
. » trement, malheur 6c profcription ». On peut s’imaginer
que la joie fut univerfelle, tant la terreur
étoit grande ! la cérémonie de ce triomphe fut honorée
par plus de facrific.es 6c de feftins , qu’il
n’en ayoit encore paru dans aucune occafion fem-
blable , ni même dans toutes réunies enfemble.
Taxe exorbitante fur ies hommes. Après la mort
ou la fiiite des profcrits > on mit en.vente les biens
de ces malheureux , c’eft-à-dire leurs immeubles, ;
car les meubles ayoie^t été pillés ; mais outre qu’il
y eut peu de gens affez bas pour ruiner des familles
défolées, perfonne ne vouloit paroître riche
en acquérant dans un tems fi dangereux ; cependant
les triumvirs infatiables projetterent de lever pour
la guerre d’Afie & de Sicile » la fomme de deux
Cens mille talens , environ quarante - deux millions
fterlings ; 6c pour y parvenir, ils tournèrent la profcription
en une taxe exorbitante , fur plus de
deux cens mille hommes , tant romains qu’étrangers.
Taxe fur les dames romaines. Ils comprirent dans
cette taxe , quatorze cens des plus riches dames de
Rome, meres , filles , parentes , ou alliées de leurs
ennemis , 6c les alliances étoient tirées de fort loin.
La plupart de ces dames accablées pour cette nouvelle
injuftice, vinrent en repréfenter les conféquen-
ces à la mere 6c aux foeurs d’Oélave , qui les écoutèrent
favorablement. La mere d’Antoine en ufa de
même , Fulvie feule rejetta leur requête. Elles prirent
le parti de fe rendre au palais des triumvirs ,
oit d’abord elles furent repouffées par les gardes :
mais elles infifterent avec tant de fermeté, 6c le
peuple les foutint fi hautement , que. les triumvirs
fe virent contraints de leur accorder une audiance
publique. Alors Hortenfia , fille du célébré Horten-
fius , le riyal de Cicéron en éloquence , prit la parole
au nom de toutes.
» Les dames , dit-elle, que vous voyez ic i , Sei-
» gneurs.pour implorer votre juftice & vos bon-
» tés , n’y paroiffent qu’après avoir fuivi les voyes
» qui leur étoient marquées par la bienféance.
» Nous avons recherché la protedion de vos meres
* 6c de vos femmes ; mais nos refpefts n’ont pas
» été agréables à Fulvie. C’eft ce qui nous a obligé
» de faire éclater nos plaintes en public contre
» les réglés qui font prefcrites à notre fexe , ,6c j
» qüe nous avons jufqu’iei obfervées rigoureufe-
» ment. Vous nous avez privées de nos peres 6c
» de nos enfa'ns, de nos freres , & de nos. maris,
» Vous-prétendiez en avoir été outragés; ce font des
» fujets qu’il ne nous appartient pas d’approfondir.
» Mais quelle injure avez-vous reçue des femmes ;
*> polir leur ôter leurs biens > Il faut aufli les prof-
» crire , fi on les croit coupables. Cependant aucune
» de notre fexe ne vous a déclarés ennemis de la
» patrie. Nous n’avons ni pillé vos fortunes, ni fu-
» borné vos foldats. Nous n’avons point affemblé
» de troupes contre les vôtres , ni formé d’oppo-
» filions aux honneurs , 6c aux charges que vous
» prétendiez obtenir. Et puifque les femmes n’ont
» point eu de part à ces avions qui vous offen-
>> len t , l’équite ne veut pas qu’elles en ayent à la
» peine que vous leur impofez. L’empire, les digni-
» tes, les honneurs, ne font pas faits pour elles. Aucu-
» ne ne prétend à gouverner la république, 6c notre
» ambition ne lui attire point les maux dont elle
» eft accablée. Quelle raifon pourroit donc nous
>> obliger à donner nos biens pour des entreprifes
» oii n’avons point d’intérêt ?
» La guerre, continua-t-elle, à élevé cette ville
» au point de gloire où nous la voyons ; cependant
» il n’y a point d’exemple que les femmes y ayent
» jamais contribué. C’eft un privilège accordé à
» notre fexe, par la nature même, qui nous exempte
» de cette pix>feffion.- Il ,>eft‘ vrai qiïe fe
» guer re de Carthage *-nos-meres affifterent la ré-
» publique ,jqui étoit .alors, dans-le dernier péril.
» Cependant ni leurs . maifons , ni leurs terres ni
» leurs .meiibles , ne furent vendus pour ce fujet
h Quelques bagues 6c quelques pierreries fournirent
» ce; fecours , & ce » rie-fut point la contrainte*“ les peines, ni la violence., qui les y obligèrent?
» mais un pur mouvement de générofité^Que craie
» gnez yqqs.à prêtent pour Rome , qui èft- notre'
» commune patrie ? Quel danger preffartt là' .fnëna-
» ce ? Siles Gaulois ou les Parthes l'attaquent-', nous
» n’avons pas moins de zele pour fes intérêts qüé
» nos meres ; mais nous né devons pas nous mêler
» des guerres civiles. Céfar ni Pompée ne nous y
» ont jamais obligées ; Mariu« 6c Cinna ne l’ont
» jamais propôfé,, ni Sylla même , qui le premier
» établit :la tyrannie-., i; : o r
Ce difcoùrs plein d’éloquence & de vérité confondit,
les triumvirs-, &-.les-obligea de congédier
les dames romaines , en leur promettant d’aVôir
égard<rà leur -requête. Le bruit, des battemens de
mains qu’ils entendirent de toutes parts fut fi g'rand,
que craignant une emeute générale s ’il ne tenoient
parole, ils modérèrent leur lifte à quatre cens dames
du nombre de^ celles dont ils aVoient le moins à
redouter le crédit. Mais leurs foldats exercèrent la
levée des autres taxes avefc tant de violences, qu’un
des triumvirs même eut , bien de la peine à reprimer
leurs, défordres.
Défaites (fe Brutus & de Caffius. Enfin le trium-
virdt enrichi par fes horribles vexations , diminua le
nombre & la puiffance des gens de bien. La république,
ne fubfiftoit plus; que dans le camp de Brutus
& de Caffius , & en Sicile auprès de Sextus,
le dernier des fils du grand Pompée.
Oftave & Marc-Antoine ne craignant plus rien
de Rome , fuivirent leurs projets, & pafferent en
Afie , où ils trouvèrent leurs, ennemis dans ces lieux
où l’on combatit trois fois pour l’empire du monde.
Les deux armées étoient campées proche de la ville
de Philippes, fituée fur les confins de la Macédoine
,& de la Thrace. Après différentes efcarmouches
ôi de petits combats ; le .jour parut qui devoit
décider de la fortune & de la deftinée des Romains.
Je n’entrerai point dans le détail d’une aâion
qui a été décrite par divers hiftoriens ; en voici l’é-
venement. La liberté fut enfevelie dans les plaines,
de Philippes avec Brut.us & Caffius , les chefs de
leur parti ; Brutus défit, à la vérité, les troupes d’O-
tave ; mais Antoine triompha du corps que comman->
doit Caffius. Ce général croyant fon collègue auffi
malheureux que lu i, obligea un de fes affranchis de
le tuer ; & Brutus ayant voulu tenter une fécondé
fois le fort des armes , perdit la bataille , & fe tua
lui-même , pour ne pas tomber v if entre les mains
de fes ennemis.
Il eft certain que Brutus & Caffius fe tuerent avec
une précipitation qui n’eft pas excufable , & l’on
ne peut lire cet endroit de leur vie , fans avoir
pitié de la république, qui fut ainfi abandonnée. Caton
s’étoit donné la mort A la fin de la tragédie;
ceux-ci la commencèrent en quelque façon par leur
mort.,.
Après le décès de ces deux grands hommes, les
triumvirs établirent leur empire fur les ruines de la
république. Mais dans de fi grands fuccès , Oétave
n’avoit contribué à la caufe commune que par des
projets, dont encore il cacha toujours a*fes deux
collègues, les motifs les plus fecrets. Il n’eut point
de honte la veille du combat d’abandonner le
corps qu’il commandoit, & déferteur de fa propre
armée, il alla fe cacher dans le bagage , pendant,
qü^on,étoit aux mairis. Peut-être qu’il féflattôit que
les périls ordinaires dans les .batailles & le, courage
d’Antpine, le deferoient d’un collègue ambitieux *
enfprte que fans s’expofer ^il recueilieroit le fruit de.
la .ÿl&oire» Mais c’eft faire trop d’honpetir à fonef-
prit aux dépens dé fa lâcheté. Ce qui prouve ,qu?il
ii’agif en cette occafipn que parla viveimpreffip.n de.
lapeur.j ç’eft qu’on fait tpqtes lès railleries qu’il eut
depuis à effuyer de la part d’Antoine, ^ \ .
‘ Défaite de Sextus Pompée. Il ne reftoit des débris
de la république , que le jeune Pompée , qui s’é-
toit emparé dè l’île de Sicile , d’où il faifoit. des in-
cûrfions fur les côtes d*Italie. Il étoit queftion de le
dépofféder d’une retraite qui en fervoit encore à plu-
fieursrilluftreSprofcritsJ tdont le but étoit de relever
lé parti de la liberté. Métoene réuflit à tirer d’Antoine
les vaifleaux qu’il pofledoit', quoique ce triumvir
eut un grand intérêt à maintenir le jeune Pompée
, dans une île qui lui fervoit comme de barrière
contre l’ambition toujours redoutable de ,fon riÿal.
Sa flotte étant formée & confiée au commander
ment d’Agrippa , cet habile capitaine fe;met en mer,
ya chercher l’ ennemi, bat les lieutenans de Pompée,
le défait lui-même en plufieurs occafions, & le chafle
enfin de cette île;
Oçlave dépouille Lépidus de Vautorité. Délaye alors
vi&ôrieux de tous les républicains par l’epée & la
bravoiire dJun foldat de fortune qui lui étoit dévoué,
crut qu’il étoit tems de rompre avec fes collègues,
pour régner feul. Il les attaqua l’un apres, l’autre. La
perte de Lépidus ne lui coûta que quelques intrigues.
Ce triumvir peu eftimé de fes foldats,s’en vit abandonne
au milieu- de fôn camp. Oélave s’én empara par
fes négociations fecretes ,. & fous différens prétextes,
il dépouilla fon collègue de l’autorité fouve-
raine. On vit depuis ce triumvir réduit à mener
une vie privée & malheureufe.
I l défait enfuite Antoine à Aclium, & refle feul maître
de l'Empire. Antoine adoré de fes foldats , maître
de la. meilleure partie de l’Afie 6c de l’Egypte
entière, 6c qui avoitde puiflans rois dans fon parti
6c dans fôn alliance, donna plus de peine à Délave.
Mais fa perte vint de ce qui devoit faire fa principale
refloiirce. Ge grand capitaine enivré d’une paffion
violente pour Cléopâtre reine d’Egypte, imagina
qu’il trouveroit en Orient autant de forces contre
fôn collègue, en cas de rupture, qu’il rencontroit
de charmes dans le commerce qu’il èntretenoit avec
cette princeffe. Cet excès de confiance lui fit négliger
le foin de Rome 6c dè l’Italie, le centre de l’Empire;
fon rival s’en prévalut, 6c y établit fon autorité.
' La jalpufie du gouvernement, fi naturelle entre
des puiffances égales en dignité, les brouilla fou-
vent ; tantôt Oélavie, femme d’Antoine & foeur
d’Oélave, & tantôt des amis communs lés réconcilièrent:
mais à la fin ils prirent les armes l’un
contre l’autre: on en vint aux mains ; 6c la bataille
navale qui fe donna près d’Aélium décida de l’Empire
du monde entre ces deux célébrés rivaux.
Oélave.viélorieux pourfuivit Antoine jufques-dans
1>Egypte, 6c le réduifit à fe tuer lui-même. Par fa
mort, & l’abdication forcée de Lépidus , qui avoit
précédé de fix ans la bataille d’Aélium, Qélave fie
vit au comble de fes defirs, feul maître & feul fou-
Veram. Il établit une nouvelle monarchie fur les
ruines de la liberté, 6c vint à bout dè la rendre
fupportable à d’anciens républicains. Les hiftoriens
qui ont écrit pefque .tous du tems &fous l’empire de
ce prince, l’ont comblé de louanges 6c d’adulations ;
^ais c’eft fur les faits, c’eft fur les aélions de fa vie
qu’il faut le juger.
Caractère d'Augufle. Augufte ( puifque la flatterie a
confacré ce nom àOélave ) étoit d’une naiflance médiocre
par rapport à la grandeur où il eft parvenu;
fiofi pèrè etoit à peine chevalier romain ; niais fâ mère
A c c ie, étant fille de Julie, foeur de Jules-Céfar -, lui
acquit l’adoption de ce di&ateur.
, Sa taille étoit au-deflous la riiédiOcrë, 6c pdur
reparer ce défaut naturel ; il portoit des foiiliers fort
haurs. Il âvoit d’ailleurs la figure agréable , les four-
cils joints, les dents peuférréès brouillées, les yeux
vifs & difficiles à foutenir; quoiqu’il affeélat dans fes
regards une douceur concertée.
' 11 étoit incommodé d’une foibîefle â la cuflîe gau-
che. j .qui le faifoit tant-foit-peu boiter de ce côte-lài:
II pâliflbit & rougifîoit aifément ; changeant à fa vo--
loiité de couleur 6c de maintien ; ce qui l’a tait com-
parer ingénieufementpai- un de fes fuccefîeurs(l’em-
pereur Julien ) au caméléon, qui fe rend propres
toutes les couleurs qui lui font pféfentées»
• Son génie étoit audacieux,, capable des plus grandes
entreprifes;, 6c porte à les conduire avec beaucoup,
d’adtelfe 6c d’application. Pénétrant, toujours
. attentif aux affaires, on voit dans fes delfeins un efJ
prit de fuite , & qui favoit diftribuer dans des tems
; qqnyepablçs l’exécution de fes projets. Fin politique,'
fl erut dès ta jeunefle, que c’stoit beaucoup gagner,
que.de (avoir perdre à-propos. Tantôt ami d’Antoi-i
n e, oc tantôt fon ennemi, fon intérêt fut conftam^
ment la réglé de fa ^conduite, attendant toujours àTe
déterminer, .d’après.. les eonjonélures favorables,-’ Il
tâchoit de couvrir fes vices 6c fes défauts ,• par Fart-
infini qu’il avoit de fe donner les vertus qui fei man-
quoient.
Profond dahs la connoiflànce de fa nation , il. eut
afl"ez. de foupletfe dans l’efprit, de manege dans toutes
fes démarches , 6c de modération feinte dans lé
caraâere pour fubjuguçr les Romains. Il y réuffit en
leur perfuadant qu’ils étoient libres, ou du-moins à la
veille de l’etre. 11 fit femblant de vouloir fe démettre
„ de 1 empire, demanda tous les dix ans qu’on le déchargeât
de ce poids, 6c le porta toujours. C ’eft pat*
ces fortes de finefies qu’il fe faifoit encore donner ce
qu’il ne croyôit pas affez avoir acquis. Tous fes règlement
vifoient à l’établiffement de la monarchie,
6c tous ceux de Sylla au milieu de fes violences ,’ rem
dpient à une certaine forme de république. Sylla ,
homme emporté, menoit violemment les Romains à
la liberté ; Augufte , rufé tyran, les conduifoit doucement
à la fervitude. ; , ,
Cependant la crainte'qu’il eut avec raifon d’être
regardé pour tel, l’empêcha de fe faire appeller Ro-
mulus , 6c foigneux d’éviter qu’on penfât qu’il ufurj
poit la puiffance d’un ro i, il; n’en affeéla point le
fafte. ■
Il choifit pour fucceffeur,je ne fai par quel motif,
un des plus méchans hommes du mondé ; mais fe regardant
comme un magiftrat qui feint d’être en placé
malgré lui-même, il ne commanda point, il pria la
nation, il poftuia, qu’au-moins on lui donnât pour
collègue, fuppofé qu’il le méritât, un fils capable
de foulager fa vieilleffe , un fils qui faifoit toute f»
confolation. Travaillant toujours à faire refpecler
les lois dont il etoit le maître, il voulut que l’élection
de Tibere fût l’ouvragé du peuple. & du fénat,
comme la henné, difoit-il, l’avoit été. Tibere lui
fut donc affocié l ’an de Rome 7 66. 6c de J. C, la douzième.
Il donna plufieurs lois bonnes, mauvaifeS, dures,'
injuftes. Il oppofa les lois civiles aux cérémonies
impures de la religion. Il fut le premier qui, par des
raifons particulières, autorifa les fidéicommis. Il attacha
aux libelles la peine du crime de léfe-majefté.
Il établit que les efclaves de ceux qui auroient conf-
piré , feroient vendus.au public., afin qu’ils puffenü
dépofer contre leurs maîtres. Vous voyez p a r- là ,
les foins attentifs qu’il prend pour lui-même.
Il fut remettre l’abondance dans la capitale, Si tâ*
I