du corps, Il faut favoir outre cela que tout ce que
nous concevons clairement & diftinôement eft vrai
de la même maniéré que nous le concevons ; c’eft
ce qu’il a été obligé de remettre à la quatrième méditation.
Il faut de plus avoir une conception dif-
tinfte de la nature corporelle ; c’eft ce qui fe trouve
en partie dans la fécondé, & en partie dans la cinquième
& Jixieme méditations. L’on doit conclure de
tout cela, que les chofes que l’on conçoit clairement
& diftinélement comme des fubftances diverfes, telles
que font l’efprit & le corps , font des fubftances
réellement diftin&es les unes des autres. C ’eft ce qu’il
conclut dans la jixieme méditation. Revenons à l’ordre
des méditations & de ce qu’elles contiennent.
Dans la troifieme, il développe affez au long le
principal argument par lequel il prouve l’exiftence
de Dieu. Mais n’ayant pas jugé à propos d’y employer
aucune comparaison tirée des chofes corporelles
, afin d’éloigner autant qu’il pourroit l’efprit
du lefteur de l’iiiage & du commerce des fens , il
n’avoit pû éviter certaines obfcurités, auxquelles il
avoit déjà remédié dans fes réponfes aux premières
objeâions qu’on lui avoit faites dans les Pays-Bas ,
& qu’il avoit envoyées au P. Merfenne pour être
imprimées à Paris avec fon traité.
Dans la quatrième, il prouve que toutes les chofes
que nous concevons tort clairement & fort dif-
tin&ement font toutes vraies. Il y explique aufli en
quoi confifte la nature de l’erreur ou de la fauffeté.
Par-là il n’entend point le péché ou l’erreur qui fe
commet dans la pourfuite du bien & du mal, mais
feulement l’erreur qui fe trouve dans le jugement &
le difeernement du vrai & du faux.
Dans la cinquième, il explique la nature corporelle
en général. Il y démontre encore l’exiftence
de Dieu par une-nouvelle raifon. Il y fait voir comment
il eft vrai que la certitude même des démonf-
trations géométriques dépend de la connoiftance de
Dieu.
Dans la fixieme, il diftingue l’a&ion de l’entendement
d’avec celle de l’imagination , & donne les
marques de cette diftin&ion. Il y prouve que l’ame
de l’homme eft réellement diftinfte du corps. Il y
expofe toutes les erreurs qui viennent des fens, avec
les moyens de les éviter. Enfin il y apporte toutes
les railons defquelles on peut conclure l’exiftence
des chofes matérielles. Ce n’eft pas qu’il les jugeât
fort utiles pour prouver qu’i/ y a un monde, que les
hommes ont des corps, & autres chofes femblables qui
n’ont jamais été mifes en doute par aucun homme de
bon fens ; mais parce qu’en les confidérant de près,
on vient à connoître qu’elles ne font pas fi évidentes
que celles qui nous conduifent à la connoiftance de
Dieu & de notre ame.
Voilà l’abregé des méditations de Defcartes, qui
font de tous fes ouvrages celui qu’il a toujours le
plus eftimé. Tantôt il remercioit Dieu de ion travail
, croyant avoir trouvé comment on peut démontrer
les vérités métaphyfiques : tantôt il fe laif-
foit aller au plaifir de faire connoître aux autres
l ’opinion avantageufe qu’il en avoit conçûe. « Affû-
» rez-vous , écrivoit-il au P. Merfenne , qu’il,n’y a
» rien dans ma métaphyfique que je ne croie éjftfe ,
» ou très-connu par La lumière naturelle, ou démontré
» évidemment, & que je me fais fort de le faire en-
» tendre à ceux qui voudront & pourront y médi-
» ter, &c. » En effet, on peut dire que ce livre renferme
tout le fonds de fa doôrine, & que c’eft une
pratique très-exaôe de fa méthode. Il avoit coutume
de le vanter à fes amis intimes , comme contenant
des vérités importantes, qui n’avoient jamais été bien
examinées avant lui, & qui ne donnoient point l’ouverture
à la vraie Philofophie, dont le point principal
confifte à nous convaincre de la différence qui fe
trouve entre l’efprit & le corps. C ’eft ce qu’il a prétendu
faire dans ces méditations par une analyfe ,
qui ne nous apprend pas feulement cette différence
mais qui nous découvre en même tems le chemin
qu’il a fuivi pour la découvrir. Voye^ Analyse.
Defcartes , dans fon traité de la lumière , tranf-
porte fon lefteur au-delà du monde dans les efpaces
imaginaires ; & là il fuppofe que pour donner aux
philofophes l’intelligence de la ftru&ure du monde,
Dieu veut bien leur accorder le fpe&acle d’une création.
Il fabrique pour cela une multitude de parcelles
de matières egalement dures,»cubiques, ou triangulaires
, ou Amplement irrégulières & raboteufes, ou
même de toutes figures, mais étroitement appliquées
l’une contre l’autre, face contre face, & fi bien en-
taffées, qu’il ne s’y trouve pas le moindre interftice.
Il foûtient même que Dieu qui les a créées dans les
efpaces imaginaires, ne peut pas après cela laiffer
fubfifter entr’elles le moindre petit efpace vuide de
corps ; & que l’entreprife de ménager ce vuide, paffe
le pouvoir du Tout-puiffant.
Enfuite Dieu met toutes ces parcelles en mouvement
: il les fait tourner la plupart autour de leur
propre centre ; & de plus , il les pouffe en ligne di-
re£te.
Dieu leur commande de refter chacune dans leur
état de figure, maffe, vîteffe, ou repos , jufqu’à ce
qu’elles foient obligées de changer par la réfiftance ,
ou par la fraûure.
II leur commande de partager leurs mouvemens
avec celles qu’elles rencontreront, & de recevoir
du mouvement des autres. Defcartes détaille les
réglés de ces mouvemens & de ces communications
le mieux qu’il lui eft poflible.
Dieu commande enfin à toutes les parcelles mues
d’un mouvement de progreffion , de continuer tant
qu’elles pourront à fe mouvoir en ligne droite.
Cela fuppofé, D ieu , félon Defcartes , conferve
ce qu’il a fa it , mais il ne fait plus rien. Ce chaos
forti de fes mains, va s’arranger par un effet du mouvement
, & devenir un monde femblable au nôtre ;
un monde dans lequel, quoique Dieu n'y mette aucun
ordre ni proportion, on pourra voir toutes les chofes ,
tant générales que particulières , qui paroiffent dans le
vrai monde. Ce font les propres paroles de l’auteur ,
& l’on ne faûroit trop y faire attention.
De ces parcelles primordiales inégalement mûes
qui font la matière commune de tout, & qui ont
une parfaite indifférence à devenir une chofe ou
une autre , Defcartes voit d’abord fortir trois élé-
mens ; & de ces trois élémens, toutes les maffes qui
fubfiftent dans le monde. D ’abord les carnes , angles
, & extrémités des parcelles, font inégalement
rompues par le frotement. Les plus fines pièces font
la matière fubtile, qu’il nomme le premier élément :
les corps ufés & arrondis par le frotement, font le
fécond élément ou la lumière : les pièces rompues les
plus groflieres, les éclats les plus maflifs, & qui conservent
le plus d’angles,Tant le troifieme élément, ou
la matière terreftre & planétaire.
Tous les élémens mus & fe faifant obftacle les
uns aux autres , fe contraignent réciproquement à
avancer, non en ligne droite , mais en ligne circulaire
, & à marcher par tourbillons, les uns autour
d’un centre commun, les autres autour d’«p*autre '
de forte cependant que conférvant toûjourslcur tendance
à s’en aller en ligne droite, ils font effort à
chaque inftant pour s’éloigner du centre ; ce qu’il
appelle force centrifuge.
Tous ces élémens tâchant de s’éloigner du centre,
les plus maflifs d’entre eux font ceux qui s’en
éloigneront le plus : ainfi l’élément globuleux fera
plus éloigné du centre que la matière fubtile ; &
comme tout doit être plein, çette matière fubtile fe
Jaugera eu partie dans lés mterftices des globules de
la lumière, & en partie vers le centre du tourbillon.
Cette partie de la matière fubtile, c’eft-à-dire de la
plus fine pouffiere qui s’eft rangée au centre, eft ce
que Defcartes appelle unfoleil. Il y a de pareils amas
de menue pouffiere dans d’autres tourbillons, comme
dans celui-ci ; & ces amas de poufliere fôht autant
d’autres foleils que nous nommons étoiles, & qui brillent
peu à notre égard, vu l ’éloignement.'
L’élément globuleux étant compofé de globules
inégaux, les plus forts s’écartent le plus vers les extrémités
du tourbillon ; les plus foibles fe tiennent
plus près du foleil. L’aéfion de la fine poufliere qui
compofe le foleil y Communique fon agitation aux
globules voifins, Sc c’eft en quoi confifte la lumière.
Cette agitation communiquée à la matière globuleu-
fe , accéléré le mouvement de celle-ci; mais cette
accélération diminue en raifon de Féloîgnèment, &
finit à une certaine diftance»
On peut donc divifer la lumière depuis le foleil
jufqu’à cette diftance, en différentes couches dont la
vîteffe eft inégale, & va diminuant de couche eh couche.
Après quoi la matière globuleufe qui remplit le
refte immenîe du tourbillon folaire, ne reçoit plus
d’accélération du foleil ; & comme ce grand refte de
matière globuleufe eft compofé des globules lès plus
gros & les plus forts, l’aftivité y va toujours en augmentant
depuis le terme oit l’accélération caufée par
le foleil, expire, jufqu’à la rencontre des tourbillons
voifins. Si donc il tombe quelques corps maflifs dans
l’élément globuleux, depuis le foleil jufqu’au terme
oit finit l’adion de cet aftre , ces corps feront mûs
plus vîte auprès du foleil, & moins vîte à mefure
qu’ils s’en éloigneront : mais fi quelques'corps maflifs
font amenés dans le refte de la matière globuleufe,
entre le terme de l’a&ion folaire & la rencontre des'
tourbillons voifins, ils iront avec une accélération
toûjours nouvelle, jufqu’à s’enfoncer dans ces tourbillons
voifins ; & d’autres qui s’échapperoient des
tourbillons voifins, & entreroient dans l’élément
lobuleux du nôtre, y pourroient defeendre ou tom-
er, & s’avancer vers le foleil.
Or il y a de petits tourbillons de matière qui peuvent
rouler dans les grands tourbillons ; & ces petits
tourbillons peuvent non-feulement être compofés
d’une matière globuleufe & d’une poufliere fine, qui
rangée au centre, en faffe de petits foleils, mais ils
peuvent encore contenir ou rencontrer bien des parcelles
de cette greffe poufliere, de ces grands éclats
d’angles brifés que nous avons nommés le troifieme
élément. Ces petits tourbillons ne manqueront pas
d’écarter vers leurs bords toute la greffe poufliere ;
c ’eft-à-dire, fi vous l’aimez m ieux, que les grands
éclats formant des pelotons épais & de gros corps,
gagneront toûjours les bords du petit tourbillon par
Ta fupériorité de leur force centrifuge : Defcartes les
arrête-Ià, & la chofe eft fort commode. Au lieu de les
laiffer courir plus loin par la force centrifuge, ou d’être
emportés par l’impulfion de la matière du grand
tourbillon, ils obfcurciffent le foleil du petit, & ils
encroûtent peu-à-peu le petit tourbillon ; & de ces
croûtes épaiffes fur tout le dehors, il fe forme un
corps opaque, une planete, une terre habitable. Comme
les amas de la fine poufliere font autant de foleils,
les amas de la greffe poufliere font autant de planètes
& de cometes. Ces planètes amenées dans la première
moitié de la matière globuleufe, roulent d’une vîteffe
qui va toûjours en diminuant depuis la première
qu’on nomme Mercure, jufqu’à la derniere qu’on nomme
Saturne. Les corps opaques qui font jettés dans la
fécondé moitié , s’en vont jufque dans les tourbillons
voifins ; & d’autres paffent des tourbillons voifins
, puis defeendent dans le nôtre vers le foleil. La
meme poufliere mafliye qui nous a fourni une terre,
Tome I f * 9
des planètes & dès comètes, s’arrange, en vertu du
mouvement, en d’aütres formes , & nous donne
l’eau » ï’athiofphere, l’air, les métaux, les pierres ,
les animaux & les plantes ; en un mot toutes les chofes,
tant générales que particulières, qui nous voyoni
dans notre monde, orgartifées & autres.
Il y a encore bien d’autres parties à détailler dans
l’édifice de Defcartes : mais, ce que nous avons déjà
vû eft regardé de tout le monde comme un affortiment
de pièces qui s’éei-oülent; & fans en voir davantage ,
il nV a perfonne qui ne puiffe fentir qu’un tel fyftèmé
n’eft nullement recevable.
1 °‘. 15 d’abord fort fihguïier d'entendre dire que
Dieu ne peut pas créer & rapprocher quelques corps
anguleux , fans avoir de quoi remplir exactement les
interftices des angles. De quel droit ofe-t-on refferrer
ainfi là fouveraine puiffancé ?
z°. Mars je veùxque Defcartes fâche précifément
pourquoi Dieu doit avoir tant d’horreur du vuide :
je veux qu’il puiffe très-bien accorder la liberté des
mouvemens avec! le plein parfait ; qu’il' preuve même
la nécèflité a&uelle du plein : à la bonne heure.
L’endroit où je l’arrête, eft cette préténtion que le
vuide foit impoflïble ; il ne l’eft pas même dans fa fup-
ppfition ; car pour remplir tôusles interftices, il faut
avoir des pouflieres de toute faille , qui viennent
au befoin fe gliffer’à-propos dans leS intervalles
entre-ouverts. Ces pouflieres ne fe forment qu’à la
longue. Les globules ne s’arrondiffent pas en un inftant.
Les coins les plus gros fe rompent d’abord,
puis les plus petits ; & à force de frotemens nous
pourrons recueillir de nos pièces pulvérifées dequoi
remplir tout ce qu’il nous piairà : mais cètte pulvé-
rifation eft fucceflive. Ainfi au premier moment que
Dieu mettra les par celles de la matière primordiale
en mouvement, la pouffiere n’eft pas encore formée.’
Dieu fouleve les angles, ils vont commencer à fe
brifer ; mais avant que la chofe foit faite, voilà entre
cés angles des vuides fans fin, & nulle matière pour
lés remplir.
30. Selon Defcartes, la lumière eft une maffe de
petits globes qui fe touchent immédiatement, enforte
qu’une file de ces globes ne fauroit être pouffée par
un bout, que l’impulfion ne fe faflè fentir en même
tems à l’autre bout, comme il arrive dans un bâton
ou dans une file de boulets de canon qui fe touchent.
M. Roemer & M. Picard ont obfervé que quand la
terre étoit entre le foleil & jupiter, les ecliples de fes
fatellites arrivoient alors plûtôt qu’il n’eft marqué
dans les tables ; mais que quand la terré s’en alloic
du cote oppofe, & que le foleil étoit entre jupiter &
la terre, alors les éclipfes des fatellites arrivoient plu*
fieurs minutes plus tard, parce que la lumière avoit
tout le grand orbe annuel de la terre à traverfer de
plus dans cette derniere fituation (que dans la précédente
: d’oii ils font parvenus à pouvoir affûrer que
la lumière du foleil mettoit fept à huit minutes à franchir
les 33 millions de lieues qu’il y a du foleil à la
terre. Quoi qu’il en foit au refte fur la durée précife
de ce trajet de la lumière, il eft certain qüe la communication
ne s’en fait pas en un inftant ; mais que
le mouvement ou la preffion de la lumière parvient
plus* vîte fur les corps plus voifins, & plus tard fur
les corps les plus éloignes : au lieu qu’une file de douze
globes & une file de cent globes, s’ils fe touchent,
communiquent leur mouvement aufli vîte l’une que
l’autre. La lumière de Defcartes n’eft donc pas la
lumière du monde. Foye[ Aberration.
En voilà affez, ce me femble, pour faire fentir
les inconvéniens de cerfyftème. On peut, avec M.
de Fontenelle, féliciter le fiecle qui, en nous donnant
Defcartes, a mis en honneur un nouvel art de
raifonner, & communiqué aux autres fciences l’exactitude
de la Géométrie, Mais on doit, félon fa judi-
Y Y y y i j ' '