la reçurent tes uns des autres par une efpece de fub*
ftitution. On prend fur-tout ce mot pour la doctrine
myjliqut, & pour la philofophie occulte des juifs , en
un mot pour leurs opinions myftérieufes fur la Mé-
taphyfique , fur la Phyfique & fur la Pneumatique.
Parmi les auteurs chrétiens qui ont fait leurs efforts
pour relever la Cabale, & pour la mettre au niveau
des autres fciences, on doit diftinguer le fameux
Jean Pic de la Mirandole > qui à l’âge de vingt-
quatre ans foûtint à Rome un monftrueux affembla-
ge de toute forte de propofitions tirées de plulieurs
livres cabaliftiques qu’il avoir achetés à grands frais.
Son zele pour l’Eglife Romaine fut ce qui l ’attacha
à la Cabale. Séduit par les éloges qu’on donnoità la
tradition orale des Juifs, qn’on égaloit prefque à l’E-
criture-fainte, il alla jufqu’à fe perfuader que les livres
cabaliftiques qu’on lui avoit vendus comme authentiques,
étoient une production d’Efdras,& qu’ils
contenoient la doctrine de l’ancienne églife judaïque.
Il crut y découvrir le myftere de la Trinité, l’Incarnation
, la Rédemption du genre humain, la paffion,
la mort & la réfurreûion de J. C. le purgatoire , le
baptême, la fuppreflion de l’ancienne lo i, enfin tous
les dogmesenfeignés & crûs dans l’Eglife catholique.
Ses efforts n’etirent pas un bon fuccès. Ses thèfes furent
fupprimées, &c treize de fes propofitions furent
déclarées hérétiques. On peut lire dans Wolf le catalogue
des auteurs qui ont écrit fur la Cabale.
Origine dé la Cabale. Les commencemens de la Car
laie font û obfcurs , fon origine eft couverte de fi
épais nuages, qu’il paraît prefque impoflible d’en fixer
l’époque : cette obfurité d’origine eft commune
à toutes les opinions qui s’infinuent peu-à-peu dans
les efprits,, qui croiftent dans l’ombre & dans le fi-
lence, & qui parviennent infenfiblement à former
un corps de fyftème.
Il ferait affez inutile de rapporter ici les rêveries
des Juifs fur l’origine de,1a philofophie cabalïjiique , on
peut cpnfulter l’article Philosophie judaïque ,
& nous aurons occafion d’en dire quelque chofe dans
le cours même de celui-ci : nous nous contenterons
de dire ici qu’il y' a des Juifs qui ont prétendu que
l ’ange Raziel., précepteur d’Adam , lui avoit donné
lin livre contenant la fciénceJcélefte ou l’a Cabale, &
qu’après le lui avoir arraché au'fortir du jardin d’E-
den, il le lui avoit rçndu , fe laiffant fléchir par fes
humbles fupplications. D ’autres difent qu’Adam ne
reçut ce livre qu’après fon péché, ayant demandé à
Dieu qu’il lui accordât quelque petite confolation
dans lé malheureux état où il fe voyoit réduit. Ils
racontent que trois jours après qu’il eut ainfi prié
D ieu ,l’ange Raziel lui apporta un livre qui lui communiqua
là COnnoiffance de tous les feerétsde la nature
, la puiflance de parler avec le folëit & avec la
lune , de faire naître les maladiesi& de lès guérir *
de renverfer les villes , d’exciter des* fremblemens
de terre, de commander aux- anges bons & mauvais,
d’interpréter les fongés & les prodiges , & de prédire
l’avenir en tout ternS. Ils ajoûtenf que ce livre
en paffant de pere en fils, tomba entre lés mains dé
Salomôn', & qu’il donna à ce favant prince la vertu
de bâtir le temple par le moyen du ver Zamirf
fans fe fervir d’aucun infiniment de fer. Le rabbin
Ifaae Ben Abraham a fait imprimer ctlfvreau' èom-
mencement de ce fiecle, & il fut condamné au feu
par les Juifs de la même tribu que cé rabbih. -'
Les favans qui ont écrit fut la Cabalefottt fi1 partagés
fur fon origine, qu’il eft prefque impoflible de
tirer aucune lumière de leurs écrits la variété "de
leurs fentimens vieftt-dès différentes idées qu’ils fe
formoient de cette fcience ; la plupart d’entr’eux n’a-
voient point examiné la nature de la Cabale-^coniaient
nç fe feroient-ils pas trompés fur fon origine ?■
Ainû fans prétendre à la gloire de les concilier, nous
nous bornerons à dire ici Ce que nous croyons de
plus vraiffemblable.
i°. Ceux qui ont étudié l’hiftoire de la Philofophie,
& fuivi les progrès de cette fcience depuis le commencement
du monde jufqu’à la naiffance de J. C*
favent que toutes les nations, & fur-tout les peuples
de l’orient, avoient une fcience myftérieufe qu’on
cachoit avec foin à la multitude, & qu’on ne com-
muniquoit qu’à quelques privilégiés : or, comme les
Juifs ténoient un rang diftïngué parmi les nations
orientales, on fe persuadera aifément qu’ils durent
adopter de bonne heure cette méthode fecrete & cachée.
Le mot même de Cabale femble l’infinuer ; car
il fignifie une tradition orale & fecrete de certains
myfteres dont la connoiffance étoit interdite au peuple.
( Lifez Vachterus in ElucidarioCabba. Schrammins,
Diffère, de myjleriis Judoeorumphiloj'ophicis ,)Mais parmi
le grand nombre de témoignages que nous pourrions
citer en faveur de ce fentiment, nous n’en choi-
firons qu’un tiré de Jochaïdes écrivain cabaliftique*
Jdra Rabba §. tS. Cabb. denud. tom. II.
R. Schimeon exorfus dixit : qui ambulal üt circum-
foraneus , révélât fecreium ; fedfidelis fpiritu op erit ver-
bum , ambulans ut circumfoïaneus : hoc dictum quafiio-
nem meretur, quia dicitur circumforancus quare amb -
lans y vir circumforaneus dicenduserat, quid ejl ambulans
? Verumenimvero in illo , qui non ejl fedatus in fpiritu
fuo y nec verax, verbum quod audivit, hue illuc mo-
vetur y ficutfpina in aquâ, dontc illuc foras expellat ;
quamobrem ? quia fpiritus ejus non eft Jtabilis . . . nec
enim mundus in fiabilitate manet riïji per fccretum , <S*
J î circa négocia mundana opus eft fecreto , quanto ma gis
in negotiis fecretorum ftcretifjimorum & confideratione
finis dierum , qua nequidem tradita funt angelis . . . .
Cce lis non dicam ut ofcultent ; terrât non dicam ut au-
dlat y certè enim nos columnoe mundorum Jumus.
Ainfi parle Schimeon Jochaïdes ; & il regardoit le
fecret comme une chofe fi importante qu’il fit' jurer
fes difciples de le garder. Le filence étoit fifàcré chez
les Efleniens , que Jofephe ( Prooem. kijî. Juddic. )
aflùre que Dieu pùniffoit ceux qui ofoient le violer.
z°. 11 n’eft donc pas douteux que les Jùifs n’ayent
eu de bonrie heure une fcience fecrete & myftérieufe
: mais il eft impoflible de dire quelque chofe
de pofitif fôit fur la vraie maniéré* de i’enfeigner ,
foit fur la nature des dogmes qui y étoient cachés'*
foit fur les auditeurs choifis auxquels on la commu-
niquoit. Tout ce qu’on peiit aflurer , c’eft que ces
dogmes n’étoient point contraires à ceux qui font
contenus dans l’Ecriture-fairite. On peut cependant
conjeéïurer avec vraiffemblance , que cette fcience
fecrete contenoit une expofition affez étendue des
myfteres de la nouvelle; alliance , dont'les femen-
ces font répandues dans l’ancien Teftamënt. On y
expliquoit l’ëfprit dès cérémonies qui s’oMervoient
chez les Juifs , & on ÿ donnoit le fens des Prophéties'dont
là plupart avOi'ént-été prbpofées fous des
dritblèmes & dès énigmes : toutes ces chofés étoient
câëhées au peuple , parce que fon efprit groflier &
charnel ne lui faifoit envifager que les biens terref-
tres.
f * . Cette Cabale, ou bien cette tradition "orale
fe c<mfervà'purè:& conformé à la loi écrite tbu.t le
téms que les prophètes furent les dépofitâirès & les
gardiens de 4a dbftriné riïiaîS loffque l’efprit de prophétie
eut cèffé, elle fe corrompit par lés qiréftions
ôifives & par lés aftèrtions frivoles qu’on y mêla.
Toute corrompue qu’elle étoit, elle confervapourtant
l’éclat dbnt elle'âvoîf joiiî d’abord , & oh;;éüt
pour cesdogmes étrangers & frivolesqu’oh yinféra ,
le même refpeâ que pour lès véritables; Voilà'qiielle
étbit'rànciènne Cabale , qu’il faut bien diftingiïèr de
la philofophie cabalïjiique f dont nous cherchons ici
l’origine.
r o n peut d’abord établir qu’on ne doit point
chercher l’origine de la philofophie cabaliftique chez
les Juifs qui habitoient la Paleftine; car tout ce que
les anciens rapportent dès traditions qui étoient en
vogue chez ces Juifs, fe réduit à des explications de
la lo i, à des cérémonies, & à des conftitutions des
fages. La philofophie cabaliftique ne commença à paraître
dans la Paleftine que lorfque les Efleniens,
imitant les moeurs des Syriens & des Egyptiens, &
empruntant même quelques-uns de leurs dogmes &
de leurs inftituts, eurent formé une feâe de Philofophie.
On fait par les témoignages de Jofephe & de
Philon, que cette feûe gardoit un fecret religieux fur
certains myfteres & fur certains dogmes de Philofophie.
Cependant ce ne furent point les Efleniens qui
communiquèrent aux Juifs cette nouvelle Cabale ; il
eft certain qu’aucun étranger n’étoit admis à la con-
noiflance de leurs myfteres : ce fut Simeon Scheta-
chides qui apporta d’Egypte ce nouveau genre de
tradition, & qui l’introduifit dans la Judée ( Poye^
l ’HiJloire des Juifs'). Il eft certain d’ailleurs que les
Juifs, dans le féjour qu’ils firent en Egypte fous le
régné de Cambife, d’Alexandre le grand, & de Pto-
léniée Philadelphe , s’accommodèrent aux moeurs
des Grecs & des Egyptiens, & qu’ils prirent de ces
peuples l’ufage d’expliquer la loi d’une maniéré allégorique
, & d’y mêler des dogmes étrangers : on ne
peut donc pas douter que l’Egypte ne foit la patrie de
la philofophie cabaliftique , &C que les Juifs n’ayent
inféré dans cette fcience quelques dogmes tirés de la
philofophie égyptienne & orientale. On en fera pleinement
convaincu, fi l’on fe donne la peine de comparer
les dogmes philofophiques des Egyptiens avec
ceux de la Cabale. On y mêla même dans la fuite
quelques opinions des Peripatéticiens (Morus. Cabb.
denud. tom. /.) & J. Jufte Lofius (Giejfct iyo6.) a fait
une diflertation divifée en cinq chapitrés, pour montrer
la conformité des fentimens de ces derniers phi—
Ipfophes avec ceux des Cabalifles.
L’origine que nous donnons à la philofophie cabaliftique
, fera encore plus vraiffemblable pour ceux
qui feront bien au fait de la Philofophie des anciens,
& fur-tout de l’hiftoire de la Philofophie judaïque.
Divijîon de la Cabale. La Cabale fe divife en contemplative
& en pratique: la première eft la fcience
d’expliquer i’Ecriture-fainte conformément à la tradition
fecrete, & de découvrir par ce moyen des
vérités fublimes fur Dieu , fur les efprits & fur les
mondes : elle enfeigne une Métaphyfique myftique ,
& une Phyfique épurée. La fécondé enfeigne à opérer
des prodiges par une application artificielle des
paroles & des fentences de l’Ecriture-fainte, & par
leur différente combinaifon.
- i°. Les partifans de la Cabale pratique ne manquent
pas de raifons pour en foûtenir la réalité. Ils foutien-
nent que les noms propres font les rayons des objets
dans lefquels il y a une efpece de vie cachée. Ç ’eft
Dieu qui adonne les noms aux chofes,& qui en liant
l’un à l’autre, n’a pas manqué de leur communiquer
une union efficace. Les noms des hommes font ècrits au
ciel ; & pourquoi Dieu auroit-il placé ces noms dans
fes livres, s’ils ne méritoienfi d’être confervés ? Il y
avoit certains fons dans l’ancienne Mufique ,quifrap-
poient fi vivement les fens, qu’ils animoient un homme
languiffant, diflipoient fa mélancolie, chaffoient
le mal dont il étoit attaqué, & 'le faifbient quelquefois
tomber en fureur. 11 faut néceffairement qu’il y
ait-quelque vertu attachée dans ces fons pour produire
de fi grands effets. Pourquoi doncrefufera-t-on
la même efficace aux noms de Dieu & aux mots de 1?Ecriture ? Les Cabalifles ne fe contentent pas d’imaginer
des raifons pour juftifier leur Cabàle pratique ;
ils lui donnent encore une origine façrée, & en attribùent
l’ufage à tous les faims. En effet ils foûtien-
nent que ce fut par cet art que Moyfe s’éleva au-def-
fus des magiciens de Pharaon, & qu’il fe rendit redoutable
par fes miracles. C ’étoit par le même art
qu’EIie fit defeendrele feu du ciel, & que Daniel ferma
la gueule aux lions. Enfin, tous les prophètes
s’en font fervis heureufement pour découvrir les éve-
nemens cachés dans un long avenir.
Les Cabalifles praticiens difent qù’ert arrangeant
certains mots dans un certain ordre, ils produifent
des effets miraculeux. Ces mots font propres à produire
ces effets, à proportion qu’on les tire d’une langue
plus fainte ; c’eft pourquoi l’hébreu eft préféré à
toutes les autres langues. Les miracles font plus ou
moins grands,félon que les mots expriment ou le nom
de Dieu, ou fes penedions & fes émanations ; c’eft
pourquoi on préféré ordinairement les féphirotSy ou
les noms de Dieu. Il faut ranger les termes, & principalement
les foixante & douze noms de D ieu ,
qu’on tire des trois verfets du xjv. chap. de P-Exode >
d’une certaine maniéré à la faveur de laquelle ils deviennent
capables d’agir. On ne fe donné pas toujours
la peine d’inférer le nom de Dieu : celui des
démons eft quelquefois auffi propre que celui de la
divinité. Ils croyent, par exemple, que celui qui boit
de l’eau pendant la nuit, ne manque pas d’avoir des
vertiges & mal aux yeux : mais afin de fe garantir de
ces deux maux, ou de les guérir lorfqü’on en ëft attaqué
, ils croyent qu’il n’y a qu’à ranger d’une certaine
maniéré le mot hébreu Schiauriri. Ce Schiauriri
eft le démon qui préfide fur le mal des yeux & fur
les vertiges ; èc en écrivant fon nom en forme d’équerre
, on fent le mal diminuer tous les jours & s’anéantir.
Cela eft appuyé fur ces paroles de la Ge-
nefe, où il eft dit, que les anges frappèrent d’ébloüif-
fement ceux qui étoient à la porte de Loth , tellement
qu’ils ne purent la trouver. Le Paraphrafte chaldaï-
que ayant traduit aveuglement, befehiauriri, on acon-
clu que c’étoit un ange, ou plutôt un démon qui en-
voyoit cette efpece de mal, & qu’en écrivant fon
nom de la maniéré que nous avons dit, On en guérit
parfaitement. On voit par-là que les Cabaliftes ont
fait du démon un principe tbut-puiffant, à la Manichéenne;
& ils fe font imagiflés qu’en traitant avec
lui, ils étoient maîtres de faire tout ce qu'ils vou-
loient. Quelle iilufion ! Les démons font-ils les maîtres
de la nature, indépendans de la divinité ; ôc Dieu
permettroit-il que fon ennemi eût un pouvoir prefquè
égal au fien ? Quelle vertu peuvent avoir certaines
paroles préférablement aux aurres ? Quelque différence
qu’on mette dans cet arrangement, l’ordre cha n-
ge-t-il la nature? Si elles n’ont aucune vertu naturelle^
qui peut leur communiquer ce qu’elles n’ont pas?
Eft-ce Dieu ? eft-ce le démon ? eû-cë l’art humain ?
On ne le peut décider. -Cependant on eft entêté de
cette chimere depuis un grand nombre de fiecles.
Carminé lofa Ceres flerilemvanefcit in herbqm ;
Deficiunt Icefce carminé fontis .aquce ; ,
Ilicibus glandes , cantataque vitïbjis uva
Decidit y & nulle poma movente Jlüunt. ,
(Oyid. Amor. lïb. III. eleg. )
Il faudrait guérir l’imagination des hommes, puiftiue
c’eft-là où réfide le mal : mais il n’eft pas aifë de porter
le remede jufquedà. II vaut donc mieux laiffer
tomber cet art dans le mépris, que de lui donner une
force qu’il n’a pas naturellement, en le combattant
& en le réfùtant.
P f . La Cabale contemplative eft de deux efpéces \
l’une qu’on appelle littérale y artificielle, où hiienjym-
borique ; l’autre qu’on appelle philofopkique ou non artificielle.
La Cabale littérale ëft une explication fecrete, artificielle,
& lymbolique de l’Ecriture-lainte, que les