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on le met au rang des arbres que l’on déligne par bois
blancs : par conséquent on en fait allez peu de cas ;
on le laifle fubfifter dans les bois où il le trouve ,
parce qu’il fait une bonne garniture dans les endroits
où d’autres arbres d’une meilleure elfence ne réuffi-
roient pas fi bien ; mais on ne s’avife guere d’en former
de nouveaux cantons de bois ; cependant c’eft
l’arbre que l’on cultive le plus en France par rapport
à l’agrément.
Cet arbre vient dans prefque tous les terreins 6c
à toutes expofitions ; ilréulîit dans les vallées, le
long des coteaux, même fur les montagnes. Toutes
ces lituations lui font à-peu-près égales , pourvu que
la première pofition ne foit pas trop aquatique, la
fécondé trop chaude, 6c qu’il y ait dans la derniere,
ou de l’humidité ou de la profondeur , ou enfin quelque
mélange de terre liinoncule ; mais le tilleul fe
plaît particulièrement dans un terrein gras 6c fertile*
Il fait les plus grands progrès dans la terre franche
mêlée de gravier, 6c il réuffit fort bien dans les terres
legeres qui ont beaucoup de fonds ; il dépérit par
la pourriture de fes racines dans un fol trop aquatique
; les Hollandois le jugent de cette qualité lorf-
qu’il eft à moins d’un pié 6c demi d’épaiffeur ,au-
defliis de l’eau pendant l’hiver. Enfin , cet arbre fe
refufe abfolument à la craie pure, au fable trop
chaud 6c aux terreins arides, pierreux 6c trop fu-
perficiels.
Le tilleul fe multiplie très-aifément ; on peut l’élever
de graine, de rejettons , de boutures 6c de branches
couchées ; on peut auffi le greffer , niais on
n’employe ce dernier expédient que pour multiplier
quelques efpeces rares ou curieufes de cet arbre. La
femence eft une mauvaife reffource, peu sure , 6c fort
longue, que l’on met rarement en ufage; attendu
que la graine fe trouve rarement de bonne qualité,
qu’elle leve difficilement, qu’elle neparoît louvent
qu’au fécond printems, & que les plans font la plupart
dégénérés de l’ efpece dont on a tiré la graine.
Les rejetions ne fé trouvent pas communément pour
peupler une pepiniere. Ce font prefque toujours des
branches éclatées , mal enracinées 6c défeftueufes ;
la bouture eft un moyen difficile, incertain , 6c qui
rend trop peu : la méthode la plus sûre , la plus expéditive
, 6c la plus ufitée, eft de propager cet arbre
de branches couchées*
: Cette opération fe fait pour le mieux en automne,
dès que les feuilles commencent à tomber. Les rejet-
tôns forts 6c vigoureux font les plus propres à réuf-
fir. Au bout d’un an ils feront affez enracinés pour
être mis en pepiniere à 15 ou 18 pouces les uns des
autres en rayons éloignés de deux piés 6c demi. On
pourra les cultiver trois ou quatre fois l’an , en ne
remuant la terre qu’à deux ou trois pouces de profondeur.
Il faudra les élaguer avec ménagement, fe
contenter d’abord de rabattre les branches latérales à
deux ou trois y eux, 6c ne lesretrancher entièrement
qu’à mefure que les plants prendront du corps. Au
bout de cinq ans ils auront quatre où cinq pouces de
circonférence , & feront en état d’être tranfplantés à
demeure. On pourroit également coucher de grofles
branches de tilleul qui réuffiroient auffi-bien fi ce
n’eft qu’elles ne donneroient qu’au bout de deux ans
des plants affez formés pour être mis en pepiniere.
On auroit encore le meme fuccès en couchant l’arbre
entier. ^ On fait que c’eft fur le tilleul qu’on a fait
la fameufe épreuve qui a fait voir que de la tête d’un
arbre on en peut faire les racines , 6c des racines la
tête. Si l’on prend le parti de le femer , il faut faire
amaffer des graines par un tems fec dans le mois de
Septembre ou d’O&obre, les conferver pendant l’hiver
dans du fable ou de la terre, 6c les femer de bonne
heure au printems, même dès le mois de Février.
, Car fi on laiffe les graines fe deffécher, ou qu’on at-
1 ende trop tard à les femer,elles ne lèveront qu’à l’au-
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tre printems, 6 c il en manquera beaucoup. Lorfqu’ils
feront âgés de deux ans , on pourra les mettre en
pépinière, où il faudra les foigner 6 c les conduire
comme ceux qu’on éleve de branches couchées.
L e tilleul reuffit facilement à la tranfplantation.
On peut le planter fort gros av e c fuccès quand même
i f auroit un pié de diamètre. On s’ eft affuré que des
plants pris dans les bois , 6 c éclatés fur des v ieux
troncs , reprennent affez communément. L ’automne
eft la fail'on la plus convenable pour la transplantation
de cet a rb re , 6 c on fera toujours mieux de s’y
prendre dès que les feuilles commencent à tombe r,
à-moins qu’on eût à planter dans un terrein gras ,
fujet à rece vo ir trop d’humidité pendant l’hiver. Il
vaudroit mieux dans ce dernier cas attendre le printems
, & au plus tard la fin de Février. C e qu’ il y a
de plus efl'entiel à o b fe rv e r , c’eft de planter ces' arbres
d’une bonne hauteur. Je fuis obligé de répéter
ic i ce que j’ai déjà dit à l’article de l’Orm e ; c’eft que
prefque tous les jardiniers, fur-tout dans les environs
de Paris , ont la fureur de couper à feptou huit piés
tous les arbres qu’ils tranfplantent. Il femble que c e
foit un terme abfolu au-delà duquel la nature doive
tomber dans l’épuifement. Ils ne voient pas que cette
abfurde routine de planter des arbr.es trop courts,
retarde leur accroiffement, 6 c les prépare à une dé-
feôu o fité qu’il n’eft jamais poffible de réparer. C es
arbres font toujours à la hauteur de la coupe un ge-
nouil difforme , une tige courbe d’u n a fp e â très-def-
agréable ; i f faut donc les planter à quatorze ou
quinze piés de tige. O n les laiffe pouffer 6 c s’amufer
pendant quelques années au-deffus de dix piés , en-
fiute on les élague peu-à-peu. pour ne leur laiffer en
tête que la tige la plus propre à fe dreffer : c’eft ainfi
qu’on en jouit promptement, qu’on leur v o it faire
des progrès inféparables de l’agrément.
L e tilleul peut le tailler tant que l’on v eu t fans
inconvénient. O n peut l’é la gu e r, le to n d re , le pa-
liffer au c ife au , à la fe rp e , au croiffant ; ilfouffre ces
opérations dans tous les tems o ù la fe v e n’eft pas en
mouvement, 6 c il fe cicatrife promptement tant qu’ il
eft au-deffous de l’âge de vingt ans ; cependant lorf-
qu’on eft obligé de retrancher de fortes branches ,
on doit le faire av ec la précaution d ’y mettre un enduit.
On demande toujours à quelle diftance il faut planter
; c’eft fur la qualité du terrein , fur la grandeur
des efpaces , fur la forte de plantation que l’on v eu t
faire , 6 c fur l ’empreffement qu’on a de jo u ir , qu’il
faut régler les intervalles. Il peut être auffi convenable
de planter des tilleuls à huit piés que de leur en
donner v ingt de diftance. C e t arbre fe prête à toutes
les formes qui peuvent fervir à l’ornement d’un grand
jardin. O n en fait des av enues, des allées cou v erte s ,
des falles de v e rd u re , des quinconces. On peut i ’af-
fujettir à former des portiques , à être taillé en pa-
liffades , 6 c le réduire même à la régularité & à la
petite ftature d’ un oranger. Depuis qu’ on s’eft dégoûté
du maronnier d’inde à caufe de fa malpropreté,
de l’orme par rapport aux infe&es qui le défigurent,
de l’acacia qui ne donne pas affez d’ombre , on ne
plante par-tout que des tilleuls , en attendant que
quantité d’arbres étrangers qui donneroient plus
d’agrément foient connus 6 c multipliés.
Si le tilleul a le mérite de former naturellement
une tête régulière 6 c bien garnie, d’avo ir un feuillage
d’une affez belle verdure , de donner des fleurs finon
apparentes , du-moins d’une odeur fort agréable, do
n’être point fujet aux in fe ô e s , de réfifter au v e n t ,
de réuffir affez. communément dans la plûpart des
terreins , & de fe plier aux différentes fortes d’agrément
que l’art v eut lui impofer ; on doit convenir
auffi que fon accroiffement eft fort len t ,qu ’ il ne profite
pas fur les hauteurs, qu’il fe refufe aux terreins
fe cs 6 c lég e rs , qu’il perd les feuilles de bonne heure,
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& qu'il eft trop fujet à fe v er fe r & à fe creiiffir lorf-
qu ’il fe trouve expofé aux vents de midi 6 c de fud-
oueft. O n tombe alors dans un inconvénient de le
v o ir languir 6 c périr avant d’entrer dans l’âge de fa
fo r c e , qui eft à vingt ans. Mais auffi quand cet arbre
a bravé cet a c c id e n t, 6 c qu’il fe trouve dans un terrein
qui lui p la ît, il fait de grands progrès, s’élève &
groffit confidérablement, 6 c dure très-long tems. M.
M i lle r , auteur anglois , dit avoir v u un t i l l e u l qui
«vo it trente piés de tour à deux piés au - deffus de
terre,& il cite un autre anglois n o m m è T h o m a s B r o w n -,
qu i fait mention d’un arbre de cette efpece dans le
comté de N o r fo lk , qui ■ avo it quarante-huit piés de
tour à un pié 6 c demi au-deffus de t e r r e , & c 90 piés
de hauteur ; il faut entendre ic i le pié anglois.
■ Quoique le t i l l e u l n’ait a v e c jufte raifon que la
petite confidération des bois blancs , il ne laifle pas
de fervir à différens ulag es ,& fon débit eft affez étendu.
C e bois eft employé par les charrons , les me-
nuifiers, les carroffiers, les tourneurs, les ébén iftes,
les graveurs en b o is , 6 c particulièrement les fculp-
teurs qui préfèrent ce bois à tous les autres ; il a le
mérite de n’être fujet ni à la v ermou lu re , nj à fe fendre
, ni à fe gerfer: il eft blanc, lé g e r , tendre , lian t,
tenace ,* de longue d u ré e , 6 c il le coupe ailement.
C e s qualités le font.eftimer par les charpentiers de
vaiffeaux. Ses jeunes rejettons peuvent fervir aux
ouvrages de vanerie , comme les failles de petite
efpece* L e charbon de bois de t i l l e u l eft plus propre
qu ’aucun autre pour faire la poudre-à-canon. Q u oique
ce bois ne foit pas des meilleurs pour le chauffag
e , on ne laiffe pas d’en tirer affez bon parti lorfqu’il
e ft bien fec. O n peut faire des coupes réglées de la
tonte & de l’élaguement des vieilles allées de t i l l
e u l s . O n fe fe r t de la fécondé é corce pour faire des
cordes 6 c des cables.. O n en faifoit autrefois un plus
noble ufage avant l’invention du papier qui a remplacé
pour l’écriture l’é corce intérieure du t i l l e u l
a v e c un avantage incomparable. Ses feuilles ramaf-
fées font pendant l’hiver une des meilleures nourritures
pour le g ros bétail.
L e t i l l e u l a peu de propriétés pour la médecine.
Elle tire quelques fervices du fuc fé v eu x de l’écorce
intérieure du charbon fait avec le bois de cet
arbre ; mais la fleur eft la partie dont elle fait le plus
d ’ufage.
O n connoît différentes efpeces de t i l l e u l s dont
.Voici les principales.
1. L e tilleul à l a r g e s f e u i l l e s o u l e tilleul d e H o l l a n d e ,
eft le t i l i a f e e m i n a , f o l i o m a j o r e /. R . H . S i 1 . Sa racine
defeend profondément en te r r e , 6 c s ’é tendbeau-
cou p ; elle pouffe un tronc d’a rb re , g ran d , g ro s , ra-
meux , qui fe répand au la rg e , 6 c rend beaucoup
d’ombre. Il eft couvert d’une écorce u n ie , cendrée
ou noirâtre en-dehors, jaunâtre ou blanchâtre en-
dedans , fi pliante 6 c fi fle x ib le , qu’elle fert à faire des
cordes de puits 6 c des cables ; fon bois eft ten d re ,
lans noe ud s , blanchâtre ; fes feuilles font la rg e s , arron
dies , terminées en p o in te , un peu v e lu e s ’ des
deux côté s ,.lu ttan tes , dentelées en leurs bords; il
fo rt leurs aiflelles des petites feuilles longu e s ,
blanchâtres , où font attachés des pédicules, qui fe
divifent en quatre ou cinq branches ; elles foutien-
nent chacune une fleur à cinq .pétales, 6 c font difpo-
lees en ro fe , de couleur b lanche , tirant fur le jaune,
d une odeur agréable , foutenues fur un calice taillé
.en cinq parties blanches 6 c graffes. _
Lorfqiie cette fleur eft p a ffé e, il lift fuccede une
coque greffe comme un gros pois , o v a le , ligneufe ,
an guleule, velue , qui contient une ou deux femen-
" oir?.tres > & douces au goût. 11 fleurit
en Mai & Juin ; fon fruit mûrit en A o û t , & s’ou-
vrant en Septembre, il tombe delui-même. Sesfeuiles
T o T x P r que Ia Peu avan-
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c i è , iPunê èipècè de fel eflentiel ; ( e m b h b l e à de là
crème de tartre ; ce fe l s ' y amafle après l’éxtravafe.
tion du ie l n o u r r icier , qui dans les grandes chaieurà
s échappé des Vaiffeaux,
C e t arbre eft rorneihèrit dès avenues des pro*
nienades, des jardins, 6c des bofquets, par fori port
gracieux, par fon ombrage, 6c par fon odeur kgféà->
ble , lorfqit il eft en fleur.
L e tilleul demande une terre gratfe, & prend teilé
figure qu’on v e u t , mais il ne dure pas lôns -tems s
fon bois eft utile dans les arts ; les Sculpteurs remploient
par préférence à d’autres * pa rte qu’ il céda
facilement fin s s’éclater à l’impreffion du cifeau 6c
qü’il eft moins fujet à la vermoulure que celui dèVé-
rable ; on en fait auffi du charbon qui entré dans là
compo'ition de la poudre à canon,
C ’eft S cette efpece qu’on doit rapportëf pâtti*
euherement ce qui a été dit ci-deffus. La largeur dé
la feuille fait le principal mérite de cette efpece. M ais
cette qualité n’eft pas uniquement propre au ù l l t u l
de Hollandejil s’ en trouve dans quelques cantons dé
bois aux environs dé Montbard en Bourgogne donÉ
a feuille eft auffi grande qüe celle dit l i l U u l deHoU
lande, mais qui ont encore l’avantage d’ê tre plus ro-.
buftes , 6c de teuflir dans des terfeins élevés où celu i
de Hollande n’avoit fait que languir. D ’ailleurs ils
ont la feuille d un v erd plus tehdre êc plus agréable.'
i . L e tilleul d e H o l l a n d e à f e u i l l e s p a n a c h é e s . C e t
accident n’eft j>as ici d’une grande beauté.
y . L e tilleul à p e t i t e s f e u i l l e s . Ï1 a en effet la feu ille
beaucoup plus petite que celle du t i l l e u l de Hollande
mais encore plus brune , plus fe rm e , plps lifte 11
fleurit plus tard ; fe graine n’eft pas fi-tôt mûre , fon
e corce eft plus rude , fon bois moins blanc,’ moins
tendre 8é affez ordinairement n o u eu x , parce que
cet arbre eft plus brancha. . ■ , 1
4 . L e tilleul d e m o n t a g n e à t t è s ^ g r a d d e f e u i l l e . C ette
belle efpece n ’a é té vue que par Gafpard Bauhin qu i
en fit la decouverte fur une montagne près B à e Se s
feuilles étaient trois ou quatre fois plus viandes que
celle du t i l l e u l de Hollande. Il eût mieux valu s’oc*
cuperà le multiplier qu’à le décrire,
15. L e tilleül a f e ü i l l e s tT o rm e . Sa feuille eft de mé-i
diocre grandeur 6c. fo rt rude au toucher. Son bois
eft jaun âtre , noueux 6c mollis tendre que celui des
autres efpeces. Sa graine a fix angles au-lieu de cinq
qui eft le nombre le plus ordinaire,
l'V Si* L e tilleul à f e u i l l e s v e lu e s ; Sa feuille eft suffi
grande que celle du t iU e u l de Hollande ; fes jeunes
rejettons ont l’écorce rougeâtre, 6c f i graine n’a que
quatre angles. ^
‘ 7; L e tilleul d e B o h è tn é . Ses feuilles font petites
6 c liffes , & fa graine qui eft pointue des deux bouts
n’eû nullement anguleufe.
8. L e tilleul d e C a n a d a . C ’eft la plus belle efpece
de ce genre d arbre qui foit aéluellement dans c e
royaume. Ses feuilles font d’un v erd tendre fort c la ir ,
elles font du double plus grandes que celle du t i l l e u l
de Hollande, 6 c fe terminent par une pointe fort
alongéë. L ’arbre pouffe auffi plus vigoureufement,
6 c fon écorce eft plus u n ie , plus cendrée. Il fe trouve
dans la plûpart des pays de l’Amérique feptentrio-
nale. Cette efpece eft encore fort rare.
9. Le tilleul noir d?Amérique. Il a beaucoup de ref-
femblance av ec le précèdent, mais ce n’eft pas du-
côté de l’agrément. Sa feuille eft auffi grande 6 c auffi
po in tue , mais elle eft brune , épa iffe , rude; néanmoins
elle a des nervures un peu rouges qui la relèvent.
Cette efpece eft auffi originaire de l ’Amérique
feptentrionale,& encore plus rare que la précédente.
Article de M . D ’AuBENTON le fubdèléguè.
T il l eu l , .( M a t . méd. ) les fleurs de t i l l e u l font
la feule partie de cet arbre qui foit en ufage en médecine.
On en prépare une eau d iftillé e , 6 c on en
T t i j