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j<\ « Un clés plus fréquens cifages des tropes, c’ eft
» de réveiller une idée principale, par le moyen de
» quelque idée acceflbire : c’eft ainfi qu on di t , cent
j »voiles pour cent vaiffeaux, cent feux pour cent ma'v-
» fons, il aime la bouteille pour il aime le vin , le fer
» pour N-pée , la plume ou le Jlyle pour la maniéré clé-
» crire-, Oc.
z°. » Les tropes donnent plus d’énergie à nos e-x-
» preftions. Quand nous fommes vivement frappés
» de quelque penfée , nous nous exprimons rare-
» ment avec fimplicité ; l’objet qui nous occupe fe
» préfente à nous avec les idées acceflbires qui l’ac-
» compagnent ; nous prononçons les noms de ces
»images qui nous frappent : ainfi nous avons natu-
» tellement recours aux tropes, d’où il arrive que
» nous faifons mieux fentir aux autres ce que nous
» fentons nous-mêmes. De-là viennent ces façons
» de parler ,. il ejl enflammé de colere, il eft tombé dans
»■ une erreur groffiere, flétrir la réputation, s'enivrer de
» plaiflr, &c.
[ Les tropes , dit le p. Lamy ( rhét. liv. II. ch.vj. )
font une peinture fenfible de la chofe dont on parle.
Quand on appelle un grand capitaine un foudre de
guerre, l’image du foudre repréfente fenfiblement la
force avec laquelle ce capitaine fubjugue des provinces
entières., la vîtefle de fes conquêtes & le bruit
de fa réputation & de fes armes. Les hommes, pour
l’ordinaire, ne font capables de comprendre que les
chofes qui entrent dans l’efprit par les fens : pour
leur faire concevoir ce qui eft fpirituel, il fe faut
iervirde comparaifons fenfibles, qui font agréables,
parce qu’elles fouiagent l’efprit, & l’exemptent de
l’application qu’il faut avoir pour découvrir ce qui
ne tombe pas fous les fens. C ’ eft pourquoi les ex-
preflions métaphoriques prifes des chofes fenfibles ,
font très-fréquentes dans les faintes Ecritures. Lorf-
que les prophètes parlent de D ieu , ils fe fervent
continuellement de métaphores tirées de chofes ex-
polées à nos fens.... ils donnent à Dieu des bras, des
mains des yeux ; ils l’arment de traits, de carreaux,
de foudres ; pour fjiire comprendre au peuple fa
puiflance invifible & fpirituelle, par des cnofesfenr
fibles & corporelles. S. Auguftin dit pour cette rai-
lon.... Sapientia D e i , quee cim infantiâ noflrâ parabo-
lis & fimilitudinïbus qitodammodo ludere non dedignata
eftiProphétas volait humano more de divinis loqui ; ut
hebetes hominum animi divina O. cceleflia , terreflrium
fimilitudine, intelUgerent. J
30. «Les tropes ornent le difeours. M. Fléchier
» voulant parler de l’inftruélion qui difpofa M. le duc
» de Montaufier à faire abjuration de l’héréfie, au
» lieu de dire Amplement qu’il fe fit inftruire, que les
» miniftres de J. C. lui apprirent les dogmes de la re-
.» lision catholique , & lui découvrirent les erreurs
» de l’hérefie, s’exprime en ces termes : tombe{ , tom-
» be[ , voiles importuns qui lui couvre£ la vérité de nos
» myfleres : & vous ^prêtres de J. C. prene[ le glaive de
» la parole, & coupe{ fagement jufqu'aux racines de
» C erreur, que la naiflance O C éducation avoient fait
» croître dans fon ame. Mais par combien de liens étoit-
» il retenu ?
» Outre l’apoftrophe, figure de penfée, qui fe
» trouvé dans ces paroles, les tropes en font le prin-
» cipal ornement : tomber^ voiles , couvre{ , prenez le
» glaive , coupe^ jufqu'aux racines , croître, liens, re-
♦ > tenu ; toutes ces exprefîiqns font autant de tropes
»qu i forment-des images., dont l’imagination éft
» agréablement occupée.
[Pa r le moyen des tropes, dit encore le p. Lamy
( loc. cit. ) on peut diverfifier le difeours. Parlant
long-tems fur un même fujet,pour nepas ennuyer par
une répétition trop fréquente des mêmes mots, . il eft
bon d’emprunter-ies noms des chofes qui ont dé Ta
lüaifonavec çelles qu’on traite, ôc de les lignifier ainfi
par des tropes qui fourniffent le moyen dé dire une
même chofe en mille maniérés différentes. La plupart
de ce qu’on appelle expreflions,choifies, tours élé-
gans, ne font que des métaphores , des tropes, mais
fi naturels & fi clairs, que les mots propres ne le fe-
roient pas davantage. Aufli notre langue, qui aime
la clarté & la naïveté, donne toute liberté de s’en
fervir ; & on y eft tellement accoutumé , qu’à peine
les diftingue-t-on des expreflions propres , comme il
paroît dans celles-ci qu’on donne pour des expreflions
choifies : Il faut que la complqifance ôte à la févérité ce
qiCtllt a d'amer, & que la févérité donne quelque chofe
de piquant à la complaifance , &C. La fageffe la plus
auflere ne tient pas lohg-tems contre les grandes largeJJ'es
& les âmes vénales fe laiflent éblouir par Céclat de l'or,.,.
Ces métaphores font un grand ornement dans le difeours.]
40. « Les tropes rendent le difeours plu«» noble : les
» idées communes , auxquelles nous fommes accou-
» tumés, n’excitent point en nous ce fentiment d’ad-
» miration & de furprife qui éleve l’ame : en ces oc-
» caftons on a recours aux idées acceflbires, qui prê-
» tent, pour ainfi dire , des habits plus nobles à ces
» idées communes. Tous les hommes meurent égale-
» ment', voilà une penfée commune: Horace a.dit
» ( 1. od. 4.) ' Pallida mors eequopulfat pede pauperum
» tabemas regumque turres. On fait la paraphrafe fim-
» pie & naturelle que Malherbe a fait de c es vers :
» La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles;
» On a beau la prier,
» La cruelle qiCelle efl fe bouche les oreilles
» E t nous Laiffe crier.
» Le pauvre en fa cabanne, où le chaume le couvre j
» Efl fujet 4 fis lois 1
» Et la garde qui veille aux barrières, du lolivre ,
» N'en défend pas nos rois.
» Au lieu de dire que c’eft un phénicien qui a in-
» venté les caractères de l'Ecriture, ce qùi feroit une
» expreflion tropfimple pour lapoéfie, Brébeitf a dit;
» Pharfale, 1. 111.
» C'efl de lui que nous vient cet art ingénieux ,
» De peindre la parole & de parler aux yeux .
» Et par les traits divers des figures tracées
.» Donner de la couleur & du corps auxpenfées.
[ Ces quatre vers font fort eftimés ; dit M. le cardinal
de Bernis ; ( difi. à la tête de fespoéjîes diverfes.)
cependant, ajoute M. l’abbé Fromant (fuppl. delà
gramm. gén. part. II. ch. j . ) le troifieme eft très-foi-
b le , & les réglés exaftes de la langue ne font point
obfervées dans le quatrième : il faudroit dire , de donner
de la couleur, & non pas donner. Cette correftion
eft très-exatte; & l’on auroit encore pu cenfurer
dans le troifieme vers, les traits divers desfigures, ainfi
qu’on le trouve dans la plupart des leçons de ce paf-
fage : j’ai fous les yeux une édition de la Pharfale,
faite à Rouen en 1663 , qui porte, comme je l’ai déjà
tranferit, par les traits divers des figures; ce que je
crois plus régulier. Cependant M. l’abbé d’Olivet a
confervé de dans la correction qu’il a faite des deux
derniers vers , en cette maniéré.
Qui par les traits divers de figures tracées ,‘
Donne de la couleur & du corps aux penfées.
Lucain avoit ennobli à fa maniéré la penfée Ample
dont il s’âgit, & l’avoit fait avec encore plus de
précifion : lib. I I I . 220.
Phanicts prirni 9fam<B f i çreditur , au f i ■
Manfuram rudibus vocerjifignarefiguris.
k°. « Les tropes font d’un grand ufage pour de-,
» guifer les idées dures, delagréablcs, triftes, ou
» contraires à lamodçftie »,
g°. « Enfin les tropes enrichiflent une langue, en
» multipliant l’ufage d’un même mot; ils donnent
» à un mot une fignification nouvelle , foit parce
» qu’on l’unit avec d’autres mots auxquels fouvent
» il ne fe peut joindre dans le fens propre , foitpar-
» ce qu’on s’en fert par extenfion de par .reffemblan-
» ce, pour fuppléer aux termes qui manquent dans
» la langue ». [ On peut donc dire des tropes en général,
ce que dit Quintilien de la métaphore en particulier
: ( Inft' VIII. vj. ) Copiamquoque fermonis au-
get, permutando aut mutuando quod non habit : qubd-
que dijficillimuni efl, preefiat ne ulli rei notnen deeffe vi-
deatur\ , t
« Mais il ne faut pas croire avec quelques favans,
» (M. Rollin, traité des études , eorn.il. pag. 426'.
» Cicéron,, de oratore, n?. i$5. alit. xxxviij. Vof-
» fius 9 In(l. orat. lib. IV. cap.vj. n. 14 ). que les
» tropes n’aient d abord été inventés que par néccfjitè,
» à caufi du défaut & de la difette des mots propres , &
» qu’ils aient contribué depuis à la beauté & à Torne-
» ment du difeours, de même a-peu-prbs que les vête-
» mens ont été employés dans le commencement pour
» couvrir le corps & le défendre contre le froid, & enfui-
» te ont firvi à C embellir & à l'orner.. Je ne crois pas
» qu’il y ait un aflez grand nombre de mots qui fup-
» pléentà ceux qui manquent, pour pouvoir dire
» que tel ait été fe premier & le principal ufage des
» tropes. D’ailleurs ce n’eft point là , ce me femble ,
» la marche, pour ainfi dire, de la nature ; l’imagi-
» nation a trop de part dans le langage & dans la
» conduite des hommes, pour avoir été précédée en
» ce point par lanécefliré.
Je penfe bien autrement que M. du Marfais à cet
égard ; ce n efl point la , dit-il. la marche de la nature
: c’eft elle même ; la néceflité eft la mere des arts,
& elle les a tous précédés. Il n’y a pas, dit-on , un
affez grand nombre de mots qui lùppléent à ceux qui
manquent, pour pouvoir dire que le premier & le
principal ufage des tropes ait été de completter la nomenclature
des langues. Cette affertion eft hafardée,
ou bien l’auteur n’entendoit pas aflez ce qu’il faut entendre
içi par la difette des mots propres.
Rien ne peut, dit Loke, nous approcher mieux de
l’origine de toutes nos notions & connoiffances, que
d’obferver combien les mots dont nous nous fervons
dépendent des idées fenfibles , & comment ceux
qu’on emploie pour lignifier des aérions & des notions
tout-à-fait éloignées des fens , tirent leur origine
de ces mêmes idées fenfibles, d’où ils font tranf-
férés à des lignifications plus abftrufes pour exprimer
•des, idées qui ne tombent point fous les fens. Ainfi les
mots fuivans, imaginer, comprendre, Rattacher, concevoir,
&c. font tous empruntés des opérations des
chofes fenfibles, & appliqués à certains modes de
penfer. Le motefpric, dans fa première fignification,
c’ eft le fouffle ; celui d'ange lignifie mejfager ; & je ne
doute point que fi nous pouvions conduire tous les
mots jufqu’à leur four c e , nous ne trouvaflions que,
dans toutes les langues , les mots qu’on emploie pour
fignifier des chofes qui ne tombent pas fous les lens,
ont tiré leur première origine d’idées fenfibles.
Aux exemples cités par M. Lok e, M. le préfident
de. Broffes en ajoute une infinité d’autres, qui marquent
encore plus précifément comment les hommes
le forment des termes abftraits fur des idées particulières
, & donnent aux êtres moraux des noms tirés
des objets phyfiques : ce qui fuppofant analogie &
comparaifon entre les objets des deux genres, démontre
l’ancienneté & la néceflité des tropes dans la
nomenclature des langues.
« En langue latine , dit ce favant magiftrat, cala-
» mitas & cerumna lignifient un malheur, ,une in-
» fortune : mais dans fon origine,, le premier a figni-
» fie la difette des grains. 3 & le fécond 9 la difette de
» Üalgent. Calamitas, de calamus ; grêle, tempête
» qui rompt les tiges du blé. Ærumna, de ces cens.
» Nous appelions en françois, terre en chaume une
» terre qui n’eft point enfemencée,qu’on laiffe repo--
» fe r , oc dans laquelle, après qu’on a coupé l’épi ;
» il ne refte plus que le tuyau ( calamus ) attaché à
» fa racine : de-là vient qu’on a dit chommer une fê*
» t e , pour la célébrer, ne pas travailler ce jour-là,
»r fe repofer ; » (chaumer un champ , veut dire en
arracher le chaume , & c’eft pour différencier ces
deux fens , que l’on écrit chommer une fête. ) »de-là
» vient le mot calme pour repos, tranquillité; mais
» combien la fignification du mot calme n’eft-elle pas
» différente du mot calamité, & quel étrange che-*
» min n’ont pas fait ici les expreflions & les idées des
» hommes !
» En la même langue incolumis, fain & fauf, (qui •
» efl fine columnâ); expreflion tirée de la comparai-
» fon d’un bâtiment qui, étant en-bon état, n’a pas
>>: befoin d’étaie.
» Divifir ( dividere ) , vient de la racine celtique
» div ( riviere) : le terme relatif divifir a été formé
» fur un objet phyfique , à la vue des rivières qui
» féparoient naturellement les terres : de même de
» rivales , qui fe dit dans lç fens propre, des beftiaux
-» qui s’abreuvent à une même riviere , ou à un mê-»
» me gué, on en fait au figuré rivaux, rivalité, pour
» fignifier la jaloufie entre plufieurs prétendans à une
» même chofe.
» Confidérer, c’eft regarder un aftre ; àefidus,fi*
» deris. Réfléchir, c’eft plier en deux, comme fi l’on
» plioit fes penfées les unes fur les autres , pour les
» raflembler & leS combiner. Remarquer , c’eft difi*
» tinguer un objet , le particularifer, le circônf-
» crire en le féparant des autres , de la racine alle-
» mande mark ( borne, confin, limite ) ».
J’omets, pour abréger, quantité d’autres exemples
cités par le même académicien, & j’en viens à
une obfervation qu’il établit lui-même fur ces exemples.
« Remarquez en général, dit-il, qu’il n’eft pas
» poflible, dans aucune langue, de citer aucun terme
» moral dont la racine ne foit phyfique. J’appelle
» termes phyfiques les noms de tous les individus qui
» exiftent réellement dans la nature : j’appelle, ter-
» mes moraux les noms des chofes qui,n’ayant pas une
» exiftence réelle & fenfible dans la nature, n’exif-
» tent que par l’entendement humain qui en a pro-
» duit les archétypes ou originaux. Peut-être pour-
» roit-on dire à la rigueur , que les mots pli & mar-
» que ne font pas des noms de fubftance phyfique &
» réelle, mais de mode & de relation ; mais il ne
:> faut pas prefler ceci félon une métaphyfique trop
» rigoureufe : les qualités & les fubftances réelles
» peuvent bien être rangées ici dans laclafle du phy-
» fique, à laquelle elles appartiennent bien plus qu’à
» celle des purs êtres moraux.
» Citons encore un exemple tiré de la racine fidus ,
» propre à montrer que les termes qui n’appartien-
» nent qu’au fentiment de Pâme , font tous tirés des
» objets corporels; c’eft le mot defir , fyncopé du
» latin defiderium , q u i, fignifiant dans cette languie
» plus encore le regret de la perte que le fouhaitde
» la poffeflion , s’eft particulièrement étendu dans la
» nôtre au dernier fentiment de l’ame : la particule
» privative de précédant le verbefiderare, nous mon-
» tre que defiderare , .dans fa fignification purement
» littérale , ne vouloit dire autre chofe qu 'être privé
» de la vue des aftres ou du foleil ; le terme qui ex-
» primoit la perte d’une chofe fi fouhaitable, pour
» l’homme, s’eft généraiifé [parune fynecdoque de
» la partie pour le tout ] , pour tous les fentimens
» de regret ; & enfuite [par une autre fynecdoque
» de i’elpece pour le genre] pourtous les fentimens
» de defir qui font çnço/rç plus généraux ; car lç re