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commerce enfemble ; conje&ure qu’ils é tablirent fur
la naiffance de Se th, leur troifiemefils» qu eM o yfe
«e leur donne qu’à l’âge de cent trente ans. Mais à
parler jufte , il n’y a qu’Abel à qui l’on puifle attribuer
l’honneur d’avoir gardé le célibat pendant toute
la vie. Savoir fi Ion exemple fut imité dans les générations
fuivantes ; fi les. fils de D ieu qui fe laiflerent
corrompre par les filles des hommes, n’étoient point
une efpece de religieu x, qui tombèrent dans le de-
fo rd re , c’eft ce que l’on nefauroit dire ; lachofe n ?eft
pas impoflîble. S’il eft v rai qu’il y eut alors des femmes
qui affeûoient la flérilité , comme il paroît par
un fragment du prétendu livre d ’Enoch , il pouvoit
bien y avoir eu aufîi des hommmes qui en filfent pro-
feffion : mais les apparences n’y font pas favorables.
Il étoit queftion alors de peupler le monde ; la loi de
D ieu & celle dè la nature impofoient à toutes fortes
de perfonnes une efpece de néceffité de travailler à
l ’augmentation du genre humain ; & il eft à préfumer
que ceux qui vivoient dans ce tems-là, fe faifoient
une affaire principale d’obéir à ce précepte. T ou t
c e que l’hiftoire nous apprend , dit M. Mo r in , des
Patriarches de ces tems-là , c’eft: qu’ils prenoient &
donnoient des femmes ; c’eft qu’ils mirent au monde
des fils & des filles, & puis moururent, comme s’ils
n’avoient eu rien de plus important à faire.
C e fut à peu près la même chofe dans les premiers
fiecles qui fuivirent le déluge. Il y a v oit beaucoup à
défricher , Sc peu d’ouvriers ; c’étoit à qui engen-
dreroit le plus. Alors l’honneur , la nobleffe , la
puiflance des hommes confiftoient dans le nombre
des enfans ; on étoit fûr par-là de s ’attirer une grande
confidération , de fe faire refpeéter de fes voifins ,
& d’a vo ir une place dans l ’hiftoire. Celle des Juifs
n’a pas oublié le nom de Jair, qui avo it trente fils
dans le fe rv ic e ; ni celle des G re c s,.les noms de Da-
naiis & d’E gyptus, dont l ’un avoit cinquante fils , &
l ’autre cinquante filles. L a flérilité paffoit alors pour
une efpece d’infamie dans les deux fexes, & pour une
marque non équivoque de la malédiction de D ieu ;
au contraire , on regardoit comme un témoignage
authentique de fa bénédiction, d’avoir autour de fa
table un grand nombre d’enfans. Le célibat étoit une
efpece de péché contre nature:aujourd’h u i ,c e n ’eft
plus la même chofe.
M o y fe ne laifla guere aux hommes la liberté de fe
marier ou non. Ly curgue nota d’ infamie les célibataires.
Il y avoit même une folennité particulière à Lacédémone,
où les femmes les produifoient tous nuds
aux piés des autels, & leur faifoient faire à la nature
une amende honorable, qu’elles accompagnoient
d’une correCtion très-fevere. Ces républicains pouffèrent
encore les précautions plus loin , en publiant
des reglemens contre ceux qui fe marioient trop tard ,
è'i'iyet/j.iei, & contre les maris qui n’en ufoient pas
bien avec leurs femmes , xtutoya/^ia.
Dans la fuite des tems, les hommes étant moins
ra re s , on mitigea ces lois pénales. Platon toléré dans
fa république le célibat jufqu’à trente-cinq ans : mais
paffé cet â g e , il interdit feulement les célibataires des
emplois , & leur marque le dernier rang dans les cérémonies
publiques. Les lois Romaines qui fuccé-
derent aux greques , furent aufîi moins rigoureufes
contre le célibat : cependant les cenfeurs étoient chargés
d’empêcher ce genre de v ie folitaire, préjudiciable
à l’é ta t , ceelibes ejfe prohibendo. Pour le rendre
o d ieu x , ils ne recevoient les célibataires ni à tefter ,
ni à rendre témoignage ; & v o ic i la première queftion
que l’on faifoit à ceux qui fe préfentoient pour
prêter ferment : ex animi tuifententiâ, tu equum ha-
bes, tuuxorem habes ? à votre ame & coWcience, avez-
vous un c h e v a l, avez-vous une femme ? mais les
Romains ne fe contentoient pas de les affliger dans
c e monde, leurs Théologiens les menaçoient aufîi de
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peines extraordinaires dans les enfers.. Exuemaont-
' nium çalamitas & impietas acçidit illi qui abfque filiis à
vitadifcedit, & dczmonibus maximas dat panas pofiobi-
tum. C ’eft la plus grande des impiétés, & le dernier
des malheurs, de fortir du monde fans y laiffer des
enfans ; les démons fo n t . fouffrir à ces gens - là de
cruelles peines après leur mort.
Malgré toutes ces précautions, temporelles 5c fpi-
rituelles , le célibat ne laifîoit pas de faire fon chemin
; les lois mêmes en font une preuve. On ne s’a-
v ife pas d’en faire contre des defordres qui ne fub-
fiftent qu’en idée ; fa vo ir par où & comment celui-ci
commença, l ’hiftoire n’en dit rien : il eft à préfumer
que de fimples raifons morales , & des goûts particuliers
, Remportèrent fur.tant de lois pénales, bur-
fa le s , infamantes, & fur les inquiétudes de k conf-
cience. Il fallut fans doute dans les commencemens
des motifs plus preflans , de, bonnes raifons phyfi-
ques ; telles étoient celles de ces tempéràmens heureux
& fa ges, que la nature difpenfe de réduire en
pratique la grande réglé de la m ultiplication : il y en
a eu clans tous les tems. Nos auteurs leur donnent
des titres flétriflàns : les Orientaux au contraire les
appellent eunuques dufoleil, eunuques du ciel ,faits par
la main de Dieu , qualités honorables , qui doivent
, non-feulement les confoler du malheur de leur,état,
mais encore les autorifer devant D ieu & devant les
hommes à s’en g lorifier, comme d’une grâce fpécia-
l e , qui les décharge d’une bonne partie des follicitu-
des de la v ie , & les tranfporte tout d’un coup au
milieu du chemin de la vertu.
Mais fans examiner férieufement fi c’eft un avantage
ou un defavantage, il eft fort apparent que ces
béats ont été les premiers à prendre le parti du célibat
: ce genre de v ie leur doit fans doute fon origine ,
& peut-être fa dénomination ; .car les Grecs app
e la ie n t les invalides dont il s’agit noXo/ioi, qui n’eft
pas éloigné de catlibes. En effet le célibat étoit le feul
parti que les noXofloi euflent à prendre pour obéir aux
ordres de la nature, pour leur rep os , pour leur honneur,
& dans les réglés de la bonne foi : s’ils ne s’y
déterminoient pas d’eux-mêmes, l'es lois leur en im-
pofoient la néceffité : celle de Mo yfe y étoit exprefle.
Les lois des autres nations ne leur étoient guere plus
favorables : fi elles leur permettoient d’avoir des
femmes, il étoit aufîi permis aux femmes de les abandonner.
Les hommes de cet état équivoque & rare dans
les commencemens , également méprifés des deux
fexes , fe trouvèrent expofés à plufieurs mortifications
, qui les reduifirent à une v ie obfcure & retirée
: mais la néceffité leur fuggéra bientôt différens
moyens d’en fo rtir, & d efe rendre recommandables:
dégagés des mouvemens inquiets de l’amour étranger
& de l’amour-propre , ils s’affujettirent aux v o lontés
des autres avec un dévouement fingulier ; &
ils furent trouvés fi commodes , que tout le monde
en voulut avo ir : ceux qui n’en avoient p o in t, en firent
par une opération hardie & des plus inhumaines
: les p e res , les maîtres, les fouverains, s’arrogèrent
le droit de réduire leurs enfans, leurs efclaves,’
leurs fujets, dans cet état ambigu ; & le monde entier
qui ne connoiffoit dans le commencement que
deux fexes , fut étonné de fe trouver in fenfiblement
partagé en trois portions à peu près égales.
A ces célibats peu volontaires il en fuccéda de libres
, qui augmentèrent confidérablement le nombre
des premiers. Les gens de lettres & les philofophes
par g o û t, les athlètes, les gladiateurs, les muficiens,
par raifon d’é ta t , une infinité d’autres par libertinage
, quelques-uns par v e r tu , prirent un parti que
Diogene trouvoit fi d ou x , qu’il s’étonnoit que faref-
fource ne devînt pas plus à la mode. Quelques pro-
feflions y étoient obligées, telles que celle de teindre
en é ca rla te, baphiarii. L ’ambition & la politique
groffirent encore le corps des célibataires : ces hommes
bifarres furent ménagés par les grands mêmes,
avides d’avoir place dans leur teftament ; & par la
raifon contraire, les peres de famille dont on n’efpé-
roit rien , furent oubliés , négligés , méprifés.
Nous avons v u jufqu’à préfent le célibat interdit,
cnfuite to lé ré , puis approuvé, enfin préconifé : il ne
tarda pas à devenir une condition effentielle dans la
plûpart de ceux qui s’attachèrent au fervice des autels.
Melchifedechfut un homme fans famille & fans
généalogie. C eu x qui fe deftinerent au fervice du
temple & au culte de la l o i , furent difpenfés du mariage.
Les filles eurent la. même liberté. On afïïire
que Moyfe congédia fa femme quand il eut reçû la
lo i des mains de Dieu. Il ordonna aux facrifieateurs
dont le tour d’officier à l’autel approcheroit, de fe
féqueftrer de leurs femmes pendant quelques jours.
Après lui les prophètes E lie , E lifé e, Daniel & fes
trois compagnons, vécurent dans la continence. Les
Nazaréens, & la plus faine partie des Effeniens, nous
font repréfentés par Jofephe comme une nation mer-
v eilleu fe, qui avoit trouvé le fecret que Metellus
Numidicus ambitionnoit, de fe perpétuer fans mariage
, fans accouchement, & fans aucun commerce
a v e c les femmes.
C he z les Egyptiens les prêtres d’Ifis , & la plupart
de ceux qui s’attachoient au fervice de leurs divinités
, faifoient profeffion de chafteté ; &c pour plus
de fûreté ils y étoient préparés dès leur enfance par
des chirurgiens. Les Gymnofophiftes, les Brachma-
n e s ., les Hiérophantes des Athéniens, line bonne
'partie des difciples de P yth agore , ceux de D io g en e ,
les vrais C yn iq u e s , & en général tous ceux & toutes
celles qui fe dévoiioient au fervice des déefles, en
ufoient de la même maniéré. Il y avo it dans iaTh ra-
c e une fociété confidérable de religieux célibataires,
appellés K-fiç-a) ou créatures, de la faculté de fe produire
fans le fecours des femmes. L'obligation du
célibat étoit impofée chez les Perfes aux filles defti-
nées au fervice du foleil. Les Athéniens ont eu une
maifon de vierges. T ou t le monde connoîtles>vefta-
les Romaines. Chez nos anciens G a u lo is , n euf vier- '
ges qui pafloient pour avoir reçû du ciel des lumières
■ & des grâces extraordinaires, gardoient un o racle fameux
dans une petite île nommée Séné, fur les côtes de
l ’Armorique. Il y a des auteurs qui prétendent même
•que l ’île entière n’étoit habitée que par des fille s ,
•dont quelques - unes faifoient de tems en tems des
•voyages fur lés côtes voifine s , d’où elles rappor-
.toient des petits embryons pour conferver l’efpece.
Toutes n’y alloient pas: il eft à préfumer , dit M.
Morin , que le fort en d écidoit, & que celles qui
a vo ien t le malheur de tirer un billet noir , étoient
forcées de defcendre dans la barque fatale qui les ex-
pofoit fur le continent. Ces filles confacrées étoient
en grande vénération : leur maifon avo it des privilèges
finguliers, entre lefquels on peut compter celui
de ne pouvoir être châtiées pour un crime, fans
avo ir avant toute chofe perdu la qualité de fille.
L e célibat a eu fes martyrs chez les pa yens, &
leurs hiftoires & leurs fables font pleines de filles qui
ont généj-eufement préféré la mort à la perte de
l ’honneur. L ’aventure d’Hippolite eft connue, ainfi
que fa réfurreûion par D ian e , patrone des célibataires.
Tous ces faits, & une infinité d’autres, étoient
foutenus par les principes de la croyance. Les Grecs
regardoient la chafteté comme une grâce furnaturel- ;
le ; les facrifices n’étoient point eenfés complets, fans
1 intervention d’ùne v ie rg e .: ils p.otiyoient bien être
commences, libare : mais ils ne pouvoient être con-
fbmmes fans elles y.litare. Ils avoient fur la virginité
des propos magnifiques, des idées lublimes, des fpé-
culations d’une grande beauté : mais en approfon-
Tomell. ~ '" '1' : ‘
difîant la Conduite fecrete de tous ces célibataires, &
de tous ces virtuofes du paganifme, on n’y découv
r e , dit M. Mo rin,qu e defordres, que forfanterie,
& qu’hypocrifie. A commencer par leurs déefles ,
Vefta la plus ancienne étoit repréfentée a v e c un enfant
; où l’avoit-elle pris ? Minerve avoit par-devers
elle Erichtonius, une aventure av e c Vulcain, & des
temples en qualité de mere. Diane avoit fon chevalier
Nirbius, & fon Endimion: le plaifir qu’elle pre-
noit à contempler celui-ci endormi, en dit beaucoup,
& trop pour une v ierge. Myrtilus accufe Içs mufes
de complaifances fortes pour un certain Mégalion y
& leur donne à toutes des enfans qu’il nomme nom
par nom : c’eft peut-être pour cette raifon que l’abbé
Cartaud les appelle les filles de l'opéra de Jupiter.
Les dieux vierges ne valoient guere mieux que les
déefles, témoins Apollon & Mercure.
Les prêtres, fans en excepter ceux de C ybe le
ne pafloient pas dans le monde pour des gens d’une
conduite bien régulière : onn’enterroit pas v iv es toutes
les veftalesquipéchoient. Pour l’honneur de leurs
philofophes,M. Morin s’en ta ît, & finit ainfi l’hiftoire
du célibat,telqu’ilétoitauberceau,dansrenfance,en-
! tre les bras de la nature ; état bien différent du haut de-
, gré de perfection où nous le voyons aujourd’hui :
changement qui n’eft pas étonnant ; celui-ci eft l’ouvrage
de la grâce & du Saint-Efprit ; celui-là n’é toit
que l’avorton imparfait d’une nature déréglée,déprav
é e , débauchée, trifte rebut du mariage & de la v ir ginité.
Voye\_ les Mémoires de l'Académie des Infcrip-
tions ,tom. iV, page 3 o8. FUJI, critiq. du célibat. T o u t
ce qui précédé n’eft abfolument que l’analyfe de c e
mémoire : nous en avons retranché quelques en-
droitslongs; mais à peine nous fommes-nous accorde
la liberté de changer une feule expreflïon dans ce
que nous en avons employé : il en fera de même dans
la fuite de cet article; : nous ne prenons rien fur
nous ; nous nous contentons feulement de rapporter
fidèlement, non - feulement les opinions, mais les
difcours même des auteurs, & de ne puifer ici que
dans des fources approuvées de tous les honnêtes
gens. Après avoir montré ce que l’hiftoire nojis
apprend du célibat, nous allons maintenant envifa-
ger cet état av e c les y e u x de la Philofophie, &
expofer ce que différens écrivains ont penfé fur ce
fu^et'
D u célibat conjidéré en lui-même: i ° . eu égard à üef-
pece humaine. Si un hiftorien ou quelque v oy ag eu r
nous faifoit la defcription d’un être penfant, parfaitement
ifo lé , fans lupérieur, fans é ga l, fans inférieur
, à l’abri de tout ce qui pourroit émouvoir les
paflions , feul en un mot de fon efpece ; nous dirions
fans héfiter que cet être fingulier doit être plongé
dans la mélancolie : car quelle confiolation pourroit-il
rencontrer dans un monde qui ne feroit pour lui qu'une
vafie folitude ? Si l’on ajoûtoit que malgré les apparences
il joiiit de la v ie , fent le bonheur d’exifter, &ç
trouve en lui-même quelque félicité ; alors nous pourrions
convenir que ce n'efi pas tout-à-fait un monflre ,
& que relativement à lui-même fa confiitution n'efi pas.
entièrement abfurde : mais nous n'irions jamais jufqu'à
dire qu'il efi bon^ Cependant fi l’on infiftoit, ÔC qu’on
objeriât qu’il eft parfait dans fon gen re , & confé-
quemment que nous lui refufons à tort l’épithete de
bon; car qu’importe qu’il ait quelque chofe ou qu’il
n’ait rien à démêler avec d’autres ? il faudroit bien
franchir le mot , & reconnoître que cet être ejl bon,
s'il efi pojfible toutefois quiljoitparfait en lui-même y
fans avoir aucun rapport, aucune liaifon avec l'univers
dans lequel il efi placé.
Mais fi l ’on venoit à découvrir à la longue quelque
fyftème dans la nature dont l’efpece d’automate
en queftion pût être confidéré comme faîfant partie
; û l’pn entrevoyoit dans fa ftruÛure des liens qui
11 i i ï ij