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tous trois confécutivement à manger : quand le tour'
de Pompée vint, Antoine, toujoilrs railleur, lui demanda
dans quel endroit il les recevroit ; dans mes
carines, répondit Sextus , in carinis nuis ; ce mot
équivoque fignifioit fon vaijfeau, & les carinés de
Rome, où étoit bâtie la maifon de fon pere, dont
Antoine avoit été dépoffédé après s’en être indignement
emparé.
Tranfportons-nous avec lui en Orient, où il s’a-
vifa de difpofer en defpote füivant la fougue de fes
caprices, des états & de la vie des rois ,’dépouillant
les uns, nommant d’autres en leur place ; & pour
donner dès marques de fa puiffance monftrueufe, il
mit aux fers Artabafe, roi d’Arménie, qu’il avoit
vaincu par furprife, le conduifit en triomphe dans
Alexandrie , & Et décapiter publiquement Antigone,
roi des Juifs.
Dans la fureur de fa pafîxon pour Cléopâtre , il lui
donna la Phénicie , la baffe Syrie, l’île de C yp re ,
une partie dé la C icile, l’Arabieheureufe, en un mot,
provinces fur provinces, & royaumes fur royaumes,
fans S’embarraffer des volontés du fénat & du pëiïple
romain.
Les profufions extravagantes de fes fêtes, épui-
foiènt les revenus de l’empire, le mettoient hors d’état
d’èntretenir lès armées, St l’obligeoient de vexer
par de nouveaux impôts ; les peuples fournis à fon
gouvernement.
Cléopâtre fut fi biert enchaîner fa valeur féroce,
qu’elle tint tout fes talens militaires affujèttis à l’amour
qu’elle lui infpira. Un feul de fes regards im-
pofteurs, un feul accent de fa voix enchanterefîê ,
îùffifoit poiir l’abattre à fes pies. Cependant elle n’é-
toit plus dans fa première jeuneffe ; mais elle avoit
trouvé le fecret de çonlerver fa beauté. Sa magnificence
extraordinaire plaifoit âux yeux d’Antoine,
& fon efprit fouple fe portoit.à toutes fortes de caractères
avec tant de facilité', qu’elle ne manqüoit
jamais de féduire quand elle l’entreprenoit. Elle avoit
déjà autrefois fubjugué C éfar, & l’on dit encore que
le fils aîné du grandPompée foupira long-tems pour fes
appàs. i
Elle ne craignit qu’un moment la ‘jeuneffe, les
charmes & le mérite d’OCtavie dans fon voyage d’Egypte
; & c’eft alors qu’elle crut n’avoir rien de
trop , pour faire de fon amant un mari infidèle. Elié
prodiga fes richeffes, ou en préfens pour les amis
d’Antoine, & pour ceux qui avoient quelque pouvo
ir fur fon efprit, ou en efpions pour découvrir les
fentimens de fon coeur, & fes démarches les plus
cachées. Enfin , les délices d’Egypte remportèrent
fur. Rome , St lespreftiges de fon art triomphèrent
de la vertu d’OCtavie.
Après fon départ, l’amour d’Antoine pour Cléopâtre
prit de nouvelles forces, & il fe pérfuâda qu’elle
avoit pour lui les mêmes fentimens. Il ignoroît
le commerce fecret qu’elle éntretenoit avec Dellius.
Les foupçons, peut-être bien fondés , qu’il avoit
conçù dans leféjour qu’ils firent à Samos ,:s’ëvanôui-
Tènt, & l’adrefle de Cléopâtre effaça de fon efprit
toüfes ces idées importunes. Il ne jugea plus de fes
fentimens que par les plaïfirs qu’ëlle lui faifoit gôûter,
de fa reconnoiffancè, que par les tendreffes qu’elle ;
îùi marquoit.
$8 Cet amour aveugle rendit fon notti & fa valeur
inutiles. Il fut le prétexte delà guerre d’OClave, qui
arracha à Antoine plufieurs de les plüsilluftrës pàr-
lifans , parce qu’on étoit perfùadé àRom'e I qüe s’il :
devenoit le maître , il tranfporterolt en Egypte le i
fiege de l’empire, & tout le monde conclut à le dé- :
pouiller de fes dignités. *
Les troupes d’OClaVe s’embarquent, & s’avancent
en diligence. Cléopâtre équipe un armée: navale ,
.pompeufe s’il en fut jamais, qu’elle unit a cçMe d’An-
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toine pour foutenir cette guerre, dont elle eft dit-
elle , la feule Caufè. Elle étale tous les tréfors qu’éliê
poffede, & les deftine à l’entretien des troupes. La
bataille d’Aûium fe donne ; il y avoit fur les rivages
plus de deux cens mille hommes, les armes à là main
attentifs à cette tragédie.
On combattoit fur le golfe de Larta avec chaleur
de part & d’autre, quand on v if 60 bâtimens dè la
reine d’Egypte équippés avec magnificence, cingler
à toutes voiles vers le Pélopponèfe. Elle fuit, & entraîne
Antoine avec elle. Il eft du-moins certain que
dans la fuite elle le trahit. Peut-être que par cet efprit
de coquetterie inconcevable des femmes elle
avoit formé le deffein de mettre à fes piés un troifiè-
me maître du monde.
Antoine abandonné, trahi, défefpéré , réfolut, à
l’exemple de Timon, de fe féqueftrer de tout commerce
avec les hommes. L’île d’Anthirrodos, fituée
en face du pont d’Alexandrie, lui parut favorable à
ce deffein ; il y fit élever une jettée qui avançoit
cohfidérablement dans la mer. Sur cette jettée, ilbâ-
’ tit un palais qu’il nommoiî fon timonium ; le rapport
qu’il trouvoit entre l’ingratitude qu’il avoit éprouvée
de la part de fes amis, & celte que cet athénien en
avoit auffi fouffert, lui avoit, difoit-il, donné de
l ’inclination pour fa perfonne, St du goût pour le
genre de vie qu’il avoit mené. Il né l’imita cependant
que pendant peu de teins, fortit de cette retraite avec
autant de légèreté qu’il y étoit entré , & alla rejoindre
fa Cléopâtre à Alexandrie , réfolu de fairé de
nouveaux efforts , pour balancer encore la fortune
d’Oftave ; tel fut fon aveuglement, qii’il vit perdre
fës dernieres efpérances, fans pouVoir haïr le principe
de fon malheur.
Tant de capitaines, St tant de rois qii’il avoit agrandis
ou faits, lui manquèrent ; St comme fi la généro-
fité avoit été liée à la fervitude , une troupe de gladiateurs
St deux affranchis , Eros &.Lucilius , lui
cbnféfverent une fidélité héroïque. Dan$ ce trille
état on lui fait un faux rapport de là nioft de Cléopâtre
; il le croit, perd tout courage, fe trouble, &
conjure Eros de le tuer. Cet affranchi poffédè d’une
fùnefte douleur, fe poignarde lui-même, & jette en
mourant le poignard à ion maître, qui s’èrt fâifit,s’en
frappe, & tombe à fon tour. Un de fes gens arrive,
dans l’inftant de cette càtaftrophe, bande fa p laie,
■ St lui apprend que Cléopâtre vïvoit encore.
Il fe fait porter aux piés de la tour où elle étoit enfermée.
Ce fut un fpeéfacle touchant de Voir lé maître
de tant de nations, un des premiers capitaines de
fon fiecle, illuftre par fes faits d’armes & par fês
viéVoires, expirant, porté par des gladiateurs , St
élevé dans un panier au haut 'de la tour où Cléopâtre
lui tendoit les bras , -à la vue de toute la ville d’Alexandrie,
dont les cris & les larmes éXprimoienfîa
• douleur & l’étonnement;
Cléopâtre enfe réfugiant dans dette'tour , ’àvoit
fait femer d’avance le 'bruit de fa m ott, bien réfolue
defe tuer, foit qu’elle fe reprochât d’âyoir perdu
un homme qui lui avoit pendant dix ans fâcrifié
' l’empiré du mondé , ou qu’elle vît fe$ n'Oifveatîx
projets démentis. Qucii qu’il en fo'it, le frifte état
d’Antoine lui fit veffer un torrent de larmes. « Ne
>>. pleurez, point, madame, lui dit-il, je'mëürs con-
» tèrit entre les bras de Paniqué pérfonnè que j’a-
» dore ». Tel fut à l’âge de 53 ans la fin .d’üh homme
ambitieux, qui avoit défolé la terre , & que perdirent
les égaremens de l’amour. ï ’ai p'eù de ebofe’ à
dire du troifieme triumvir.
Caractère de Lépidds;' Lépidus (Marcus Æmilius),
fortcit dè la maifon Æmilia, la plus illuftrè êntre lès
patriciennes; c’eft celle qu’on citoit Ordinairement
pour la fplendeur, & pour la quantité dë'triomphes
& des dignités. Ài.nfi Lépide portoit'tui grand nom,
çonfidére
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confidéré dans le fénat, & très-honoré dans la république
, mais il le ternit honteufement par fes vices
& par fes crimes.
C’étoit un efprit borné, ambitieux, fans courage,
un homme vain , fourbe, avare, 61 qui ne poffédoit
aucune vertu, nullam virtutibus tam longam fortunes
indulgcntiam meritus. La fortune l’éleva , & l e foutint
quelque teins dans le haut pofte de triumvir , fans
aucun mérite de fa part ; mais auffi cette même fortune
lui fit éprouver fes revers , & le remit dans l’état
d’opprobre où il paffa les dernieres années de fa
vie. Il avoit été trois fois conful , favoir l’an 708,
■ 709 & 713 de Rome.
Dès qu’il fut revêtude cette énorme puiffance que
lui donna le rang fuperbe de triumvir , qu’il avoit
joint à la charge de grand-pontife , tant de pouvoir
& de dignités l’étourdirent. Cet étourdiflèment s’accrut
encore lorfque les deux autres triumvirs le fixèrent
à Rome pour y commander à toute l’Italie, au
peuple, & au fénat qui diftribuoit fes ordres dans les
provinces : cependant il auroit dû comprendre qu’on
ne le laiffoit à Rome que par fon peu de capacité pour
la guerre.
Auffi quand les deux autres triumvirs, après la bataille
de Philippe, fe partagèrent de nouveau le monde
, ils ne lui donnèrent que très-peu de part à l’autorité
; & tandis qu’Antoine prit l’orient, Oélave
l’Italie & le refte de l’empire , Lépidus fut obligé de
fe contenter de fon gouvernement des Efpagnes ; &
comme toutes les troupes étoient dévouées à les deux
collègues , il fallut qu’il partît feulement avec quelques
légions, deftinées pour fa province. ‘
Bientôt après , Q&ave ayant fur les bras en Sicile
les relies du parti de Pompée, Lépidus le tira de peine
avec plufieurs légions qu’il'lui amena, &C qui décidèrent
de la viéloire. Le fiiccès tourna la tête de cet
homme vain , il montra peu d’égards pour fon collègue
, & lui fit dire de fe.retirer de Sicile où il n’avoit
plus rien .à faire. Oétave qui trouvoit toujours des
reffources dans fes rufes, diffimula cette injure , &
gagna par tant de récompenfes & de promeffes plufieurs
chefs de l’armée de Lépide, qu’ils abandonnèrent
leur général, & le livrèrent entre fes mainsV- ■ ‘
Conduit à la tente d’Augufte , il oublia fon nom,
fa naiffance & fon rang. Il lui demanda lâchement la
vie avec la confervation de fes biens. Augufte n’ofa
pas lui refufer fa prière , de peur d’irriter toute une
armée dont il avoit befoin de gagner les coeurs. Mais
quand il eut affuré fon autorité, il dépouilla Lépidus
dû pontificat. Le refte de la vie de ce triumvir fe paffa
dans l’obfcurité; & fans doiite bien triftement, puif-
qu’il fe voÿoit le malheureux objet de l’indulgence
hautaine d’un ancien collègue;Cependant on eft bien
aife de l’humiliation d’un homme qui avoit été un
dès plus méchans citoyens de la république, fans
honneur & fans ame, toujours le premier à commencer
les troubles , & formant fans ceffe des projets
où il étoit obligé d’affocier de plus habiles gens que
lui.
Conclafion. Voilà le portraitdes trois hommes par
lefquels la république tut abattue , & perfonne ne la
rétablit. Malheureufement Brutus , à la journée de
Philippe-, fe crut trop-tôt fans reffource pour relever
la liberté de la patrie. Il fe confidéra dans cet état,
comme n’ayant pour appui que fa feule vertu', dont
la pratique lui devenoit fi fünefte : » Vertu , s’écria-
» t - il, que j’ai toujours fliivie , & pour laquelle j’ai
» tout quitté, .parens, amis , biens, plaifirs &fcligni-
» tés . tu n’es qu’un vain fantôme fans'force & fans
» pouvoir. Le crime a l’avantage fur t o i , St defor-
» mais eft-il quelque mortel qïii doive s’attachera
» ton inutile puiffance » 1 -En difant ces mots, il fe
jetta fur la pointe de fon épée, & fe perça le coeur.
Vitaaut cum ecmitu fusit indignatàfub uitibras.
Tome X VÙ
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L’article du triumvirat qu’on vient de lire, & que
j’ai tiré de plufieurs excellens ouvrages, pouvoit
être beaucoup plus court ; mais je me flatte qu’il ne
paroîtra pas trop long à ceux qui daigneront confidé-
rer que c’eft le morceau le plus intéreffant de l’hi-
ftoire romaine. Auffi les anciens l’ont-ils traité avec
amour & prédileftion. ( L e ch e v a lie r d e J A U c o u r t . }
TRIUN, adj. ( Thcolog. ) très in uno, eft un terme
qu’on applique quelquefois à Dieu pour exprimer
l’unité ae Dieu dans la trinité des perfonnes. Voye^
T rinité. .
TR O A D E , ( Gcog. anc.) contrée de l’Afie mineu*
re , ainfi nommée de la fameufe ville de Troie fa capitale.
Si on prend le nom de Troade pour tout le
pays fournis aux Troïens, ou pour le royaume de
Priam, il fe trouvera qu’elle comprenoit prefque
toute l’étendue de pays que l’on entend fous le nom
des deux Myfi.es, & fous celui de petite Phrygien mais
fi on la reftreint à la province où étoit la ville de
Troie , & q u i étoit la Troade propre , elle fe trouvera
ne comprendre que le pays qui eft entre la Dar-
danide au nord, & au nord oriental le pays desLe-
leges, à l’orient méridional l’Hellefpont, & la mer
Egée au couchant. Ptolomée, liv. y. ch. ij. qui renferme
la Troade dans la petite Phrygie, y met les
lieux fuivans :
Sur le bord ÇAUxandria Troas,
de la mer <( Leclum promontorium.
Eg ée, (AJfum.
i° . Troade, en latin Troas, ville de l’Afie mineure j
dans la Troade , ou dans la petite Phrygie fur la côte
de l’Hellefpont vis-à-vis de l’îie de Ténédos. Cette
ville fut auffi quelquefois' appellée Antigonia &
Alexandrina : ipfa Troas Antigonia dicta , nunc
Alexandrina, dit Pline , l. V. c. xxx. Quelquefois
on joint les deux, Alexandria-Troas. S. Paul étant
allé à Troade en l’an de l’ére vulgaire <f2 , eut la nuit
cette vifion. Un homme de.Macédoine fe préfenta
devant lui, & lui fit cette priere : pàffez en Macédoine,
& venez nous fecourir. Il s’embarqua donc à
Troade, & paffa en Macédoine. Ce voyage de S. Paul
s’exécuta lorfqu’il alloit à Jérufalem où il fut enfuite
arrêté. L’apôtre fut encore quelques autres fois à
Troade', mais on ne fait rien de particulier de ce qu’il
y fit. yoyc{ acl. xx. 5. 6. & II. Connih.Xj. 14. Il
avoit laifféà Troade chez un nommé Carpe, quelques
habits & quelques livres, qu’il pria Timothee de lui
apporter à Rome en l’an 6 5 de l’ére vulgaire, peu de
tems-avant fa mort, arrivée en l ’an 66. VoyeïII.
Timoth. jv. / j. acl. xvj. 8. & fuiv. (D . J ,}
TR O C , ECHANGE, P E R M U T A T I O N ,
( Synonymes-. -) troc , félon M.. l’abbé Girard , eft dit
pour les chofes de fervice , & pour tout ce qui eft
meuble ; ainfi l’on fait des trocs de chevaux, de bijoux
& d’uftenfiles. Echange fe dit pour les terres ,
les perfonnes , tout ce qui eft bien fonds ; ainfi l’on
fait deséchanges d’états, de charges & de prifonniers.
Permutation n’eft d’ufage que pour les biens & titres
eccléfiaftiquès ; ainfi l’on permute une cure , un ca-
nonicat, un prieuré avec un autre bénéfice de même
ou de différent ordre, il n’importe. ( D . / .)
TRO C A R , ou TROISQUARTS, f. m. infime
ment de Chirurgie , poinçon d’acier, long d’environ
deux pouces & demi, exaftçment rond , emmanché
par fon extrémité poftérieure dans une petite poignée
faite en poire, terminé par l’extrémité antérieure
en pointe triangulaire. C’eft des trois angles
tranchans qui forment la.pointe de cet inftrument
qu’il tire fon nom. Les auteurs latins le nomment acus
triquetra. Voyezfig. 4. PI. XXVI.
Le poinçon dont nous venons de parler', eft ren-
R R r r