Mais comme leur fondement n’eft pas plus sûr que
les fondemens des autres fyftèmes de nomenclature,
ils ne fe foatiennent pas mieux , & ils ne font pas
moins éloignés les uns que les autres du fyftème de
la nature. Voyt{ MÉTHPDE.
En effet, comment peut-on efpércr de.foûmettre
la nature à des-lois arbitraires ? fomines-nous capables
de diftinguer dans un individu qu’elle nous pré-
fente , les parties principales & les parties acçefloi-
res ? Nous voyons des efpeces de plantes, c’eft-à-dire
des individus qui font parfaitement reffemblans; nous
les reconnoiflons avec certitude , parce que nous
comparons les individus tout entiers : mais dès qu’on
fait des conventions pour diftinguer les efpeces les
unes des autres, pour établir des genres & des claf-
fes , on tombe néceffairement dans l’erreur , parce
qu’on perd de vue les individus réels pour fuivre un
objet chimérique que l’on s’eft formé. De-là viennent
l’incertitude des nomenclateurs fur le nombre des efpeces
, des genres & des claffes, & la multiplicité
des noms pour les plantes ; par conféquent toutes les
tentatives que l’on a faites pour réduire la nomenclature
des plantes en corps de fcience , ont rendu
la connoiffance des plantes plus difficile & plus fautive
qu’elle ne le feroit , fi on ne fe fervoit que de
fes yeux pour les reconnoître, ou fi on n’employoit
qu’un art de mémoire fans aucun appareil fcientifi-
que. Ces fyftèmes n’ont fervi à l ’avancement de la
Botanique, que par les defcriptions exa&es de plusieurs
parties des plantes, & par les obfervations que
l’on a faites fur ces mêmes parties , pour établir des
carafteres méthodiques.
Voilà donc à quoi ont fervi toutes les méthodes
ue l’on a imaginées jufqu’ici dans la nomenclature
es plantes. Voyons à préfent ce que l’on pourrroit
attendre de ces mêmes méthodes, en fuppofant qu’elles
fuffent portées au point de perfection, tant defiré
par les nomenclateurs. Quiconque feroit bien inftruit
cle ce prétendu fyftème de la nature, auroit à la vérité
un moyen infaillible de reconnoître toutes les
efpeces de plantes, & de les diftinguer les unes des
autres : mais l’application de ce fyftème paroîtroit im-
menfe dans le détail ; & ce feroit vraiment un chef-
d’oeuvre de combinaifons & de mémoires, dont peu
de perfonnes feroient capables, que de pouvoir rapporter
fans équivoque vingt mille noms à vingt mille
plantes que l’on ne connoîtroit prefque pas. D ’ailleurs
un pareil fyftème de nomenclature , une auffi
grande connoiffance de noms & de phrafes, ne pourrait
en aucune façon nous inftruire de la culture &
des. propriétés des plantes; puifque ces deux parties
de la Botanique demandent chacune des obfervations
toutes différentes de celles que fuppofe la nomenclature.
Un méthodifte obferve fcrupuleufemenr la po-
fition ,1e nombre, & la forme de certaines parties de
chaque plante : maisil n’en peut tirer aucune confé-
quence pour la culture ; parce que, fuivant fon fyftème
, le nombre, la pofition, & la forme de ces parties
, doivent être les mêmes en quelque climat que
fe trouve la plante , & de quelque façon qu’elle foit
cultivée. Ces mêmes obfervations ne peuvent donner
aucune lumière pour les propriétés des plantes.
La preuve en eft connue. Nous favons parfaitement
que toutes les plantes que l’on rapporte au même
genre, n’ont pas les mêmes propriétés : ce fait a été
conftaté dans tous les fyftèmes de npmenclature qui
ont été faits jufqu’à préfent ; & malheureufement on
peut dire d’avance qu’il fera confirmé par tous ceux
que l’on pourra faire dans la fuite. Cependant les
méthodiftes les plus zélés pour la découverte du
prétendu fyftème de la nature , ont annoncé qu’on
pourrait parvenir à indiquer les propriétés des plantes
par les vrais caraôeres génériques. Ils prétendent
même qu’on a déjà établi plufieurs de ces vrais cara&
eres qu’ils appellent naturels , & qui fe font foft-
tenusdans la plupart des méthodes. Si cela eft , ce
ne peut être que l’effet d’un heureux hafard : car les
méthodiftes ne peuvent changer les propriétés des
plantes , comme l’ordre de leur nomenclature.
Il feroit bien à fouhaiter qu’il fût poffible d’établir
un pareil fyftème. Cette découverte feroit plus profitable
au genre humain, que celle du fyftème du monde
: cependant elle ne nous difpenferoit pas de faire
des expériences pour découvrir de nouvelles propriétés
dans les plantes, il y auroit beaucoup de genres
qui ne comprendraient que des efpeces dont on
ne connoîtroit pas les propriétés. Quoiqu’ on pût tirer
quelque indication de la propriété générale attribuée
à la claffe, il faudrait encore acquérir de nouvelles
lumières pour affigner le degré d’efficacité des
plantes d’un de fes genres : d’ailleurs toutes les efpeces
d’un même genre feroient-elles également avives,
demanderoient-elles la même préparation, &c.
Je n’infifterai pas davantage fur une fuppofition chimérique
; il nie fuffira de faire obferver, qu’autantla
nature eft indépendante de nos conventions, autant
les propriétés des plantes font indépendantes de leur
nomenclature. Peut-être que lés defcriptions com-
plettesdes plantes pourraient donner quelques indices
de leurs propriétés : mais que peut-on attendre
d’une defeription imparfaite de quelques parties ? On
conçoit que la defeription exafte d’un animal, tant à
l’extérieur qu’à l’intérieur, peut donner quelque idée
de fes qualités. Mais fi l’on n’obfervoit que les parties
de la génération, comme on prétend le faire dans
les plantes, que pourrait-on conclure de cet animal ?
à peine pourroit-on favoir s’il eft plus ou moins fécond
qu’un autre. S’il eft vrai que certaines plantes,
dontles parties delà fleur & du fruit font femblables
à quelques égards, ayentles mêmes propriétés, c ’eft
un fait de hafard qui n’eft point confiant dans les autres
plantes. Ges combinaifons fortuites peuvent
arriver dans tous les fyftèmes des nomenclateurs :
mais je penfe qu’il n’eft pas plus poffible de trouver
leur prétendu fyftème naturel, que de juger de la
qualité des fruits fans les avoir goûtés.
Non-feulement la nomenclature des plantes ne peut
contribuer en rien à la connoiffance de leur culture,
ni de leurs propriétés, mais elle y eft très-préjudiciable
en ce qu’elle retarde l’avancement de ces deux
parties de la Botanique. La plûpart de ceux qui fe font
occupés de cette fcience depuis le renouvellement
des Lettres, fe font appliqués par préférence à la nomenclature.
Que de méthodes fe lontdé:ruitesen fe
fuccédant les unes aux autres î que de vains efforts
pour parvenir à un but imaginaire ! Mais toutes ces
tentatives ont marqué beaucoup de foin, de fineffe,
&: de fagacité dans le plus grand nombre des méthodiftes.
Ils auraient pû s’épargner bien des fatigues ,
ou en faire un meilleur emploi, en s’appliquant à la
culture ou aux propriétés des plantes. Une feule méthode
fuffifoit pour la nomenclature ; il ne s’agit que
de fe faire une forte de mémoire artificielle pour retenir
l ’idée & le nom de chaque plante, parce que leur
nombre eft trop grand pour fe paffer de ce fecours :
pour Cela toute méthode eft bonne. A préfent qu’il y
en a plufieurs , & que les noms de3 plantes fe font
multipliés avec les méthodes , il feroit à fouhaiter
qu’on pût effacer à jamais le fouvenir de tous ces
noms fuperflus, qui font la nomenclature des plantes
une fcience vaine & préjudiciable aux avantages
réels que nous pouvons efpérer de la Botanique par la
culture & par les propriétés des plantes.
Au lieu de nous occuper d’une fuite de noms vains
& furabondans, appliquons-nous à multiplier un bien
réel & néceffaire ; tâchons de l’accroître au point
d’en tirer affez de fuperflu pour en faire un objet de
commerce. Tel eft le but que nouspréfonte la Botanique
dans la fécondé partie ? qui eft la culture des
plantes. Il ne dépend pas toûj'ours de nous de découvrir
leurs propriétés ; nous ne pouvons jamais les mo.-
difier à notre gré: maisil eft ennotre.pouvoir de multiplier
le nombre des plantes utiles, & par conféquent
d’accroître la fource de nos biens , & de la rendre
intariffable par nos foins. Les anciens nous en ont
donné l’exemple : au lieu de paffer tout leur tems &
d’employer tous leurs foins à des recherches vaines
fur les caraéteres diftinftifs du froment, du feigle ,
de l’orge, du riz, de l’avoine, du millet, du panic,
du chiendent, &c des nombreuses fuites d’efpeces que
l’on prétend rapporter à chacun de ces genres , ils
fe font uniquement appliqués à cultiver celles de
toutes ces plantes dont ils connoiffoient l’utilité. Ils
font parvenus, à force de travail & de confiance, à
les rendre affez abondantes pour fournir aux befoins
des hommes & des animaux domeftiques.. C ’eft en
perfectionnant l’art de la culture des plantes, qu’ils
ont trouvé le moyen de les diftribuer fur la Surface
de la terre dans Tordre le plus convenable à leur
multiplication & à leur accroiffement. On a femé les
terres qui pouvoient produire d’abondantes moif-
fons ; on a planté des vignobles dans les lieux propres
à la maturité du raifin ; on a fait des pâturages ;
on a élevé des forêts, &c. enfin on a lu aider la nature
, en raffemblant les plantes utiles dans les lieux
les plus convenables, S>c en écartant de ces mêmes
lieux, autant qu’il étoit poffible, toutes les plantes
inutiles. Voilà Tordre le plus néceffaire, êc l’arrangement
le plus fage que Ion puiffe mettre dans la di-
vifion des plantes: auffi ç’a été le premier que les
hommes ayent fénti & recherché pour leur propre
utilité. Voye{ Agriculture.
La connoiffance de la nature du terrein & de la
température du climat, eft le premier principe de l’Agriculture.
C ’eft de l’intelligence de ce principe, &
du détail de fes conféquences, que dépend le fuccès
de toutes les pratiques qui font en ufage pour la culture
des plantes. Cependant on n’eft guidé que par •
des expériences groffieres, pour reconnoître les dif-
férens terreins. Les gens de la campagne ont fur ce
fujet une forte de tradition, qu’ils ont reçue de leurs
peres , & qu’ils tranfmettent à leurs enfans. Ils fup-
pofent chacun dans leur canton, fans aucune connoiffance
de caufe, du moins fans aucune çonnoif-
fance précife , que tel ou tel terrein convient ou ne
convient pas à telle ou telle plante. Ces préjugés bien
ou mal fondés, paffent fans aucun examen ; on ne
penfe feulement pas à les vérifier : l’objet eft cependant
affez important pour occuper les meilleurs phy-
ficiens. N’aurons-nous jamais des fyftèmes raifon-
nés, des diitributions méthodiques des terreins, des
climats, relativement à leurs productions; je veux
dire, de ces fyftèmes fondés fur l’expérience ?
La convenance du climat eft moins équivoque que
celle du terrein, parce qu’on la détermine ailément
p ar la maturité des fruits, ou par les effets de la gelée :
mais on n’a pas affez obferve combien cette convenance
de température a de fréquentes viciffitudes
dans un même lieu. Les deux principales caufes de
ces changemens font les coupes de forêts, ou feulement
des arbres épars, ce qui diminue la quantité des
brouillards; & l’élévation des vallons, ou feulement
des bords des rivières & des ruiffeaux, ce qui deffe-
che le terrein & rend les inondations moins fréquentes.
On conçoit aifément quels changemens ces deux
caufes peuvent occafionner dans la température du
climat par rapport aux plantes. Il feroit trop long de
fuivre ce fujet dans les détails. Je me contenterai de
faire obferver que Ton ne doit pas renoncer à cultiver
telle plante dans tel lieu, parce qu’elle n’y a pas
réuffi pendant quelque tems. On ne doit pas craindre
de multiplier les expériences en Agriculture; le moindre
fuccès dédommage abondamment de toutes les
tentatives inutiles.
On peut diftinguer deux principaux objets dans la
culture des plantes. Le premier eft de les multiplier,
& de leur faire prendre le, plus d’accroiffement qu’il
eft poffible. Le fécond eft de perfectionner leur nature
, & de changer leur qualité.
Le premier a du être apperçû dès qu’il y a eu des
hommes qui ont vécu en nombr.eufe fociété. Les ef-
fais que Ton aura faits dans ces premiers temsvétoient
fans doute fort greffiers : mais ils étoient fi néceffai-
res, qu’on a lieu d’être furpris qu’ils n’ayent pas été
fuivis jufqu’à préfent de plus de progrès. Nous ne favons
pas combien de moyens différens ont été employés
pour labourer la terre depuis que les hommes
exiftent : mais nous ne pouvons pas douter que ceux
que nous employons ne puiffent encore devenir meilleurs
, & même qu’il n’y en ait d’autres à trouver qui
vaudraient bien mieux. Cependant la charrue eft
toûjours la même depuis plufieurs fiecles, tandis, que
les modes de nos ameublemens & de nos équipar
ges changent en peu d’années, & que nous fommes
parvenus à cet égard à un point de commodité qui
ne nous laiffe prefque rien à defirer. Que l’on compare
une charrue à une chaife de pofte, on verra
que l’Une eft une machine groffiere abandonnée à
des mains qui le font encore plus ; l’autre au contraire
eft un chef-d’oeuvre auquel tous les Arts ont concouru.
Notre charrue n’eft pas meilleure que celle des
Grecs & des Romains : mais il a fallu bien plus d’iiir
duftrie & d’invention pour faire nos chaifes de pofte,
qu’il n’y en a jamais eu dans les chars de triomphe
d’Alexandre & d’Augufte. L’art de la culture des terres
a été négligé, parce qu’il n’a été exercé que par
les gens de la campagne ; les objets du luxe ont prévalu
même en Agriculture ; nous fommes parvenus
à faire des boulingrins auffi beaux que des tapis, &
à élever des paliffades de décoration. Enfin nous con-
noiffons l’architeClure des jardins, tandis que la mé-
chanique du laboureur n’a prefque fait aucuns progrès.
Cependant les moyens de multiplier les plantes
& de les faire croître, femblent être à la portée de
tous les hommes ; & je ne doute pas qu’on ne pût
arriver en peu de tems à un haut degré de perfection
, fi ceux qui font capables d’inftruire les autres,
daignoient s’en occuper plus qu’ils ne le font.
Il paraît qu’il eft plus difficile de produire des çhan-
gemens dans la nature des plantes, & de leur donner
de meilleurs qualités qu’elles n’en ont naturellement.
On y eft pourtant parvenu par le moyen de la
greffe & de la taille des arbres. Cet art eft connu depuis
long-tems ; & il a , pour ainfidire, fur vécu à la
plûpart de fes effets. Nous favons des anciens qu’ils
avoient le fecret de tirer des femences du pommier
& du poirier fauvages des fruits délicieux. Ces fruits
ne font pas venus jufqu’à nous : mais nous avons fit
faire des pommes &c des poires que nous ne changerions
pas pour celles des Romains ; parce que nous
avons femé, greffé, Sc taillé les arbres auffi bien
qu’eux. Cet art précieux eft inépuifable dans fes
productions. Combien ne nous refte-t-il pas d’expériences
à faire, dont il peut réfulter de nouveaux
fruits qui feroient peut-être encore meilleurs que
ceux que nous avons déjà trouvés? Ce que nous avons
fait pour les arbres & les arbriffeaux ne peut-il pas
auffi fe faire pour les autres plantes, fur-tout depuis
que nous croyons favoir comment s’opère leur génération,
en mbftituant aux pouffieres fécondantes
d’une plante, des pouffieres d’une autre efpece ? n’y
auroit-il pas lieu d’efpérer qu’elles produiraient dans
le piftil de nouveaux germes, dont nous pourrions
tirer des fortes de mulets, comme nous en avons
dans les animaux ; & que ces mulets de plantes auraient
de nouvelles propriétés, dont nous pourrions