fiecles où l’idée qu’on avôit du caraûere d’un grand
homme , n’admettoit pas le mélange de pareilles foi-
bleffes.. Elle reprendra nos poëtes d’avoir fait d’une
intrigue amoureufe la caule de tous les mouvemens
qui arrivèrent à Rome , quand il s’y forma une conjuration
pour le rappel des Tarquins ; comme d’avoir
repréfenté les jeunes gens de ce tems-là fi polis , 6c
meme li timides devant leurs maîtreffes , eux dont
les moeurs font connues fuffifamment par le récit que
faitTite-Live des aventures de Lucrèce.
Tous ceux qui nous ont peint Brutus, Arminius
& d’autres personnages illuftres par un courage inflexible
, fi tendres 6c fi galans , n’ont pas copié la
nature dans leurs imitations,& ont oublie la fage leçon
qu’a donnée M. Defpréaux dans le troifieme chant
de l’Art poétique, oii il décide fijudicieufementqu’il
faut conferver à fes perfonnages leur caraétere national
: '
Gardeç donc de donner , ainfi que dans Clèlie,
L'air & l'efprit françois a L'antique Italie ;
Et fous le nom romain faifant notre portrait,
Peindre Caton galant & Brutus dameret.
La même raifon qui doit engager les poëtes à ne
pas introduire l’amour dans toutes leurs tragédies ,
■ doit peut-être les engager aufli à choifir leur héros
dans des tems éloignés d’une certaine diftance du
nôtre. Il eft plus facile de nous infpirer de la vénération,
pour des hommes qui ne nous font connus que
' par i’hiftoire, que pour ceux qui ont vécu dans des
tems fi peu éloignés du nôtre , qu’une tradition encore
récente nous inftruit exactement des particularités
de leur vie. Le poëte tragique , dira-t-on , faura bien
fupprimer les petiteffes capables d’avilir fes héros.
Sans .doute il n’y manquera pas ; mais l’auditeur s’en
fouvicnt ; il les redit lorfque le héros a vécu dans un
tems fi voifin du lien, que la tradition l’a inftruit de
ces petiteffes.
Il eff vrai que les poëtes grecs ont mis fur leur fcène
des fouverains qui venoient de mourir, 6c quelquefois
même des princes vivans ; mais ce n’etoit pas
pour en faire des héros. Ils fe propofoient de plaire
à leur patrie , en rendant odieux le gouvernement
d’un feul ; 6c c’étoit un moyen d’y reuffir, que de
peindre les rois avec un caraftere vicieux. C’eft par
un motif femblable qu’on a long-tems repréfenté avec
fuccès fur un théâtre voifin du nôtre le fameux fiege
de Leyde , que les Efpagnols firent par les ordres de
Philippe II. & qu’ils furent obligés de lever en 1 578.
Comme Melpomène fe plaît à parer fes perfonnages
de couronnes 6c de fceptres, il arriva dans ces tems
d’horreurs 6c de persécutions , qu’elle choifit dans
cette piece dramatique pour fa vi&ime , un prince
contre lequel tous les fpe&ateurs étoient révoltés.
(Le Chevalier DE J a v COURT.)
T ragédie rom aine , ( Art dram. des Rom. ) les
romains avoient des tragédies de deux efpeces. Ils en
avoient dont lei moeurs 6c les perfonnages étoient
grecs ; ils les appelaient palliâtes., parce qu’on fe
iervoit des habits des Grecs pour les repréfenter. Les
tragédies dont les moeurs 6c les perfonnages étoient
romains , s’appelloient prottextatee , du nom de l’habit
que les jeunes perfonnes de qualité portoient à
Rome. Quoiqu’il ne nous foit demeuré qu’une tragédie
de cette efpece, l’Oûavie quipaffe fous le nom de
Séneque, nous favons néanmoins que les Romains
on avoient un grand nombre : telles étoient le Brutus
qui chaffa les Tarquins , 6c le Décius du poëte At-
tjijjs ; 6c. telle étoit encore le Caton d’Utique de Cu-
riatius Maternus ; mais nous ne favons pas fi cette
derniere a jamais été jouée. C’eft dommage qu’aucune
de toutes ces tragédies ne nous foit parvenue.
(D .J .)
T r a g é d i e DE PIÉTÉ ,. ( PojéJie dram. franç. ) o n
apperçoit dans le xij. fiecle les premières traces des
rëprcfentations du théâtre. Un moine nommé Geof-
fro i, qui fut depuis abbé de faint-Alban en Angleterre
, chargé de l’éducation delà jeuneffe , leur fai-
foit repréfenter avec appareil des efpeces de tragédies
de piété.-Les fujets de la première piece dramatique
furent les miracles de fainte Catherine , ce qui
eft bien anterieur à nos repréfentationsdesmyfteres,
qui n’ont commencé qu’en 1398, fur un théâtre que
l’on dreffa à Paris à l’hôtel de la Trinité. P. Henault.
{ D . J . )
TRAGI-COMÉDIE, f. f. (Littér.) efpece de piece
dramatique repréfentant une aûion quife paffe entre
des perfonnes illuftres , 6c dont l’évenement n’eft ni
trifte, ni fanglant, 6c 011 il entre quelquefois un mélange
de carafteres moins férieux.
M Dacier prétend que l’antiquité n’a point connu
ces fortes de compofitions , où l’on confond le fé-
•rieux avec le comique, 6c l’épithete que Corneille
leur donne de comédie héroïque ne juftifie point leur
irrégularité.
Le plan en eft foncièrement mauvais, parce qu’en
voulant nous faire rire 6c pleurer tour-à-tour, on excite
des mouvemens contraires qui révoltent le coeur,
6c tout ce qui nous difpofe à participer à la joie nous
empêche de paffer lubitement à l’affliâion & à la
Pme' , — m
Autrefois la tragi-comédie regnoit fur les théâtres
anglois, & dans le xvij. fiecle on ne favoit point encore
ce que c’étoit qû’une tragédie , qui ne fût point
affaifonnée de quelque comédie ou farce pour faire
rire.
Aujourd’hui que le théâtre 6c le goût fe font rapprochés
de la nature 6c du génie des anciens, la tragi
comédie eft abfolument tombée.
Ce n’eft que dans la tragi-comédie oirl’on tourne en
ridicule un fujet tragique , qu’il foit permis d’introduire
6c de traiter comiquement les rois 6c les héros.
Voye^ C om éd ie . ( D . J . )
TR AG IE, f. f. traja, (Uijl. nat. Bot.) genre de
plante à fleur monopétale, en forme d’entonnoir,
divifée le plus fouvent en trois parties : cette fleur
eft ftérile. Les embryons naiffent féparément des
fleurs fur les mêmes individus, 6c deviennent dans
la fuite un fruit à trois coques, c’eft-àrdire , com-
pofé de trois çapfules qui renferment une femence
fphérique. Plumier, Nova plantar. americ. généra,
voye[ Plante.
Voici fes cara&eres, félon le P. Plumier. Sa fleur
eft faite en forme d’entonnoir, 6c compofée d’une
feule feuille divifée pour l’ordinaire en trois fegmens,
6c ftérile. Les. embryons font placés à quelque di-
ftance les uns des autres fur la même plante, qui
deviennent enfuite un fruit à trois loges , dans chacune
defquclles eft une femence fphérique. Miller
en compte deux efpeces : la première, tragia alia
feandens, urtices folio: la fécondé, tragia feandens,
longo bltonica folio. Plum. nov. gen.
La première efpece eft fort commune dans les
fondrières de la Jamaïque & dans les autres contrées
de l’Amérique. Elle s’attache à toutes les plantes &
à tous les arbres qu’elle rencontre : elle croît à fa
hauteur de fept ou huit piés, 6c pouffe des tiges fortes
6c ligneules. Ses feuilles reffemblent à celles de
l’ortie ordinaire, & toute la plante eft couverte de
piquans qui la rendent très-difficile à manier.
La fécondé a été découverte à Campèche par le
doéteuf Houfton qui a apporté fes femences. Miller.
J’ajoute ici les carafteres de ce. genre de plante
par. Linnæus; Il produit des fleurs mâles & femelles
fur la même plante. Dans les fleurs mâles , le calice
eft divifé en trois fegmens ovoïdes 6c pointus; les
étamines font trois filets chevelus, de la longueur
du calice. Dans les fleurs femelles, le calice eft découpé
coupé en cinq fegmens ovoïdes 6c creux. Le germe
du piftil eft arxondi 6c fillonné de trois raies. Le
ftile eft fimple , droit 6c plus long que le calice. Le
ftigma eft fendu en trois, 6c eft déployé. Le fruit eft
une groffe capfule rondelette 6c à trois coques; les
femences font Amples 6c arrondies. Linnæi Gen.
plant, p, 448. (D . J.)
TRAG IQU E, le (Poéjîe dram.) Le tragique eft ce
qui forme l’effence de la tragédie. Il contient le terrible
6c le pitoyable, ou fi l’on v eu t, la terreur 6c la
pitié. La terreur eft un fentiment v if de fa propre
foibleffe à la vue d’un grand danger : elle eft entre
la crainte 6c le défefpoir. La crainte nous laiffe encore
entrevoir, au moins confufément, des moyens
d’échapper au danger. Le defefpoir fe précipite dans
le danger même. La terreur au contraire aftaiffe l’ame,
l’abat, l’anéantit en quelque forte, 6c lui ôte
l’ufage de toutes fes facultés : elle ne peut ni fuir le
danger ni s’y précipiter. Or c’eft ce fentiment que
produit dans Sophocle le malheur d’OEdipe. On y
voit un homme né fous une étoile malheureufe,
pourfuivi conftamment par fon deftin, 6c conduit
au plus grand des malheurs par des fuccès apparens.
Ce n’eft point là , quoi qu’en ait dit un de nos beaux
elpritSjim coup de foudre qui fait horreur, ce font
des malheurs de l’humanité qui nous effraient. Quel
eft l’homme malheureux qui n’attribue au-moins une
partie de fon malheur à une étoile funefte ? Nous
l’entons tous que nous ne fommes pas les maîtres
de notre fort ; que c’eft un être fuperieur qui nous
guide, qui nous emporte quelquefois ; 6c le tableau
d’OEdipe n’eft qu’un affemblage de malheurs dont la
plupart des hommes ont éprouvé au-moins quelque
partie ou quelque degré. Ainfi, en voyant ce prince,
l’homme foible, l’homme ignorant l’avenir, l’homme
fentant l’empire de la divinité fur lui, craint, tremble
pour lui-même, 6c pleure pour OEdipe : c’ eft l’autre
partie du tragique ,1a pitié qui accompagne nécef-
fairement la terreur, quand celle-ci eft caufée en
nous par le malheur d’autrui.
Nous ne fommes effrayés des malheurs d’autrui,
que parce que nous voyons une certaine parité entre
le malheureux & nous; c’eft la même nature qui
fouffre, 6c dans l’a£teur 6c dans le fpeftateur. Ainfi,
l’aftion d’OEdipe étant terrible, elle eft en même-
tems pitoyable ; par conféquent elle eft tragique.
Et à quel degré l’eft-elle 1 Cet homme a commis les1
plus noirs forfaits, tué fon pere, époufé fa mere ; fes
enfans font fes freres ; il l’apprend, il en eft convaincu
dans le tems de fa plus grande fécurité ;
fa femme, qui eft en même-tems fa mere, s’étrangle:;
il fe creve les yeux dans fon défefpoir : il n’y a pas
d’aûion poffible qui renferme plus de douleur 6c
de pitié..
Le premier afte expofe le fujet l le fécond fait
naître l’inquiétude; dans le troifieme, l’inquiétude
augmente ; le quatrième eft terrible : « Me voilà prêt
» à dire ce qu’il y a de plus affreux,.............6c moi
» à l ’entendre »; le cinquième eft tout rempli de
larmes.
Par-tout où le tragique ne domine pas, il n’y a point
de tragédie. Le vrai tragique régné, lorfqu’un homme
vertueux, ou du-moins plus vertueux que vicieux,
eft viftime de fon devoir, comme le font les Cu-
naces ; ou de fa propre foibleffe , comme Ariane
6c Phedre; ou de la foibleffe d’un autre homme,
comme Polieuâe ; ou de la * prévention d’un
pere, comme Hippolyte ; ou de l’emportement paf-
lager d un frere, comme Camille ; qu’il foit précipite
par un malheur qu’il n’a pu éviter, comme An-
dromaque; ou par une forte de fatalité à laquelle
tous les hommes font fujets, comme OEdipe ; voilà
le vrai tragique; voilà ce qui nous trouble jufqu’au
ond de 1 ame 6c qui nous fait pleurer, Qu’on y
dôme X V I . - -' • J
joigne l’atrocité de faction avec l’éclat de la grandeur
, ou l’élévation des perfonnages ; l’adion eft héroïque
en même tems 6c tragique,6c produit en nous
une compaffion mêlée de terreur; parce que nous
voyons des hommes, & des hommes plus grands,
plus puiffans, plus parfaits que nous, écrafés par les
malheurs de l’humanité. Nous avons le plaifir de
1 émotion, & d une émotion qui ne va point jufqu’à
la douleur ; parce que la douleur eft le fentiment de
la perfonne qui fouffre, mais qui refte au point où
elle doit être, pour être un plaifir.
Il n’eft pas néceffaire qu’il y ait du fang répandu,'
pour exciter le fentiment tragique. Ariane abandonnée
parThéfée dans n ie de Naxe; Philodete dans
celle de Lemnos, y font dans des fituations tragiques ,
parce qu’elles font aufli cruelles que la mort même :
elles en préfentent même une idee funefte, où l’on
voit la douleur, le défefpoir, l’abattement, enfin tous
les maux du coeur humain.
Mais la punition d’un oppreffeur n’opere point le
tragique. Mithridate tué ne me caufe pas de pitié,
non plus qu’Athalie 6c Aman, ni Pyrrhus. De-même
les fituations de Monime, de Joad, d’Efther, d’An-
dromaque, ne me caufent point de terreur. Ces fituations
font très-touchantes ; elles ferrent le coeur,
troublent l’ame à un certain point, mais elles ne vont
pas jufqu’au but. Si nous les prenons pour du tragique
, c ’eft parce qu’on l’a donné pour tel, que nous
fommes accoutumés à nous en tenir à quelque ref-
femblance ; 6c qu’enfin, quand il s’agit de plaifir,
nous ne croyons pas toujours nédeffàire de calculer
exactement ce qu’on pourroit nous donner. Où font
donc les dénouemens vraiment tragiques ? Phedre 6c
Hippolyte, les freres ennemis, Britannicus, OE dipe,
Polieufte, les Horaces, en voilà des exemples. Le
héros pour qui le fpe&ateur s’intéreffe, tombe dans
un malheur atroce, effrayant: on fent avec lui les
malheurs de l’humanité; on en eft pénétré; on fouffre
autant que lui.
Ariftote le plaignoit de la molleffe dés fpe&ateurs
athéniens , qui craignoient la douleur tragique. Pour
leur épargner des larmes, les poëtes prirent le parti
de tirer du danger le héros aimé, nous ne fommes
pas moins timides fur cet article que les Athéniens.
Nous avons fi peur de la douleur, que nous en craignons
même l’ombre 6cl’image, quand elle a un peu
de corps. C ’eft ce qui amollit, abâtardit le tragique
parmi nous. On fent l’ effet de cette altération, quand
on compare l’impreffion que fait Poliéuâe avec celle
d’Athalie. Elles font touchantes toutes deux : mais
dans l’une i’ame eft plongée, noyée dans une trifteffe
délicieufe : dans l’autre, après quelques inquiétudes,
quelques momens d’alarmes, l’ame eft foulevée par
une joie qui s’évapore, 6c fe perd dans l’inftant.
(D . J.)
T ragique b o u r g eo is . (Poème dramat. trag.)
Le tragique-bourgeois eft une piece dramatique, dont
l’a&ion n’eft pas héroïque, foit par elle-meme, foit
par le caraétere de ceux qui la font; elle n’eft pas
héroïque par elle-même ; c ’eft-à-dire, qu’elle n’a pas
un grand objet, comme l’acquifition d’un trône, la
punition d’un tyran. Elle n’eft pas non plus héroïque
par le cara&ere de ceux qui la font; parce que
ce ne font pas des rois, des conquérans, des princes
qui agiffent, ou contre lefquels on agit.
Quoique la tragédie définiffe la' repréfentation
d’une a&ion héroïque, il n’eft pas douteux qu’on ne
puiflê mettre fur le théâtre un tragique-bourgeois. Il
arrive tous les jours dans les conditions médiocres
des événemens touchans qui peuvent être
l’objet de l’imitation poétique. Il lemble .même
que le grand nombre des fpeftateurs étant dans
cet état mitoyen, la proximité du malheureux 6c
de ceux qui le voient fouffrir, feroit un motif de
Y VY '