
ra c e, Seneque, Pline le jeune, Juflin , Simmaque,
Vegece, 6c. Ce concours unanime prouve combien
la chaffe a été regardée utile au prince & à la jeune
nobleffe deflinée a être le foutien des états par fa
bravoure.
Les Lapons négligent la culture de leurs terres pour
ne vivre que de gibier & de poiffon : prefque tous les
Tartares ne fubfiflent aulîi que de leur chaffe & de
leurs haras ; quand le gibier leur manque, ils mangent
leurs chevaux , & boivent le lait de leurs cavales.
Les lettres curieufes des jéfuites millionnaires à
la Chine , contiennent des relations de chaffes faites
par des armées entières de plufieurs milliers d’hommes.
Elles font très-fréquentes chez les Tartares mon-
gules. Les Indiens de l’Amérique chaffent continuellement
, pendant que leurs femmes font occupées
des foins domefliques. Quand ces fauvages entreprennent
de longs voyages , ils ne comptent pour
leur fubfiftance que fur les fruits que la nature leur
offre par-tout en abondance , ou fur les bêtes qu’ils
pourront tuer dans leur chemin. On peut affurer que
la moitié des habitans du monde ne vit encore que
de la chaffe.
Nos premiers rois fe font confervé les grandes
forêts de leur royaume : ils y pafloient des faifons
entières pour prendre le plaifir de la chaffe. On voit
dans Grégoire de Tours que le roi Gontran devint fi
jaloux de fa chaffe, qu’il en coûta la vie à trois de
fes courtifans pour avoir tué un buffle fans fa permif-
fion. Il étoit pour lors dans les montagnes de Vauges,
où il avoit placé une de ces réferves de chaffe. Charlemagne
& fes premiers fucceflèurs n’eurent point
de féjour fixe, par le plaifir de chaffer dans différens
endroits ; ces monarques pafloient leur régné à aller
fucceffivement d’Airt-la-Chapelie dans l’Aquitaine ,
& du palais de Cafenveil dans celui de Verberie en
Picardie. Toutes les affemblées générales de la nation
oîi les grands parlemens auxquels les rois préfidoient
en perfonne fur tout ce qu’il y avoit de plus illuflre
parmi les françois , fe terminoient toujours par une
chaffe. Les chaffeurs voulant faire choix d’un faint
pour célébrer leur fête fous fon aufpice , réclamèrent
avec toutela France S. Martin ; enluite le royaume
ayant changé de protefteur , les chaffeurs n’a-
dopterent qu’en partieS. Denis que tous les ordres de
l ’état s’étoientchoifi ; ils voulurent un patron qui eût
eu leur goût, & pratiqué leur exercice, & eurent recours
à S.Hubert, dont on débitoit que la vocation
étoit venue par l’apparition qu’il eut en chaffantd’un
cerf qui portoit une croix entre fon bois. La fête de
ce faint, qui arrive préfentement le 3 Novembre,
a beaucoup varié , ou plutôt y ayant eu plufieurs
tranflations du corps de ce faint, chacune en fut une
fête ; ainfi il y avoit une S. Hubert en A v ril, une en
M a i, qui efl le véritable tëms de fa mort ; une autre
en Septembre, une en Novembre, qui efl celle qu’on
a retenue, & enfin une en Décembre. Il n’y avoit cependant
que celles de ces fêtes qui arrivoient en Mai
&c en Novembre , au verd naiflant, &c à la chûte des
feuilles , qui fe célébraffent avec plus d’éclat &
& de folemnité , parce qu’elles arrivoient dans le
tems de deux grandes affemblées de la nation ; celle
du printems au champ de Mars, & celle d’automne;
ces deux occafions étant les plus favorables pour lier
de nombreufes parties de chaffe , pendant que la
grande noblëffe étoitréunie &en train de fe mouvoir.
Il paroît par des monumens certains que dès le
onzième fiecle , S. Hubert , nouveau patron des
chaffeurs, étoit encore réclamé contre la rage ; cette
maladie attaquant plus ordinairement les chiens que
tous les autres animaux par l’altération extrême qu’ils
fouffrent quelquefois à la campagne , ou quand on
les néglige dans les chenils, ceux qui avoient foin
des meutes, prioient le faint de préferver leurs bêtes
de la rage, & la dévotion des valets paffant jufqu’aux
maîtres , ceux-ci adrefferent leurs prières au même
faint pour qu’il les préfervât de tout fâcheux accident
dans le métier de la chaffe. Arrien dit qu’il y
avoit des chaffeurs dans les Gaules qui facrifioient
tous les ans à Diane; ils avoient pour cela une efpece
de tronc dans lequel ils mettoient pour un lievre pris
deux oboles, pour un renard une dragme , pour une
biche quatre dragmes ; ainfi tous les ans à la fête de
Diane , ils ouvroient ce tronc, & de l’argent qui s’y
trouvoit, ils achetoient une viftime, les uns une brebis,
les autres une chevre, quelques autres un veau;
le facrifice étant achevé,& ayant offert les prémices des
viûimes à Diane, les chaffeurs faifoient bonne chere ,
& la faifoient faire à leurs chiens qu’ils couronnoient
de fleurs, afin qu’il parût que la fête fe faifoit pour eux.
t Dans une entrevue faite entre la reine Jeanne de
Bourbon, femme du roi Charles V , & la ducheffe
de Valois fa mere, le duc de Bourbon donna un fpec-
table de chaffe aux deux princeffes dans le voifinage
de Clermont : il y prit un ce r f, & leur en fit préfen-
ter le pié par Ion grand-veneur. François I. que
Fouilloux appelle le pere des chaffeurs, s’étant égaré
un jour à la chaffe , fut obligé de fe retirer chez un
charbonnier , de la bouche duquel il entendit la vérité
, peut-être, pour la prëmiere fois. On conte la
même hifloire d’Anthiocus.
Acculais arrivés à la chaffe. Adonis efl bleffé à mort
par un fanglier : la Phénicie & l’Egypte retentiffent
des cris qui fe font à fes funérailles ; fon fang efl changé
par Vénus en une fleur, ( l ’anémone.) Méléagre
mourut après avoir tué lemonflrueux fanglier de Ca-
lydon : l’empereur Bafilede Grece fut tué par un cerf
aux abois : Théodebert, roi d’Auflrafie, mourut de la
chûte d’une branche d’arbre qu’un buffle qu’il pour-
fuivoit lui fit tomber fur latête, l’animal ayant heurté
l’arbre avec fes cornes. Amé VI. comte de Savoie ,
périt, d’une chûte de cheval, étant à la pourfuite d’un
fanglier'dans une forêt près de Thonon en Chablois.
Marie, ducheffe de Bourgogne , la plus riche héri-
ritiere de fon tems , mourut d’une femblable chûte
dans un retour de chaffe. Chilpéric I. & Childéric Iï.
furent tués en revenant de chaffer ; le dernier pour
avoir fait châtier indignement unfeigneur de fa cour.
On lit dans le manuferit de Fcebus , au chapitre du
R u t , qu’il a vu des cerfs tuer des valets de limiers ,
& des limiers en les lançant ôc d’autres venir fur
les chevaux.il parle encore d’unGodefroy d’Harcourt
bleffé au bras d’un coup de fléché à la chaffe à l’arba-
lête. Sous le régné d’Henri IV. il y eut deux veneurs
de S. M. tués par des cerfs, l’un dans la forêt de Li-
v r y , il s’appelloit Clairbois ; l’autre appellé S. Bon,
dans la forêt de Sennar. En 1715 , M. le duc de Melun
fut tué dans la forêt de Chantilly par un cerf qui
lui donna un coup d’andouiller dans le corps. D e mon
tems , M. de Courchange, veneur de M. le comte
d’Evreux fut tué fur le champ par un cerf en traver-
fant une route : il y eut aufli un gentilhomme de M.
le comte de Touloufe qui fut tué à la chaffe du lievre
dans la plaine de S. Denis , d’une chûte de cheval ;
il fe nommoit M. Dâbeau. J’ai vu plufieurs veneurs
de S. M. culbutés de deffus leurs chevaux par des
cerfs : M. de Lafmartre a été bleffé à la cuiffe par un
cerf aux abois dans la forêt de Sennar. Quand les
cerfs font aux abois , ils font plus dangereux , principalement
dans la faifon du rut ; auffi dit-on au cerf
la biere, au fanglier le barbier.
Hifioires de chajjes , faits curieux. On lit dans le
Roy modus du déduit r o y a l, chap. j que le roi Charles
le Bel chaffant dans la forêt de Bertilly, prit fix-
vingt bêtes noires en un jour , tant aux filets.
qu’aux lévriers. Fouilloux rapporte qu’un feigneur
de la ville de Lambale avec une meute de chiens ,
lança un cerf en une forêt dans fon comté de Périthievre
, le chaffa & pourchaffa l’efpace de quatre
jours, tellement qu’ennn il l’alla prendre près la ville
de Paris. On voit dans la falle du préfidial à Senlis
cette infeription : » En l’an . . . . le roi Charles VI
» chaffant dans la forêt de Hallade , prit le cerf du-
» quel vous voyez la figure ( elle eft détruite ) por-
» tant un collier d’or oii étoit écrit : Hoc me Ccefar dost
nav 'it.; de ce lieu on voit l’endroit oii il fut relancé ».
Jean Sobiesky , roi de Pologne, entretenoit pour
la chaffe cinq cens janiffaires turcs, pris au milieu
des combats confervant leurs armes &c leurs vête-
mens ; on leur marquoit une enceinte dans une forêt
; ils tendoient les filets en laiffant une ouverture
qui répondoit à la plaine : des chiens tenus en laiffe
formoient un croiffant à une affez grande diflance;
derrière eux le r o i , les veneurs & les curieux dé-
crivoient une même ligne. Le fignal donné , d’autres
chiens perçoient dans la forêt, & chaffoient indifféremment
tout ce quife rencontroit ; bien-tôt on
voyoit fortir des cerfs, des élans , des aurox, taureaux
fauvages d’une beauté,d’une force & d’une fierté
finguliere ; des loups cerviers, des fangliers, des
° « r s , & chaque efpece de chiens attaquoit la bête
qui lui étoit propre, laquelle ne pouvoit rentrer dans
la forêt, ni s’arrêter aux filets, parce que les janiffaires
y veilloient. Les veneurs ne fe mettoient du
combat que lorfque les chiens étoient trop foibles.
Cette multitude d’hommes, de chevaux, de chiens ,
& d’animaux fauvages , le bruit des cors, la variété
des combats, tout cet appareil de guerre orné d’une
magnificence convenable, étonnoit les curieux du
midi. Hiß. de Jean Sobiesky.
M. de Ligniville rapporte une chaffe quia duré
trois jours avec les memes hommes , chiens & chevaux.
Louis XIII. qui fuivant M. de Selincourt parfait
chaffeur, fut le plus grand , le plus habile, le plus
adroit chaffeur de fon royaume , fit dans fa jeuneffe
fa première chaffe avet la fauconnerie dans la plaine
S. Denis, en préfence de la reine & de toutes les
dames de la cour , placées fur une butte de terre au
lieu nommé la planchette ; tous les vols fuivoient le
roi dans tous fes voyages.
La fécondé chaffe faite par Louis XIII. fut aux
chiens courans ; car outre les équipages pour le
c e r f, les chevreuils , loups, lievres & fangliers , il
y avoit toujours cent cinquante chiens qui fuivoient
S. M. dans tous fes voyages ; il n’y avoit point de
jour que huit veneurs au moins n’allaffent tous
les matins dans les bois près defquels le roi paffoit,
& qui ne lui fiffent leur rapport de ce qu’ils avoient
rencontré, cerfs , biches, renards, &c. des fituations
des buiffons ; s’ils étoient en plaine , coteaux , ou
lieux humides ; quelles étoient les refaites, 6c. de
forte que le roi etoit informé à fon levé de quelle
bête il pourroit avoir du plaifir , & comment elle
feroit portée par terre par trente leffes de lévriers
qui fuivoient l’équipage par-tout.
Quand le roi vouloit chaffer, l’ordre étoit donné
aux gendarmes , chevaux-légers & moufquetaires ,
pour s’affembler à l’heure du départ ; les chaffeurs ..
alloient devant, & voyoient oii étoit le vent pour
difpofer les accourts ; les toiles étoient ajuflées pour
cacher les lévriers , & le roi trouvoit tout difpofé
à fon arrivée : ceux de fa fuite bordoient le côté du
mauvais vent, & fe rangeant à cinquante pas les uns
des autres le piflolet à la main, fe tenoient prêts pour
la chaffe dès qu’elle commenceroit. Le roi donnoit le
fignal , & dès que les chiens découplés commen-
çoient à chaffer , la décharge fe faifoit du côté du
mauvais v en t,. ce qui donnoit une telle terreur aux
bêtes , qu’elles fuyoient du côté des accourts , & à
leur forne du bois , les lévriers côtiers étoient don-
nés, puis* ceux de l’autre cô té, de forte que les bêtes
alloient au fond de l’accourt où étoient les gros
Tome X F I . 6 -
levners qui les coëffoient, & le foi eh avoit tout le
plaifir.
Sur le champ , chacun feprenóit fa place pouf voif
fortir d autres bêtes , lefouelles étoient encore congrues
, & toutes celles quietoient dans les bois étoient
portées par terre , ce qui duroit tout le haut du jour
& fouvent fort tard , principalement quand il y avoit
des loups , car ces animaux ne fortoient qu’à force,
& même il y en avoit qui fe fauvoient du côté défendu
par les cavaliers, dont ils aimoient mieux ef-
fuyer les coups , que de fortir du côté de l’acourt
qu’ils avoient éventé. Ces deux chaffes que nous
venons de décrire étoient pleinement royales. Le
parfait Chaffeur, par Mi de Selincourt.
Le même auteur dit avoir vu un cerf chaffé pendant
trois jours par trois équipages différens : voici
comment il rapporte le fait. Les équipages de M. le
duc d’Angoulême , de M. de Souvray &c de M. de
Metz etoient à Grosbois ; il fut laiffé courre un cerf
( on ne marque point fon âge ) en Brie, l’affemblée
au montTetis, & fut couru la première journée juf*
qu’à la nuit, ayant mefuré tous les buiffons & forêts
de Brie, & revenant à la nuit dans le lieu où il avoit
été lancé ; il fut brifélatête couverte, Le lendemain
ces meffieurs voulurent voir par curiofité ce que de-
viendroit ce cerf le fécond jour, & ils réfolurent de
le courre avec un autre équipage & d’autres chevaux;
il fut attaqué le lendemain matin où il avoit été bri-
fé , il fut très-bien donné aux chiens ; il recommen-
ça à reprendre le même chemin qu’il avoit fait le jour
de devant, il mefura tous les mêmes lieux, & revint
a la nuit dans le lieu où il avoit été lancé , & fut en-
core brifé la tête couverte. Tous ces meffieurs le foir
ne favoient que dire , ni Duvivier, Artonge , Def-
prez, & tous les autres vieux chaffeurs crurent tous
que c’étoit un forcier ; enfin, ils dirent qu’il y avoit
encore un équipage qui n’a voit point couru, qui étoit
celui de M. d’Angoulême, & qu’il falloit voir ce qui
arriveroitdecela. Le lendemain dès la pointe du jour,
ils allèrent frapper aux brifées , ils lancèrent le cerf
encore à cinq cens pas de là , & le coururent encore
fix grandes lieues , au bout defquelles ils le prirent
fec comme boîs, mourant plutôt de faim que pris de
force ; car s’il eût eu le loifir de viander, ils ne l’au-
roient jamais pris, &tous demeurèrent d’accord que
fi ce cerf eût couru fur une même ligne, il fut allé à
plus de foixante lieues de-là.
On voit au château de Malherbe la figure d’une biche
qui avoit un bois comme un cerf, & qui portoit
huit andouillers, laquelle après avoir été courue par
deux veneurs du roi Charles IX. fut prife par les
chiens pour un cerf : ces veneurs l’ayant détournée
en prenant chacun un côté de l’enceinte, l’un la vit
piffer de fi près qu’il la jugea être une biche ; il n’en
dit rien à fon compagnon , il dit feulement en termes
vagues que cela ne valoit rien à courre. L’autre
qui en avoit vu la tête, la jugea être celle d’un cerf,
& dans cette confiance laifla courre ; elle fut prife enfin
&c reconnue biche, & celui qui l’avoit vue piffer
fans l’avoir dit à fon compagnon,fut caffé pour avoir
donné lieu à une telle méprife. La Briffardiere, nouveau
traité de la venerie , ch. xjv. Il y a bien d’autres
exemples de biches portant tête de cerf.
Lapremiere chaffeque le roi Louis XV, a faite avec
fa vénerie , étoit le jour de S. Hubert, 3 Novembre
1 7 1 1 , dans le parc de Villercotterêt ; on y attaqua
un cerf à fa fécondé tête , & ii y .futpris.Samajeflé
revenoit de Rheims où elle avoit été lacrée.
Le 13 Juillet 1740; on attaqua à Compiegne fin
cerf dix corps dans les bordages près la croix du S.
Cygne; on le prit au village deTroly. Il étoit monté
fur le haut d’une chaumière où il fe promenoit avec
deux chiens qui l’aboyoient ; M. de Lafmaflre, lieutenant
de la vénerie, y grimpa , & fut lui couper le
A AA a a a ij