i l ne s’eft trouvé en France aucun graveur en caractères
tant - foit - peu recommandable. Lorfqu’il fut
queftion de diftinguer les i & les u confonnes &
voyelles, il ne fe trouva pas un feul ouvrier en état
d’en graver paffablement les poinçons ; ceux de ces
anciens poinçons qu’on retrouve de tems en tems,
montrent combien l’art avoit dégénéré. Il en fera
ainfi de plufieurs arts, toutes les fois que ceux qui
les profeffent feront rarement employés ; on fond rarement
des Rames équeftres ; les poinçons des caractères
typographiques font prefqu’ëternels. Il eft donc
néceffaire que la maniéré de s’y prendre & d’exceller
dans ces ouvrages, s’oublie en grande partie.
La gravure des caractères eft proprement le fecret
de l’Imprimerie ; c’eft cet art qu’il a fallu inventer
pour pouvoir multiplier les lettres à l’infini, & rendre
par-là l’Imprimerie en état de varier les compofitions
autant qu’une langue a de mots, ou que l’imagination
peut concevoir d’idées, & les hommes inventer
de lignes d’écriture pour les défigner.
Cette gravure fe fait en relief fur un des bouts
d’un morceau d’acier, d’environ deux pouces géométriques
de long, & de groffeur proportionnée à la
grandeur de l’objet qu’on y veut former, & qui doit
y être taillé le plus parfaitement qu’il eft poffible,fui-
vant les réglés de l’art & les proportions relatives à
chaque lettre; car c’eft de la perfection du poinçon,
que dépendra la perfection des caractères qui en émaneront.
On fait les poinçons du meilleur acier qu’on peut
choifir. On commence par arrêter le deffein de la
lettre : c’eft une affaire de goût ; & l’on a vû en dif-
férens tems les lettres varier, non dans leur forme
effentielle, mais dans les rapports des différentes parties
de cette forme entr’elles. Soit le deffein arrêté
d’une lettre majufcule B , que nous prendrons ici
pour exemple; cette lettre eft compofée de parties
blanches & de parties noires. Les premières font
creufes, & les fécondés font faillantes.
Pour former les parties creufes, on travaille un
contre-poinçon d’acier de la forme des parties blanches
( Voye{ Planche I I I . de La Gravure , fig. 5z. le
contre-poinçon de la lettre 5 ) ; ce contre-poinçon
étant bien formé, trempé dur, & un peu revenu ou
recuit, afin qu’il ne s’égraine pas, fera tout prêt à
fervir.
Le contre-poinçon fait, il s’agit de faire le poinçon
: pour cela on prend de bon acier; on en dreffe
un morceau de groffeur convenable, que l’on fait
rougir au feu pour le ramollir ; on le coupe par tronçons
de la longueur dont nous avons dit plus haut.
On arrondit un des bouts qui doit fervir de tête, &
l ’on dreffe bien à la lime l’autre bout ; enforte que la
face foit bien perpendiculaire à l’axe du poinçon ;
ce dont on s’affûrera en le paffant dans l’équerre à
dreffer fur la pierre à l’huile, ainfi qu’il fera expliqué
ci-après. On obferve encore de bien dreffer deux
.des longues faces latérales du poinçon, celles qui
doivent s’appliquer contre les parois internes de l’é-
querre à dreffer. On fait une marque de repaire fur
une de ces faces ; cette marque fert à deux fins : i°.
à faire connoître le haut ou le bas de la lettre, félon
le côté du poinçon fur lequel elle eft tracée ; i° . à
faire que les mêmes faces du poinçon regardent à
chaque fois qu’on le remet dans l’équerre, les faces
de l’équerre contre lefquelles elles étoient appliquées
la première fois. Cette précaution eft très-effentielle ;
fans elle on ne parviendrait jamais à bien dreffer la
petite face du poinçon, fur laquelle la lettre doit être
pour ainfi dire découpée.
Lorfqu’on a préparé le poinçon, comme nous v enons
dé le preferire, on le fait rougir au feu , quand
il eft trèsrgros ; quand il ne l’eft point, il fuffit que
l’acier foit recuit, pour recevoir l’empreinte du çontre
poinçon ; on le ferre dans un tas dans lequel il y
a une ouverture propre à le recevoir. On l’y affermit
par deux vis, la face perpendiculaire à l’axe tournée
en haut ; on préfente à cette face le contre- poinçon
qu’on enfonce à coup de maffe, d’une ligne ou environ
, dans le corps du poinçon, qui reçoit ainfi l’empreinte
des parties creufes de la lettre.
Cette operation faite, on retire le contre-poinçon,'
on ôte le poinçon du tas ; on le dégroffit à la lime, tant
à fa furface perpendiculaire à l’axe, qu’à fa furface
latérale;on le dreffe fur la pierre à l’huile avec l’équerre.
Il y en a qui tracent quelquefois avec une pointe
d’acier bien aiguë, le contour extérieur des épaiffeurs
des parties faillantes de la lettre : mais quand le contre
poinçon eft bien fait, le graveur n’a qu’à fe laif-
fer diriger par la forme. On enleve à la lime les parties
qui font fituées hors du trait de la pointe aiguë ,
quand on s’en fert, ce qui arrive toujours dans la
gravure des vignettes ; on obferve bien de ne pas
gâter les contours de la lettre, en emportant trop.
On dreffe la lettre fitr la pierre à huile pour enlever
les rebarbes que la lime a occafionnées ; on fipit la
lettre à la lime, & quelquefois au burin, ne laiffant
à cette extrémité que la lettre feule, telle qu’on voit
la lettre B , fig. Sz. même Planche III. Cette figure
montre le poinçon de la lettre B achevé ; on voit
que la lime a enlevé en talud les parties qui excé-
doient les contours de cette lettre.
L’équerre à dreffer, qu’on voit fig. J j . eft un morceau
de bois ou de cuivre formé par deux parallele-
pipedes A B CD, A B EF, qui forment un angle droit
fur la ligne A B ; enforte que quand l’équerre eft pôle
fur un plan, comme dans la figure i/ . cette ligne
A B foit perpendiculaire au plan. La partie inférieure
de l’équerre, celle qui pofe fur le plan, eft garnie
d’une femelle d’acier ou d’autre métal, bien dreffée
fur la pierre à huilp, qui doit être elle-même parfaitement
plane. On place le poinçon dans l’angle de
l’équerre ; on l’y affujettit avec le pouce, & avec le
refte de la main dont on tient l’équerre extérieurement,
on promene le tout fur la pierre à huile fur laquelle
on a foin de répandre un peu d’huile d’olive.
La pierre ufe à la fois & la femelle de l’équerre & la
partie du poinçon. Mais comme l’axe du poinçon
conferve toûjours fon parallélifme avec l’arête angulaire
de l’équerre A B , & que l’équerre à caufe de
la grande étendue de fa bafe, ne perd point fa direction
perpendiculaire au plan de la pierre ; il s’enfuit
qu’il en eft de même du poinçon, qu’il eft dreffé &
que le plan de la lettre eft bien perpendiculaire à l’axe
du poinçon.
Quand le poinçon a reçu cette façon, on le trempe
pour le durcir. On le fait enfuite un peu revenir
ou recuire, afin qu’il ne s’égraine pas quand on s’en
fervira pour marquer les matrices ; c’en: de fa ferme
confiftance que dépend fa dureté & fa bonté. Trop
dur, il fe brife facilement ; trop mou, les angles de fa
lettre s’émouffent, & il faut revenir à la taille & à la
lime.
Tous les poinçons des lettres d’un même corps doivent
avoir une hauteur égale, relativement à leur figure.
Les capitales doivent être toutes de même grandeur
entr’elles, & de la hauteur des minufcules b ,
d , l , &c. & autres lettres à queue ; il en eft de même
de , q , par en-bas. Les minufcules font aufli égales
entr’elles, mais d’un calibre plus petit, comme m,
a , &c. On les égalife avec un calibre ; ce calibre eft
un morceau de laiton platdans lequel font trois entailles
, la plus grande pour les lettres pleines, telles
que j long, Q capital, &c. la fécondé pour les lettres
longues qui font les capitales, les minufcules longues
, telles que d , b , p , a , &.c. la troifieme pour les
minufcules, comme m, a>, c , e. La lettre du poinçon
qu’on préfente à l’une de ces entailles, doit la remplir
exaftement : de forte qu’après que les caractères
font fondus, leurs fommets & leurs bafes fe trouvent
précifément dans la même ligne , ainfi qu’on voit
dans l’exemple fuivant -A nhrrGël'
Les poinçons faits, ils paflént entre les, mains du
Fondeur, qui doit veiller à ce que les poinçons qu’il
acheté ou qu’il fait, ayent l’oeil bien terminé & d’une
profondeur fuffifante, &: que les bafes & fommets
des lettres fe renferment bien entre des parallèles.
On commence ordinairement par le poinçon de la
lettre M , & c’eft lui qui fert de réglé pour les antres.
De la Fonderie en caractères. La Fonderie en caractères
eft une fuite de la gravure des poinçons. Le ter-
me Fonderie en caractères a plufieurs acceptions : il fe
prend ou pour un affortiment complet de poinçons
&C de matrices de tous les caractères , fignes, figures,
&c. fervant à l’Imprimerie , avec les moitiés, fourneaux
, & autres uftenfiles néceffaires à la fonte des
caractères ;o u pour le lieu où l’on fabrique les caractères,
ou pour l’endroit où l’on prépare le métal dont
ils font formés ; ou enfin pour l’art même de les fondre
: c’eft dans ce dernier fens que nous en allons
traiter particulièrement. . .
La Fonderie en caractères eft un art libre. Ceux qui
l’exercent ne font point fujets à maîtrife, à réception,
ou vifites. Ils joiiiffent néanmoins des privilèges,
exemptions & immunités attribues à 1 Imprimerie ,
& font réputés du corps des Imprimeurs.
Cet art eft peu connu, parce que le vulgaire ne
fait point de diftinttion entre Fonderie & Imprimer
ie , & s’imagine que l’impreflion eft louvrage^de
l’imprimeur, comme un tableau eft l’ouvrage d’un
peintre. Il y a peu d’endroits ou l on exerce cet «ut .
à peine compte-t-on douze fonderies en caractères en
France : de ces douze fonderies , il y en a plus de
la moitié à Paris.
Les premiers Fondeurs étoient Graveurs , Fondeurs
, & Imprimeurs ; c’eft-à-dire qu’ils travailloient
les poinçons, frappoient les matrices, tiraient les
empreintes des matrices, les difpofoient en formes ,
& imprimoient : mais l’art s’eft divifé en trois branches
, par la difficulté qu’il y avoit de réuffir egalement
bien dans toutes. • ,
On peut obferver fur les ouvriers qui ne font que
Fondeurs > ce que nous avons obfervé fur ceux qui
ne font qu’l m primeurs, c’eft qu’ils ne font les uns
& les autres que prendre des empreintes, les uns fur
le métal, les autres fur le papier. Que les caractères
foient beaux ou laids , ils n’en font ni a louer ni à
blâmer ; chacun d’eux coopéré feulement à la beauté
de l’édition, les Imprimeurs par la coropofition & le
tirage, les Fondeurs par le foin qu’ils doivent avoir
que les caractères foient fondus exaftement luiy.ant les
réglés de l’Art ; c’eft-à-dire que toutes les lettres de
chaque corps foient entr’elles d’une épaiffeur & d’une
hautCur égale ; que tous les traits de chacune des
lettres foient bien de niveau, &: également diftans
les uns des autres ; que toutes les lettres des caractères
romains foient droites .& parfaitement perpendiculaires
; que celles des italiques foient d’ùne incli-
naifon bien uniforme ; & ainfi des autres caractères
fuivant leur nature : toutes chofes que nous allons
expliquer plus en détail.
Lorfque le Fondeur s’eft pourvu des meilleurs
poinçons, il travaille à former des matrices : pour
cet effet il prend le meilleur cuivre de rqfette qu’il
peut, trouver ; il en forme à la lime de petits paralle-
lepipedes longs de quinze à dix-huit lignes , & d u-
ne bafe & largeur proportionnées à la lettre qui doit
être formée fur cette largeur. Ces morceaux de cuivre
dreffés & recuits, font pofés l’un apres l’autre
fur un tas d’enclume : on applique deffus.à l’endroit
qui.convient, l’extrémité gravée du poinçon ; & d un
ou de plufieurs coups de marteau ron l’y fait,entrer à
une profondeur déterminée depuis une demi-ligne
jufqu’à une ligne & demie.
Par cette opération, le cuivre prend exactement
la forme du poinçon, & devient un véritable moule,
de corps de lettres femblables à celles du pqinçon ;
& c’eft par cette raifon qu’on lui a donné le nom de
matrice. Le nom de moule a été réfervé poqr uti affem-.
blage, dont la matrice n’eft que la partie principale.
La matrice ainfi frappée n’eft pas parfaite , eu
égard à la figure dont elle porte l’empreinte : il faut
foigneufement obferver que fa face fupérieure
i j . PI. II. de la Fonderie en caractères, fur laquelle s’eft:
faite l’empreinte du poinçon, foit exaéteiqent parallèle
à la lettre imprimée fur elle, & que les deux faces
latérales foient bien perpendiculaires à celle-ci.
On remplit la première de ces conditions en enle-.
vant à la lime la matière qui excede le plan parallèle
à la face de la lettre ; & la fécondé, en ufant de
la lime & de l’équerre.
Cela fait,on pratique les entailles 4 , b» c , qu’on
voit fig. i z& 13. Les deux entailles a , b , placées
l’une en deffus , & l’autre en-deffous, fig. 13. à la
même I hauteur , fervent à attacher la matrice au
moule : l’autre entaille c reçoit l’extrémité de l’arc
ou archet qui appuie la njatrice contre le qioule ,
ainfi que nous l’allons expliquer.
Le moule eft raffemblage d’un grand nombre de
parties , dont on peut çopfidérer la fomme comme
divifée en deux.
Toutes les pièces de chacune de ces deux moitiés
de moule, font affujetties les unes aux autres par des
vis & par des écrous, & font toutes de fer bien dreffé
& bien poli, à l’exception des deux 'extérieures qui
font de bois, & qu’on appelle par çette raifon le bqis
du moule. .Ce revêtement garantit les mains de l’ouvrier
de la chaleur que le métal fondu qu’on jette
continuellement çfens le moule, ne manque pas de
lui communiquer.
Les deux premières parties qu’on peut coqficlérer
dans le moule, font celles qu’on voit Planche I I . de
la Fonderie en caraltérés , fig. z ç & z i , Lyfig. zo re-
préfente la platine vue en-dedans, & garnie de tou-t
tes fes pièces : la fig. z i la même platine, ou fa fem-
blable, mais vue du côté oppofé ; c ’eft. fur les platines
que l’on affujettit toutes les autres pièces ; elles
leur fervent, pour ainfi dire, de point d’appui, comme
on va voir. La première pièce qu’on ajufte fur la
platine eft la piece B , fig. /. 2 .3 ./y. 20. on l’appelle
longue piece : elle & fa femblable font en effet les plus
longues du moule (On obferver a que (es mêmes pièces
dans les differentes figures font marquées des mêmes let-
tres\ Çette longue piece qui a dix lignes de large ,
& qui eft épaifle à diferétion, eft fourchue par l’une
de ces extrémités X , fig. 17 & z o , & reçoit par ce
moyen la tête de la potence de l’autre moitié, à laquelle
elle fert de cpuliffie : il ne faut pas oublier que
les deux moitiés du moule font prefque entièrement
femblables, & que toutes les pieçes dont nom avons
déjà parlé, & dont nous allons faire mention dans
la fuite, font doubles ; .chaque moitié du moule a la
fienne,.
La longue piece eft fixée fur la platine par une
vis à tête ronde b ,fig. 18. qui après avoir paffé par
le txoyib_9 fig. z i. va s’enviffer dans le trou taraudé
fait à la longue piece à la hauteur de la fourchette
X . Ce trou taraudé ne traverfe pas entièrement l ’e-
paiffeur de la longue piece, qui a à fon extrémité
oppofée un trou quarré d ,fig. 17 & 18, qui reçoit le
tenon quarré de la potence., g & 10.
Avant que de placer la potence D , on applique
un des blancs Ç , qu’on voit fig. 14 & ifi , affem-
blés avec la potence. Ces blancs ont la même largeur
que les longues pièces. Leur longueur eft un
peu moindre que la moitié de celle de la longue