ra tta ch a ien t à des êtres femblables à lu i; fi fa conformation
indiquoit un chaîne de créatures utiles ,
qu i ne pût s’accroître & s’éternifer que par l ’emploi*
clés facultés qu’il auroit reçues de la nature ; il per-
droit incontinent le titre de bon dont nous l’avons
décoré : car comment cè titre conviendrait-il à un
individu, qui par fon inaûion & fa folitùde tendroit
aufli directement à la ruine de fon efpece ? L a con-
fervation de l’efpece n’eft-elle pas un des devoirs ef-
fentiels de l’individu ? & tout individu qui raifonne
& qui eft bien con formé , ne fe rend-t-il pas coupable
en manquant à ce d e v o ir , à moins qu’il n’en ait
été difpenfé par quelqu’autorité fupérieure à celle
de la nature ? Voye^ l'Ejfai Jur le mérite & fur la vertu.
J’ajbûté', à moins qu'il n'en ait été difpenfé par qüel-
qu autorité fupérieure à celle de la nature , afin qu’il foit
bien clair qu’il ne s’agit nullement ici du célibat con-
facrépar la religion ; mais de celui que l’imprudence,
la milanthropie, la leg e reté , le libertinage, forment
tous les jours ; de celui où les deux fexes fe corroni-
pant par les fentimens naturels mêmes, ou étouffant
en eux ces fentimens fans aucune néceflïté, fuient une
union qui doit les rendre m eilleurs, pour v iv r e , foit
dans un éloignement fté rile , foit dans des unions qui
les rendent toujours pires. Nous n’ignorons pas que
celui qui a donné à l’homme tous fes membres, peut
fe difpenfer de l’ufage de quelques-uns, ou même lui
défendre cet u fa g e , & témoigner que ce facrifice lui
eft agréable. Nous ne nions point qu’il n’y ait une
certaine pureté corporelle, dont la nature abandonnée
à elle - même ne fe feroit jamais avifée , mais
que D ieu a jugée néceffaire pour approcher plus dignement
des lieux faints qu’il habite, & vaquer d’une
maniéré plus fpirituelle au miniftere de fes autels.
Si nous ne trouvons point en nous le germe de cette
pureté, c ’eft qu’elle e f t , pour ainfi d ir e , une vertu
révélée & de foi.
Du célibat confdéré 2°. eu égard à la fociété. L e célibat
que la religion n’a point l’anCtifié, ne peut pas
être contraire à la propagation de l’efpece humaine,
ainfi que nous venons de le démontrer, fans être nui-
fible à la fociété. Il nuit à la fociété en l’appauvrif-
fant & en la corrompant. En l'appauvrijfant, s’il eft
v r a i , comme on n’ en peut guere d ou te r, que la plus
grande richelfe d’un état confifte dans le nombre des
iù je ts ; qu’il faut compter la multitude des mains entre
les objets de première néceflïté dans le commerc
e ; & que de nouveaux citoyens ne pouvant devenir
tous fbldats, par la balance de paix de l ’Europe,
& ne pouvant par la bonne police , croupir dans l’cn-
fiv e té , travailleraient les te rre s, peupleraient les
manufactures , ou deviendroient navigateurs. En la
corrompant, parce que c’eft une réglé tirée de la natu
re, ainfi que l'illufre auteur de l'efprit des lois, l’a
bien remarqué, que plus on diminue le nombre des
mariages qui pourroient fe faire, plus on nuit à ceux
qui font faits ; & que moins il y a de-gens mariés ,
moins il y a de fidélité dans les mariages, comme
lorfqu’il y a plus de vo leu r s , il y a plus de vols. Les
anciens connoilfoient fi bien ceis avantages ; & met-
tolènt un fi haut prix à la faculté naturelle de fe mà-
fier & d’avoir des enfans, que leurs lois a voient pourv
u à ce qu’elle ne fût point ôtée. Ils regardoiént cette
privation comme un moyen certain de diminuer les
reffources d’ün peu plé , & d’y accroître la débauche.
Aufli quand on rece vo it Un legs à'coiiditio'n de garder
le célibât ; lorfqu’un patron fàïfoit jurer fon affranchi
qu’il ne fie ma riera it point, ôc qu’il n’auroit
point d’enfant, la loi Pappienne annuTloit chez lés
Romains & la condition & le ferment. Ils avoient
conçu qùe là où le célibat auroit la prééminence, il
Ue pouvoit guere y àVoîr d’honneùf pour l’état du
mariage ; & conféquemmènt parmi leurs lois , on
’fi’en rencontre âuèünè cpTèOmieniiêtlriê abrogation
expreffe des privilèges & des honneurs qu’ils avoient
accordés aux mariages & au nombre des enfans.
Du célibat confédéré y°. eu égard à la fociété chrétien-
ne. L e culte des dieux demandant une attention continuelle
& une pureté de corps & d’ame finguliere,
la plûpart des peuples ont été portés à faire du clergé
un corps féparé ; ainfi chez les Egyptiens , les
Juifs & les Perfies, il y eut des familles confacrées
au fe rvice de la divinité & des temples. Mais on ne
penfa pas feulement à éloigner les eecléfiaftiques des
affaires & du commerce des mondains ; il y eut des
religions où l ’on prit encore le parti de leur ôter l’embarras
d’une famille. On prétend que tel a été particulièrement
l’efprit du Chriftianifme ,même dans fon
origine. Nous allons donner une expofition abrégée
de la difcipline, afin que le leCteur en puiffe juger
par lui-même.
Il faut avouer que la loi du célibat pour les évêques,
les prêtres, & lés d iacres, eft aufli ancienne q u e l’E-
glifie. Cependant il n’y a point de loi divine écrite qui
défende d’ordonner prêtres des perfonnes mariées,ni
aux prêtres de fè marier. Jefus-Chrift n’en a fait aucun
précepte ; ce que S. Paul dit dans fes épîtres à Timothée
& à T ite fur la continence des évêques & dçs
diaeres, tend feulement à défendre à l’évêque d’ av
o ir plufieurs femmes en même teins ou fucceflive-
ment ; oportet epifcopum effe uniits uxoris virum. La pratique
même des premiers fiecles de l’Eglife y eft formelle
: on ne faifoit nulle difficulté d’ordonner prêtres
& évêques des hommes mariés ; il étoit feulement
défendu de fe marier après la promotion aux
o rd res , ou de paffer à d’autres nôces , après la mort
d’une première femme. Il y avo itune exception particulière
pour lés v eu v es . On ne peut nier que l’efprit
& le voeu de l’Eglife n’ayerit été que fes principaux
miniftres vécùffent dans une grande continenc
e , & qu’elle a toujours travaillé à en établir la loi ;
cependant l’ufage d’ordonner prêtres des perfoiineS
mariées a fubfifté &t fubfifte encore dans l’Eglife G ré-
que , & n’a jamais été pofitiveirterit improuvé par
l’Eglife Latine.
Quelques-uns croÿént que le troifieme cailon du
premier concile de N ic é e , impofe aux clercs majeu
rs , c’eft-à-dire, aux évêqu es , aux prêtres ,& auX
d ia c re s , l’obligation du célibat. Mais le P. Alexandre
prou ve dansune differtation particulière, que le concile
n’a point prétendu interdire aux clercs le commerce
a v e c les femmes qu’il avoient époùfées avant
leur ordination ; qu’il ne s’agit dans le canon objeCté
que des femmès nommées fubintroduclce & agapetce, &
non des femmes légitimes ; & que ce n’eft pas feulement
aux clercs majeurs, mais aufli aux clercs inférieurs,
que le concile in terdit la cohabitation av e c les
agapetes: d’où cefavant Théologien conclut que c ’eft
le concubinage qu’il leur défend, & non l’ufage du
mariagelégitimement contracté avant l’ordination. II
tire même avantage de l’hiftoire de Paphenuce fi connu
e, & que d’autres auteurs ne paroïffent avoir re-
jettée comme une fa b le , que parce qu’elle n’eft aucunement
favorable au célibat du clergé.
L e concile de Nicée n’a d on c , félon toutê appar
en ce , parlé que des mariages contractés depuis l’o rdination,
& du concubinage: mais le neuvième canon
du concile d’AnCyre permet exprefleme'nt à ceux
qu’on ordonnerait diacres qui ne feraient pas mariés
, de contracter mariage dans la fu ite , pourvu
qu’ils euffent prôtefté dans le tems de l’ordination ,
contre l ’obligation du célibat. Il eft vrai que cette indulgence
ne fut étendue ni aux évêques ni aux prêtres',
& que l'e concile de Neoccefarée tenu peu de
tems après celui d’A n c y r e , prononce formellement :
presbyterütn 9f üxorèm acceperit, ab brdine deponendum,
quoique le mariage ne fût pas n u l, félon la remarque'du
P , Thomaflrn. Le concile in Trullo tenu l’an
69z, confirma dans fon xiij. canon l’ufage de l’églife
«reque , & l’églife latine n’exigea point au concile
de Florence qu’elle y renonçât. Cependant il ne faut
pas celer que plufieurs des prêtres Grecs font moines
& gardent le célibat ; & que l’on oblige ordinairement
les patriarches & les évêques de faire pro-
feflion de la vie monaftique, avant que d’être ordonnés.
Il eft encore à propos de dire qu’en Occident le
célibat fut prefcrit aux clercs par les decrets des papes
«Sirice & Innocent; que celui du premier eft de
l’an 385, que S. Léon étendit cette loi aux foûdia-
cres ; que S. Grégoire l’avoit impofée aux diacres de
Sicile ; & qu’elle fut confirmée par les conciles d’El-
vire fur la fin du iije fiecle, canon xxxiij. de Tolède,
en l’an 400; de Carthage, en 419, canon iij.
& jv. d’Orange, en 441, canon xxij. &xxiij. d’Arles,
en 452; de Tours, en 461 ; d’Agde, en 506;
d’Orléans, en 5 3 8 ; par les capitulaires de nos rois,
& divers conciles tenus en Occident ; mais principalement
par le concile de Trente ; quoique fur les re-
préfentations de l’Empereur, du duc de Bavière, des
Allemands, & même du roi de France, on n’ait pas
laiffé d’y propofer le mariage des prêtres , & de le
folliciter auprès du pape, après la tenue du concile.
Leur célibat avoit eu long-tems auparavant des ad-
verfaires : Vigilance & Jovien s’étoient élevés contre
fous S. Jérome : Wiclef, les Huflites, les Bohémiens
, Luther, Calvin , & les Anglicans , en ont
fecoiié le joug ; & dans le tems de nos guerres de religion,
le cardinal de Chatillon, Spifame, évêque de
Nevers, & quelques eecléfiaftiques du fécond ordre,
oferent fe marier publiquement ; mais ces exemples
n’eurent point de fuite.
Lorfque l’obligation du célibat fut générale dans
l’Eglife catholique, ceux d’entre les eecléfiaftiques
qui la violèrent, furent d’abord interdits pour la
vie des fondions de leur ordre, & mis au rang des
laïques. Juftinien, leg. 4J. cod. de epifeop. & cler. voulut
enfuite que leurs enfans fuflent illégitimes, & incapables
de fuccéder & de recevoir des legs : enfin il
fut ordonné que ces mariages feraient caffés, & les
parties mifes en pénitence ; d’où l’on voit comment
l’infraCtion eft devenue plus grave, à mefure que la
loi s’eft invétérée. Dans le commencement s’il arri-
voit qu’un prêtre fe mariât, il étoit dépofé, & le mariage
fubfiftoit ; à la longue, les ordres furent confédérés
comme un empêchement dirimant au mariage :
aujourd’hui un clerc fimple tonfuré qui fe marie, ne
joiiit plus des privilèges des eecléfiaftiques, pour la
jurifdiCtion & l’exemption des charges publiques. Il
eft cenfé avoir renoncé par le mariage à la cléricature
& à fes droits. Fleury, Inft. au Droit eccléf. tom. 1.
Ane. & nouv. difcipline de l'Eglife du P. Thom^flin.
Il s’enfuit de cet hiftorique, dit feu M. l’abbé de
S. Pierre, pour parler non en controverfifte , mais
en fimple politique chrétien, & en fimple citoyen
d’une fociété chrétienne, que le célibat des prêtres
n’eft qu’un point de difcipline ; qu’il n’eft point ef-
fentiel à la religion chrétienne ; qu’il n’a jamais été
regardé comme un des fondemens du fchifme que
nous avons avec les Grecs & les Proteftans ; qu’il a
été libre dans l’églife latine : que l’Eglife ayant le
pouvoir de changer tous les points de difcipline d’inf-
titution humaine; fi les états de l’églife catholique
recevoient de grands avantages de rentrer dans cette
ancienne liberté, fans en recevoir aucun dommage
effe&if, il feroit à fouhaiter que cela fût; & que la
queftion de ces avantages eft moins théologique que
politique, & regarde plus les fouverains que l’Egli-
fe, qui n’aura plus qu’à prononcer.
Mais y a-t-il des avantages à reftituer les ecclé-
fiaftiques dans l’ancienne liberté du mariage ? C’eft
un fait dont le Czar fut tellement frappé , lorfqu’il
parcourut la France incognito, qu’il ne concevoir pas
que dans lin état où il rencontrait de fi bonnes lois
& de fi fages établiffemens, on y eût laiffé fubfifter
depuis tant de fiecles une pratique, qui d’un côté
n’importoit en rien à la religion, & qui de l’autre
préjudicioit fi fort à la fociété chrétienne. Nous ne
déciderons point fi l’étonnement du Czar étoit bien
fondé ; mais il n’eft pas inutile d’analyfer le mémoire
de M. l’abbé de S. Pierre, & c’eft ce que nous allons
faire.
Avantages du mariage des prêtres. 1 ° . Si quarante
mille curés avoient en France qu a tre -vin g t mille
enfans , ces enfans étant fans contredit mieux élevés
, l ’état y gagneroit des fujets & d’honnêtès
gens , & l’Eglife des fideles. 20. Les eecléfiaftiques
étant par leur état meilleurs maris que les autres
hommes , il y auroit quarante mille femmes plus
heureufes & plus vertueufes. 30. II n’y a guere
d’hommes pour qui le célibat ne foit difficile à obfer-
v er ; d’où il peut arriver que l’Eglife fouffre un grand
fcandale par un prêtre qui manque à la continence ,
tandis qu’il ne revient aucune utilité aux autres Chrétiens
de celui qui v it continent. 40. Un prêtre ne
mériterait guere moins devant Dieu en fupportant
les défauts de fa femme &C de fes enfans, qu’en réfiff
tant aux tentations de la chair. 50. Les embarras du
mariage font utiles à celui qui les lùpporte ; & les
difficultés du célibat ne le font à perfonne. 6°. L e
curé pere de famille v er tu eu x , feroit utile à plus de
monde que celui qui pratique le célibat. 7 0. Qu elques
eecléfiaftiques pour qui l’obfervation du célibat
eft très -pén ib le, ne croiraient pas avo ir fatisfait à
to u t, quand ils n’ont rien à fe reprocher de ce côté.
8°. Cent mille prêtres mariés formeraient cent mille
familles ; ce qui donnerait plus de dix mille habi-
tans de plus par an ; quand on n’en compterait que
cinq mille , ce calcul produirait encore un million de
François en deux cents ans. D ’où il s’enfuit que fans
le célibat des prêtres, on .aurait aujourd’hui quatre
millions de Catholiques de plus, à prendre feulement
depuis François I. ce qui formeroit une fomme con-
fidérable d’argent ; s’il eft v r a i, ainfi qu’un Anglois
l’a fupputé, qu’un homme vaut à l’état plus de neuf
livres fterling. 90. Les maifons nobles trouveraient
dans les familles des é v êq u e s , des rejettons qui prolongeraient
leur durée, &c. Vlye^les ouvragespolitiq.
de M. l’abbé de S. Pierre , tom. 11. p. 146*.
Moyens de rendre aux eccléf af iques la liberté du ma•
riage. Il faudrait 1 ° . former une compagnie qui méditât
fur les obftacles & qui travaillât â les lever. z°.
Négotier avec les princes de la communion Romain
e , & former a v e c eux une confédération. 30. Né-
•gotier avec la cour de Rome ; car M. l’ abbé de S.
Pierre prétend qu’il vau t mieux ufer de l’intervention
du pape , que de l’autorité d’un concile national
; quoique, félon lu i, le concile national abrégeât
fans doute les procédures, & que félon bien des
théologiens, ce tribunal fut fuffifant pour une affaire
de cette nature. Vo ic i maintenant les objections que
M. l’abbé de S. Pierre fe propofe lui-même contre
fon pro je t, a v e c les réponfes qu’il y fait.
Première objection. Les évêques d’Italie pourroient
donc être mariés, comme S. Ambroife; & les cardinaux.&
le p a p e , comme S. Pierre.
R é p o n s e . Affûrement : M. l’abbé de S. Pierre ne
v o it ni mal à fuivre ces exemples, ni inconvénient
à ce que le pape & les cardinaux ayent d’honnêtes
femmes, des enfans v ertu eu x, & une famille bien
réglée.
Seconde objection. Le peuple a une vénération d’habitude
pour ceux qui gardent le célibat, & qu’il eft à
propos qu’il conferve.
R é p o n s e . C eu x d’entre les pafteurs Hollandois
& Anglois qui font v e r tu eu x , n’e n ,font pas moins
refpeêtés du peuple , pour être mariés»