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un nouveau genre de mort, ne tombât dans des foi-
bleffes ou dans d’autres accidens que l’on ne manque-
roit pas d’attribuer à la transfusion ; il aima mieux
attendre qu’une occalion favorable lui fournit un malade
qui fouhaitât cette opération, & qui l’éprouvât
avec confiance, parce que un fujet ainfi difpofe ai-
deroit par lui-même aux bons effets de la transfujion;
mais pour pratiquer la transfujion fur les hommes, il
avoit à choifir, ou du fang d’un autre homme ou du
fang des animaux ; vivement frappé de la barbarie
qu’il y auroit de rifquer d’incommoder un homme,
d’abréger fes jouis pour en guérir , ou faire vivre
plus long-tems un autre, barbarie cependant trop ufi-
tée dans bien d’autres çccafions ; il fe détermina pour
le fang des animaux, & il crut d’ailleurs trouver dans
ce choix d’autres avantages. i° . Il imagina que les
brutes dépourvues de raifon , guidées par les feuls
appétits naturels ou l’inftinét , 6c par confisquent
exemptes de toutes les débauches 6c les excès auxquels
les hommes fe livrent, fans doute par un effet
de la raifon , dévoient avoir le fang beaucoup plus
pur qu’eux, 2°. Il penfa que les mêmes fujets dont
la chair fervoit journellement à la nourriture de
l’homme, dévoient fournir un fang plus analogue &
plus propre à fe convertir en fa propre fubftance.
3 °. Il- compta encore fur l’utilité des préparations
qu’il feroit aux animaux avant d’en employer le
fang, perfuadé qu’il feroit plus doux & plus balfa-
mique lorfqu’on auroit eu loin de nourrir pendant
quelques jours les animaux plus délicatement ; il auroit
dû ajouter , qu’on auroit pû par des remedes
convenables , donner à leur fang des qualités plus
appropriées aux maladies de ceux qui dévoient le
recevoir. Il auroit pû s’appuyer fur l’hiftoire vraie
ou fauffe de Mélampe, à l’égard des filles du roi Prétus
, 6c fur une pratique afl'ez i'uivie de nourrir les
chevres, dont on fait prendre le lait à des malades
avec des plantes falutaires : 40. il fentit que l’extraction
du fang fe feroit plus hardiment 6c avec plus
de liberté fur les animaux, qu’on pourroit couper ,
tailler avec moins de ménagement, 6c prendre , s’il
étoit néceffaire, du fang artériel & en tirer une grande
quantité, 6c enfin les incommoder ou même les
faire mourir fans s’en mettre beaucoup en peine ;
toutes ces raifons moitié bonnes, moitié mauvaifes,
& toutes fort fpécieufes, l’engagerent à fe fervir du
fang des animaux pour en faire la transfujion dans les
veines des malades qui voudroient s’y foumettre.
La première expérience fe fit le 15 du mois de
Juin 1667 fur un jeune homme, âgé de quinze ou
feize ans, qui avoit effuyé depuis peu une fievre ardente
dans le cours de laquelle les Médecins peu
avares de fon fang , l’avoient fait couler abondamment
à vingt différentes reprifes, ce qui n’avoit fans
doute pas peu aidé à la rendre plus opiniâtre; cette
fievre diflipée, le malade relia pendant long-tems valétudinaire
6c languiffant, fon efprit.fembloit émouf
f é , fa mémoire auparavant heureufe, étoit prefque
entièrement perdue, & fon corps étoit pefant, engourdi,
6c dans un aflfoupiffement prefque continuel;
Denis imagina que cesfymptomes dévoient être attribués
à un fang épaiffi & dont la quantité étoit trop
petite ; il crut Ta conjeélure vérifiée , parce que le
îang qu’on lui tira avant de ,lui faire la transfujion,
étoit fi noir & fi épais , qu’il ne pouvoit pas former
un filet en tombant dans le plat ; on lui en tira environ
cinq onces , & on introduifit par la même ouverture
faite au bras,trois fois autant de fang artériel
d’un agneau dont on avoit préparé la carotide ; après
cette opération, le malade fe couche 6c fe releve,fui-
vant le rapport de D enis, parfaitement guéri, ayant
l’ efprit gai, le corps léger 6c la mémoire bonne, 6c
fe Tentant de plus très - foulagé d’une douleur qu’il
avoit aux reins à la fuite d’une chute faite le j our pré-
1
cèdent ; il rendit le lendemain trois ou quatre toutes
de fang par le nez, 6c fe rétablit enfqite de jour
en jour, il dit n’avoir fenti autre chofe pendant l’opération
qu’une chaleur très-confidérable le long du
bras.
Ce fuccès, dit M. Denis, l’engagea à tenter une fécondé
fois cette opération ; on choifit un homme ro-
bufte & bien portant, qui s’y fournit pour de l’ar-,
gent ; on lui tira dix onces de fang, 6c on lui en remit
le double pris de l’artere crurale d’un agneau, le
patient n’éprouva comme l’autre, qu’une chaleur très-
vive jufqu’à l’aiffelle, conferva pendant l’opération
fa tranquillité 6c fa bonne humeur , & après qu’elle
fut finie, il écorcha lui-même l’agneau qui y avoit
fervi, alla le refte du jour employer au cabaret l’argent
qu’on lui avoit donné, 6c ne reffentit aucune incommodité.
Leur, de Denis à M. de Montmor, & c. Paris,
2 5 Juin 16 6 j.
Il fe préfenta bien-tôt une autre occafion de pratiquer
cette opération, mais oii fon efficacité ne fut
pas auffi démontrée , de l’aveu même des transfu-
Jeurs, que dans les cas précédens ; le baron Bond, fils
du premier miniftre du roi de Suède , fe trouvant à
Paris , fut attaqué d’un flux hépatique , diurétique
6c bilieux, accompagné de fievre ; les Médecins après
avoir inutilement employé toutes fortes de remedes
que la prudence leur fuggéra, c’efl-à-dire nombre de
J'aignées du pic & du bras , des purgations & des lave-
mens , le malade fu t, comme on l’imagine aifément,
fi affoibli qu’il ne pouvoit plus fe remuer, perdit la
parole 6c la connoiffance, 6c un vomiflement continuel
fe joignit à ces fymptomes : les Médecins en dé-
fefpérerent, on eut recôurs à la transfujion, comme
à une derniere reffource. MM. Denis 6c Emmerets,
ayant été mandés , après quelques légers refus, lui
transfuferent environ deux palettes de fang de veau ;
le fuccès de cette opération ne fut point, félon eux,
équivoque. Le malade revint à l’inftant de fon affou-
piffement, les convulfions dont il étoit tourmenté
cefferent, 6c fon pouls enfoncé 6c fourmillant parut
fe ranimer; le vomiflement & le flux lientérique furent
arrêtés, &c. mais après avoir demeuré environ
14 heures dans cet état, tous ces accidens reparurent
avec plus de violence. La foiblefle fut plus confidé-
rable, le pouls fe renfonça, 6c le dévoiement revenu
jetta le malade dans des fyncopes fréquentes. On
crut qu’il étoit alors à-propos de réitérer la transfujion
; après quon l’eut faite, le malade parut reprena
dre un peu de vigueur, mais le flux lientérique per-
fifla toujours, 6c fur le foir la mort termina tous ces
accidens ; les transfufeurs firent ouvrir le cadavre, &
rejetterent le fuccès incomplet de leur opération fnr
la gangrené des inteflins, 6c fur quelques autres dé-
rangemens qu’on trouva dans les différens vi.fce-
res. Leur, de Gadrogs ( ou Denis ) à M. P abbé Bour-
delot, médecin , &c. Paris , 8 Août 166y.
L’obfervation la plus remarquable , qui a fait le
plus de bruit, foit dans Paris, foit dans les pays étrangers
, qui a été fi diverfement racontée par les parties
intéreffées , & qui a enfin été caufe que les ma-
giftrats ont défendu la transfujion, efl celle d’un fou
qu’on a fournis plufieurs fois à cette opération, qui
en a été parfaitement guéri, fpivant les uns, 6c que
les autres affurent en être mort : voici le détail abrégé
que Denis donne de fa maladie 6c des fuccès de
la transfujion.
La folie de ce malade étoit périodique, revenant
furtout vers la pleine lune : différens remedes qu’il
avoit effayés depuis huit ans, 6c entr’autres dix-huit
faignées 6c quarante bains, n’avoienteu aucun fuccès
; l’on avoit même remarqué que les accès fe diffi-
poientplus promptement lôrfqu’.on ne lui faifoit rien
que lorfqu’on le tourmentoitpar des remedes ; on fe
propofa de lui faire la transfujion ; MM. Denis 6c
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Emmerets ,confirkés à ce fujet, jugèrent l ’opération
très-utile. &J très-praticable. Ils répondirent de là vie
du malade, mais n’aîïùrerent pas fa gûérifon ; ils firent
cependant efpérer quelque foalagernent de l’in-
tromiffion du fang d’un veau dont la fraîcheur, di-
foient-ils, & la douceur pourroient tempérer lesfcr-
deurs & les bouillons du fang avec lequel on le mê^-;
leroit; cette-opération fut faite le lundi 19 Décembre
, en préfenee d’un grand nombre de perfonnes
de l’art 6c de diftinélion ; on tira au patient dix onces
de fang du bras , & l’opérafeur -gêné ne put lui en
faire entrer qu’environ cinq ou fix de celui du veau ;
on fat oblige de fufpendrè l’opération , parce que le
malade avertit qu’il étoit prêt A tomber èn foiblefle;
on n’apperçlit les jours fuivans prefque aucun changement
; on en1 attribua-la caufe à la petite quantité
du fang transfufé; on trouva cependant le malade Un
peu moins emporté dans fes paroles 6c fes aélions,
& l’on en conclut qu’il falloit réitérer encore une’ou
deux fois la transfujion. On en fit la fécondé épreuve
le mercredi fuivant 21 Décembre; l’on ne tira au
malade que deux ou trois onces de fang, & o n lui
en fit paffer près d’une livre de celui, du veau. La
dofe du remede ayant été cette fois plus confidéra-
ble, les effets en furent plus prompts 6c plus fènfi-
bles; auffitôt que le fang commença d’entrer dansfes
veines , il fentit la chaleur ordinaire le long du bras
& fous l’aiffelle ; fon pouls s’éleva, 6c peu de tems
après une grande fueur lui coula du vifage; fon pouls
varia fort dans cet inflant : il s’écria qu’il n’en pourvoit
plus des reins , que l’eflomac lui raifoit mal, 6c
qu’il étoit prêt à fuffoquer ; on retira auffitôt la canule
qui portoit le fang dans fes veines , & pendant
qu’on lui fefmoitla plaie, il vomit quantité d’alimens
qu’il avoit pris demi-heure auparavant, pafi'a une
partie de la nuit dans les efforts du vomiflement, 6c
s’endormit enfuite : après un fommeil d'environ dix
heures, il fit paroître beaucoup dé tranquillité 6c de
prefence d’efprit ; il fe plaignit de douleurs 6c de laf-
fitude dans tous fes membres ; il piffa un grand verre
d’urine noirâtre , &c relia pendant toute la journée
dans un affoupiffement continuel, & dormit très-bien
la nuit fuivante ; le vendredi il rendit encore un verre
d’urine auffi noire que la veille ; il laigna du nez
abondamment, d’on l’on tira une indication pour lui
faire une faignée copieufe,
Cependant le malade ne donna aucune preuve de
folie, fe confeffa & communia pour gagner le jubilé,
reçut avec beaucoup de joie 6c de déffionftratioôs
d’amitié fa femme contre laquelle il étoit particulièrement
déchaîné dans fes accès de folie ; un changement
fi confidérable fit Croire à tout le monde que la
guérifon étoit eomplette. Denis n’étoit pas auffi content
que les autres ; il appercevoit de tems en tems
encore quelques légéretés qui lui firent penfer que
pour perfeélionner ce qu’il avoit fi bien commencé,
il falloit encore une troifieme dofe de transfujion ; il
différa cependant l’çxécùtion de ce deffein , parce
qu’il vit ce malade fe remettre de jour en joür, &
continuer à faire des a étions qui prouvoient le bon
état de fa têtr. Lettre de Denis à M. * ** * Paris, iz
Janvier 1668.
Peu de tems après ( le io Février 1668 ) , M. De-
hisfit faire la transfufon à une femme paralytique liir
laquelle un médecin avoft inutilement épuifé tout
fonfavoir ;ill’avoitfaitfaigner cinq fois du pié & des
bras,& lui avoit fait prendre Pémétique&une infinité
de médecines & de lavemens. La transfujion étant décidée
& la malade préparée j on choifit un fang qui
eût affez de chaleur & de fubtilité , ce fat le fang artériel
d’un agneau ; on en fit paffer en deux fois douze
onces dans les veines de la paralytique ; l’opération
fut fuivie du fuccès le plus complet ; lefëntiment
oc le mouvement revinrent dans toutes les parties
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qui en étoiént privées; Denis,-lettreàM; Sorbkre, mé-
decin/,<z Mars :r668.
■ Vers.la fin dumois^de Janvier le fou qui avoitdon-
né de fi grandes elpérances, &: qui avoit prodigieu-
fement enflé le courage des transfufeurs, tomba malade
( M. Denis ne marque pas le caraétere de la maladie);
fa femme lui. ayant fait prendre quelques remedes.
qui n’eiirent aucun effet, s’adreffa à M. Denis;
fuivant ce qu’iL écrit ( lettre à,M. 0 ldenburgh ‘, Jécré-
taire de Vdcad. TOyale.d'Angl. Paris; >5 Mai 1668') ;
&C le pria inilamment de réitérer fur lui la transfu-,
fo n . Ce ne fut qu’à force de prières que ce médecin
fi impatient quelques jours auparavant de faire cette
opération au même malade, s’y réfolut alors; à peine
avoit-ori ouvert la veine du pié pour lui tirer du
fang pendant qu’une canule placée entre l’artere du
veau & une veine du bras lui apportoit du nouveau
fang, que le malade fut faifi d’un tremblement dé
tous les membres; les autres accidens redoublèrent ;
l’on fut obligé de cefl’er l’opération-à peine commenr
eée ; 6c le malade mourut dans la nuit; Denis foupçon-
nant que cette mort étDitl’effet du poifôn que la fem*
me avoit donné'à ce fou pour s’en délivrer,&àllcguant
quelques poudres qu’elle lui avoit fait prendre, de-
mandaTouverture du cadavre,& dit ne l’a voir pas pu
obtenir ; il ajoute que la femme lui raconta qu’ori
lui oifroit de L’argent pour foutenir que fon mari
étoit mort de la transfufon, & qu’elle lui propofa de
lui en donner pour affurer le contraire ; à fon refus
la femme fe plaignit, cria au meurtre ; Denis eut recours
aux magifttats pour.fe juflifier ; & de ces con-
teflations réfultaune fenteneedu Châtelet qui, comme
nous Bavons déjà remarqué, « fait défenies à
» toutes perfonnes de faire la transfufon fur aucun
» corps humain, que la propofition.n’ait été reçue 6c
» approuvée par les médecins de la faculté de Paris 4
» à peine de prilon »;
T elle fut la fin des expériences dé la transfujion furies
hommes , qu’on fit à Paris j qui, quoique présentées
par \es transfufeurs, 6c par conléquenLfousdfe
jour le plus avantageux & avec les circonflances les
plus favorables , ne pâroiffent pas bien décifives
pour cette opération. On voit que, fuivant eux, de
cinq perfonnes qui l’ont éprouvée,, deux malades
ont été guéris, un homme fain n’en a pas été incommodé
, & deux autres n’ont pu éviter la mort, & dé
ces deux le fou a eu à la fuite divers.accidens , comme
foiblefle , défaillance , vomiflement, excrétion
d’urines noires, affoupiffement, faignementde nez j
&ç. & l’on ne fauroit douter que les avantages' de
cette opération n’ayent été fûrement exagérés par
ceux „qui la pratiquoieni & s’en difoient les inventeurs
; leur honneur-& leur fortune même étoienf
intérefles au fuccès de la transfufon ; 6c c’efl une
réglé affezfuredans la pratique, qu’on doit être d’autant
plus réfervé à croire des faits dont on n’a pas été
témoin, qu’ils font plus merveilleux, & que ceux
qui les racontent ont plus d’intérêt à les foutenir. Les
bons effets de la transfujion paroîtront encore plus
douteux j fi l’on confulte les relations que les anti-
tram fufeurs , furtout la Martiniere 6c Lami, donnent
des cures opérées par fon moyen; & fi l’on examiné
certaines éircôriftances far lefquels on étoit généra-
lemént d’accord, mais que les transfujeurs fupprimèrent
comme leur étant inutiles ou peu favorables.
On remarque en premier lieu, que le jeune homme
qui a été le fujet de la première expérience, étoit
domeftique de Denis, 6c qu’on ne cite aucun témoin
de cette opération ; la Martiniere ajoute que le témoignage
d’un domeftique eft fi peu concluant, qu’il
fe charge « de faire dire à fa fervante que fon chat
» ayant là jambe rompue , il l’a parfaitement guéri
» en deux heures ; le croira qui voudra ». i ° . On
affure que la femme paralytique demeurant au fat*5