferum ; il en eft de même de Lobel lorf-
qu’il les a comparées à celles du calament de montagne.
Elles font d’un verd pâle & prefque cendré, attachées
à un fort long pédicule.
Les fleurs font renfermées dans des petits boutons,
lefquels forment une elpece de grappe quifort d’entre
les aiffellesde chaque branche, & d e leur extrémité.
Elles font les unes ftériles, & les autres fécondes.
Les ftériles qui occupent la fommité de cette grapp
e , font contenues dans un calice divifé en cinq parties
découpées jufqu’au centre ; elles font compofées
de cinq petites feuilles jaunes , placées autour d’un
petit Hile rond furmonté de quelques étamines de
même couleur difpofées en aigrette ; comme elles
font attachées par un fort petit pédicule qui feche à
mefure que la grape croît & s’é lève, elles fe fannent
& tombent en fort peu de tems.
Le calice de celles qui en occupent la bafe, & qu i
font fécondes , eft divifé en dix pièces fendues pareillement
jufqu’au centre ; elles font compofées de
cinq petites étamines jaunes furmontées chacune d’un
petit fommet de même couleur. Elles font placées
autour du piftil qui eft chargé de trois filets fourchus
& jaunes. Ce piftil qui eft dans le fond du calice
, devient dans la fuite un fruit rond, raboteux
d’un verd foncé divifé en trois loges, qui renferment
chacune une femence ronde & blanche. Il eft attaché
avec fon calice à un pédicule affez long; de-forte que
lorfque les premières fleurs ont paffé,& que le fruit eft
arrivé à fa jufte groffeur, il pend des aiffellés des
branches , & femble y être né fans aucune fleur. C’eft-
là ce qui en a impofe à tous ceux qui ont avancé que
les fleurs & les fruits de cette plante naiffent fur des
piés différens.
La Médecine ne tire aucun fecours de cette plante
pour la guérifon des maladies , quoique Diofcoride
nous allure qu’elle eft excellente pour chaffer les
vers du corps, & pour la guérifon de cette efpece
de verrue, que les Grecs appellent axpoKopS'uv, en les
frottant de fon fuc mélé avec un peu de fel ; mais
elle fe vend cher, parce que fon ufage eft réfervé pour
la teinture ; aufli les auteurs qui en parlent fous le
nom d’heliotropium, ont eu raifon de dire que le fuc
de fon fruit donnoit un verd éclatant, qui fe chan-
geoit promptement en un fort beau bleu ; le fuc des
grappes de fleurs produit la même chofe , mais cela
n’arrive point à celui des feuilles. En effet le tournefol
en pâte & en pain a pour bafe le fruit de cette plante.
Celui qu’on prépare à Gallargues , village du dio-
cèfe de Nîmes, à, quatre ou cinq lieues de Montpellier,
eft en grande eftime. On s’en fert en Allemagne
, en Angleterre & en Hollande pour donner une
agréable couleur aux confitures , gelées'& autres liqueurs.
Pomet & Lemery fe font trompés en avançant
que le tournefol en drapeau fe faifoit avec des
chifons empreints d’une teinture rouge préparée avec
le fuc des fruits de ¥htliotropium , & un peu de liqueur
acide. Mais voici en deux mots la préparation
du tournefol à Gallargues.
Les payfans de ce village ramaffent au commencement
du mois d’Août lesfommités duracinoïdes,
u’ils appellent de la manulU , & les font moudre
ans des moulins affez femblables à nos moulins à
huile : quand elles ont été bien moulues, ils les mettent
dans des cabats , & mettent ces cabats à une
preffe, pour en exprimer le fuc qu’ils expofent au
foleil pendant une heure ou deux. Après cela ils y
trempent des chifons qu’on étend enfuite fur une haie,
jufqu’à ce qu’ils foient bien fecs ; cela fait, on prend
environ dix livres de chaux vive qu’on met dans une
cuve de pierre ; & l’on jette par-deffus la quantité
d’urine qui peut fufîire pour éteindre ladite chaux :
on place des bâtons dans la même cu ve, à la'hauteur
d’un pié de liqueur, fur lefquels on étend les chifons
qu’on avoit déjà fait fécher. Après qu’ils y ont
refté jquelque-tems , c’eft-à-dire , jufqu’à ce qu’ils
aient été hume&és par la vapeur de l’urine & de la
chaux, on les tire de la cu v e , on les fait fécher au
foleil, & quand ils font bien fecs , on les retrempe
comme auparavant dans du nouveau fuc , & pour-
lors on les envoie en différens pays de l’Europe.
Il y a beaucoup d’apparence que les efpeces de
tournefol en pâte & en pain qu’on reçoit d’Hollande
fe fabriquent ou avec ces memes chifons qu’on leur
a envoyés de Montpellier, ou fe font avec d’autres
drogues dont le fecret nous eft inconnu ; il eft du-
moins certain que le ricinoïdes ne croît point en Hollande
, & que leur tournefol en pain eft précieux.
T ournesol , ( Chimie. ) on donne en général le
nom de tournefol à plufieurs préparations chimiques
qui donnent une teinture d’un bleu pourpre. Il fera
parlé des plus connues dans la fuite de cet article.
Celle qu’on appelle en particulier pierre de tournefol,
eft la principale de ces préparations. Cette pierre de
tournefol fe fabrique en Hollande, félon un procédé
qui eft abfolument ignoré en France. Nous fournif-
fons feulement aux Hollandois les chifons ou drapeaux
qui en font la bafe ou matière première. Ces
chifons fe préparent au grand Gallargues, village du
bas Languedoc du diocèie de Nîmes, oîi on les imbibe
du fuc d’une plante , qui croît naturellement
dans le p a ys, & qu’on appelle en langue vulgaire
maurelle, nom que j’adopte dans cet article. M. de
Tournefort appelle cette plante ricinoïdes ex qua
paratur tournefol Gallorum , injl. rei herb. app. 565.
M. Linnæus là nomme croton foliis rhombeis, répandis,
caule herbaceo. Feu M. Niffolle , de la fociété royale
des Sciences deaMontpellier, a donné la defeription
de cette plante, qu’il a accompagnée d’une figure très-
exafte. Voye^ les mémoires de l’académie royale des
Sciences , année iy i z , page 335). PL X V II. tout ce
travail fera expofé à la fin de cet article.
M. Lemeri dit dans fon traité des drogues,/». 86^.
qu’on prépare le tournefol en Languedoc avec le fruit
de Yheliotropium tricoccum , qui eft une autre plante
d’un genre bien différent de la précédente. Voye^
Héliotrope ou Herbe au x verrues. On voit
que M. Lemeri étoit mal inftruit fur cette préparation
où l’héliotrope n’entre point, & où jamais il n’a pu
être employé.
M. Lemeri dit dans le même traité des drogues, que
la perelle , la chaux & l’urine entrent dans la com-
pofition du tournefol. On m’a affuré que l’orfeille y
entroit encore.
M. Lemeri dit encore dans fon traité des drogues,
qu’on fabriquoit à Lyon du tournefol qui étoit inferieur
à celui d’Hollande. Je crois que M. Lemeri fe
trompe. On m’a affuré qu’on n’a jamais fabriqué la
pierre de tournefol à Lyon. Je penfe que M. Lemeri a
confondu aveè la pierre de tournefol, la préparation
de la perelle & d’un autre lichen, qui eft une efpece
d’orfeille qu’on prépare à Lyon pour la teinture.
On nous envoie le tournefol d’Amfterdam tel qu’on
le voit chez les épiciers-droguiftes ; favoir en petits
pains fecs d’une couleur bleue foncée, dé formé parallélépipède
d’environ un pouce de longueur. En cet
état on l’appelle tournefol en pâte ou en pain.
L e tournefol étoit autrefois d’un ufage plus étendu.
Mais depuis que les Chimiftes ont découvert le bleu
de Pruffe, l’indigo, le paftel, &c. & les autres bleus
qui fe préparent en Allemagne, & qu’on tire du co-
bolt, ceux-ci ont été fubftitués en beaucoup d’occa-
fions au tournefol, & effectivement la couleur du
tournefol eft peu durable ; elle pâlit à l’air, & le moindre
acide la détruit.
Le tournefol fe dîffoutfort aifément dans l’eau froide
, il donne une teinture bleue fort chargée, qui eft
de
de faux teint, & que les teinturiers n’appliquent que
fur des toiles de fil ou de coton.
Les peintres s’en fervent quelquefois pour colorer
le papier & le crayonner. On l’emploie aufli à la de-
trempe &fans gomme, parce que cette couleur eft
fine & n’a pas de corps. On en peint quelquefois
les murailles bien blanchies avec la chaux, qui ne
font pas expofées à la pluie. On n’en fait aucun ufage
avec l’huile, ni dans les frefques.
Les deflinatevirs s’en fervent pour les differens dei-
feins qu’ils tracent fur la toile, ou fur les étoffes de
foie qu’on veut faire broder ; mais l’ufage le plus
commun du tournefol eft pour teindre le papier ;par
exemple , ce gros papier d’un bleu fonce tirant fur
le violet, avec lequel on envelope le fucre, eft teint
avec le tournefol. , v‘ ,
Les chimiftes fe fervent de.la diffolution tres-eten-
due ou délayée de tournefol dans l’eau, qu’ils appellent
communément teinture de tournefol, pour re-
connoître fi une liqueur faline contient de l’acide o u .
de l’alkali, & lequel de ces deux principes y eft fur-
abondant. Si c’eft l’acide, la teinture rougit ; fi c’eft
l’alkali, elle verdit, mais ce verd tire un peu fur le
pourpre; & fi elle eft neutre ,.la couleur ne change
point. Quoique cet effet foit en général affez confiant
, il a fes exceptions, mais en petit nombre. On
fe fert encore de la teinture de tournefol dans l’ana-
lyfe des eaux minérales à la même intention.
Leslimonnadiers&lesconfifeurs l’emploient pour
imiter ou foncer les infufions de violette , & pour
donner la couleur bleue ou violette à plufieurs liqueurs
: mais c’eft une faifification véritablement condamnable
; car les liqueurs ou firop ôù il y a du tournefol,
ont toujours uii mauvais goût tirant fur le
pourri. On s’en fert encore, mais fans inconvénient-,
dans le même art pour donner une couleur bleue à
certaines pâtes, conferves, & autres confitures. On
peut donner une couleur violette à l’efprit-de-vin,
en y verfant quelques gouttes d’une forte teinture de
tournefol.
On emploie encore beaucoup la pierre de tournefol
dans les blancheries de toiles, en particulier pour
les cambrais & les batiftes que Ton paffe à ce bleu,
après les avoir paffées au lait.
Outre ce tournefol que nous pouvons appeller le
nôtre, ou le tournefol de Languedoc, Lemeri (traite des
drogues) fait encore mention d’un tournefol en drapeau
, qu’il dit venir de Conftantinople, & qu’il affu-
re être fait avec de la cochenille & quelques acides.
Ce qui paroît impoflible, puifque les acides éclair-
ciffent le rouge de la cochenille, & le font changer
en ponceau ou orangé. Les alkalis pourroient plutôt
produire cet effet , en tournant la couleur rouge en
violet.
Il y a fuivant le même auteur, du tournefol fait
avec du coton; c’eft du coton applati de la grandeur
& figure d’un écu , qu’on teint en Portugal avec la
cochenille mejleque. M. Lémeri dit que l’un & l’autre
tournefol fervent à colorer les liqueurs & les gelées
de fruits. Mais toutes ces efpeces de teintures
ne font plus en ufage, & on n’entend aujourd’hui
par tournefol, que celui qui fe fait avec le fuc de la
maurelle; &c c’eft de celui-là que je vais parler d’après
le mémoire que j’ai donné fur cette matière,
dans le volume des Mém. de Vacad. royale des Scienc.
pourVann. ty5^.
Pour l’intelligence du procédé que je vais décrire
, il eft néceffaire que je dife un mot delà maniéré
dont’on ramaffe la plante, & des inftrumens dont
on fe fert pour faire cette préparation. J’ai appris
de plufieurs habitans du grand Gallargues, qu’on
préparoit ces drapeaux dans ce village depuis plu-
fieurs fiecles.
« Les habitans du grandGallargues n’ont pas la li-
Tome XVI.
» berté de cueillir la maurelle dans tous les tems da
» l’année. En vertu d’un ancien réglement, ils ne
» peuvent faire cette récolte qu’après en avoir obte*
» nu la permiflion des maire & confuls du lieu. On
» donne ordinairement cette permiflion à toute la
» communauté vers le z 5 Juillet, tems où la récolte
» du blé eft déjà faite, & où la maurelle eft dans
» fa perfection. On ne fait dans l’année que cette
» feule récolte, depuis le 15 Juillet jufqu’au 5 ou 8
» de Septembre. Les payfans vont alors chercher
» cette plante à quinze ou vingt lieues à la ronde
» dans le Gévaudan, & même jufqu’en Provence. Ils
» ont grand foin de fe cacher les uns aux autres les
» lieux particulier où elle croît en abondance : ils
» font cette récolte en diligence, la plante pour pou-
» voir être employée, devant être fort récente ; la
» fermentation nuifant toujours au fuccès de l’opé-
» ration dont il s’agit : il faut aufli que la maurelle ne
» foit pas terreufe.
» Les vaiffeaux & inftrumens dont on fe fert ne
» font pas tous de la même grandeur, & on croit
» affez inutile de les affujettir à une certaine capacité
» déterminée.
» Les particuliers qui font l’opération que nous
» décrivons, placent leurs vaiffeaux à un rez-de-
» chauffée, dans une efpece de hangar ou d’écurie,
» où l’on voit d’abord un gros preffoir fait de bois
» de chêne v erd, & foutenu des deux côtés fur deux
»> murs de maçonnerie. Ce preffoir a d’ordinaire un
» pié d’épaiffeur à chaque bras, fur huit piés & demi
» de longueur, & un pié & demi de hauteur : je ne
»• puis mieux le comparer qu’à une grande preffe de
» relieur. On pratique fous ce preffoir une cuve de
» pierre, qu’on appelle en langue vulgaire pile; elle
» a communément la forme d’un parallélépipède 9
» & rarement celle d’un gros cylindre ; fon épaiffeur
>> ordinaire eft de trois ou quatre pouces : on lui don*
» ne intérieurement un pié & demi de large, fur
» trois piés de long, & fur deux piés de profondeur:
» c’eft dans cette cuve qu’on met l’urine & autres
» ingrédiens néceffaires. Enfin on trouve dans cè
» même lieu un moulin, dont la meule pofée de-
» champ, a un pié d’épaiffeur ; un cheval la fait tour-
» ner relie roule autour d’un pivot perpendiculaire,
» dans une orniere circulaire,affez large & affez pro-
» fonde, où l’on met la maurelle qu’on veut broyer.
» Ce moulin eft de même forme que ceux dont on
» fe fert pour écrafer les olives ou le tan. M. Aftruc,
» de la fociété royale des Sciences de Montpellier ,,
» a donné la figure très-exa&e de ce moulin , dans
» fes Mémoires pour l'hifloire naturelle de la province
; » de Languedoc. Voyez pages 3 3 6 ,3 3 7 . PL V I .
» f ig . 1 .»
Procédé de la coloration des drapeaux ou chiffons avec
lefquels les Hollandois font la pierre de tournefol. Les
, habitans du grand Gallargues qui ont ramaffé une
certaine quantité de maurelle , choififfent pour la
faire broyer & en tirer le fu c , un jour convenable.
Ils veulent que le tems foit fort ferein , l’air fec, le
foleil ardent ; que le vent fouffle du nord ou du nord-
oueft : il n’eft pas difficile d’avoir au mois d’Août,
dans lé bas Languedoc , des jours où toutes ces cir-
conftances fe trouvent réunies. La conftitution de
l’atmofphere étant telle que nous venons de le dire,
on fait moudre la maurelle dans le moulin que nous
avons décrit ; quand elle eft bien écrafée, on la met
dans un cabas de forme circulaire, fait d’une efpece
de jonc , & fabriqué à Lunel, parfaitement fembla-
ble à ceux dont on fe fert pour mettre les oiiveS au
■ preffoir. On remplit le cabas de maurelle bien écrafée
, on la met enluite au preffoir & on preffe fortement
; le fuc découle dans la cuve de pierre, placée
immédiatement fous le preffoir : dès qu’il a ceffé de
couler, on retire le cabas du preffoir, & on jette le