Quand tons les papiers ou feuilles de pau font
peintes, comme nous venons de dire, il s’agit de les.
appliquer fur les doubles ; pour cet effet, on les mêle
en tas: une feuille peinte, un double ; une feuille
peinte, un double, & ainfi de fuite : de maniéré que
le double foit toujours enfermé entre deux feuilles
peintes. On colle, on preffe, on pique, ç>n étend,
comme ci-deffus. On abat, & l’on féparé les doubles
, ainfi comme nous avons dit qu’on féparoit les
étreffes. Ce nouveau travail n’a rien de particulier;
il fait feulement paffer l’ouvrage un plus grand nombre
de fois entre les mains de l’ouvrier.
Quand on a féparé, on prépare le chauffoir; le
cbauffoir eft tel qu’on le voit ,fig. y. c’eft une caiffe
de fer quarrée, à pié, dont les bords fupportent des
bandes de fer quarrées, paflées les unes fur les autres,
& recourbées par les exirémités. Il y en a deux
fur la longueur, & deux fur la largeur ; ce qui forme
deux crochets fur chaque bord du chauffoir.
On allume du feu dans le chauffoir; on paffe dans les
crochets ou agraffesqu’on remarque autourdu chauffoir,
une caifle quarrée de bois qui fert à concentrer
la chaleur ; on place enfuite quatre feuilles en-dedans
de cette caifle quarrée, une contre chaque côté, puis
on en pofe une deflus les barres -qui fe croifent ; on
ne les laiffe toutes dans cet état, que le tems de faire
le tour du chauffoir. On les enleve en tournant, on
y en fubftitue d’autres , & l’on continue cette manoeuvre
jufqu’à ce qu’on ait épuifé l’ouvrage ; cela
s’appelle chauffer.
Au fortir du chauffoir, le liffeur prend fon ouvrage
& le favonne par-devant, c’eft-à-dire du côté des
figures. Savonner, c’eft avec un affemblage de morceaux
de chapeau coufus les uns fur les autres à l’é-
paifleur de deux pouces, & de la largeur de la feuille
(affemblage qu’on appellefavonneur),emporter du
favon, en le paflant fur un pain de cette marchandée,
& le tranfporter fur la feuille en la frottant feulement
une fois. On favonne la carte pour faire couler
deflus la pierre de la liffoire.
Quand la carte eft favonnée, on la lifle. La liffoire
eft un inftrument compofé d’une perche, dont on
voit une extrémité Planche du Cartier, fig. 8. l’autre
bout aboutit à l’extrémité d’une planche , qu’on
voit dans la vignette de la. même Planche, fixée aux
folives. Cette planche fait reffort. La figure M eft la
boîte de la liffoire ; la figure n en eft la pierre. Cette
pierre , qui n’eft autre chofe qu’un caillou noir bien
poli, fe place dans l’ouverture qu’on voit à la partie
fupérieure de la boîte M. La pierre fe polit fur un
grès ; on la figure à-peu-près en dos d’âne. On voit,
fig, M n , la boîte avec fa pierre. On apperçoit à la
partie fupérieure de la figure Mn de part & d’autre,
deux entailles circulaires. La langue folide qui eft entre
les entailles, fe place dans la fente de l’extrémité
de la perche 8- On apperçoit aux deux extrémités de
la boîte M n , deux éminences cylindriques : ce font
les deux poignées avec lefquelies l’ouvrier appellé
liffeur, fait aller la liffoire fur la feuille de carte. Cette
carte à lifter eft pofée fur un marbre. Ce marbre eft
fixé fur une table ; la pierre de la liffoire appuyée fortement
contre la carte, fur laquelle l’ouvrier la fait
aller de bas en haut, &c de haut en bas. Pour qu’une
feuille foit bien liflee, il faut qu’elle ait reçu vingt-
deux coups ou vingtrdeux allées & venues. Un bon
ouvrier liffera trente mains par jour : il eft payé 30
fous* Son métier eft fort pénible ; & ce n’eft pas une
petite fatigue que de vaincre continuellement l’élaf-
ticité de la planche qui agit à un des bouts de la perche
de la liffoire, & applique fortement la pierre contre
là feuille à liffer. On voit dans la vignette , fig. 3.
un Y&eux figure 2. un ouvrier occupé à peindre des
points ; 6* fig. 1. un ouvrier qui peint des têtes.
Quand la carte eft liflee par-devant, on la chauffe,
comme on a fait ci-deffus. Il faut obferver que foit
en chauffant, foit en réchauffant, c’eft la couleur qui
eft tournée vers le feu. Le réchauffage fe fait comme
le chauffage. Après cette manoeuvre, on favonne la
carte par-derriere, & on la lifle par-derriere.
Au.fortir de la lifle, la carte va au cifeau pour être
coupée. On commence par rogner la feuille. Rogner,
c’eft enlever avec le cifeau ce qui excede le trait du
moule, des deux côtés qui forment l’angle fupérieur
à droite de la feuille. Pour fuivre ce trait exactement,
il eft évident qu’il faut que la face colorée foit en-
deflîis, & puiffe être apperçûe par le coupeur. Les
traits du moule tracés autour des cartes, & qui, en formant
pour ainfi dire les limites, en aflïïrent l’égalité ,
s’appellent les guides : c’eft en effet ces traits qui guident
le coupeur.
Le coupeur a fon établi particulier. Il eft repré-
fenté dans la vignette, fig. 4. il eft compofé d’une Ion?
gue table, fur laquelle eft Yeflo. L’efto eft un morceau
de bois d’environ deux pouces d’épais, fur un
bon pié en quarré, bien équarri & affemblé le plus
fermement & le plus perpendiculairement qu’il eft
poflible avec le deflus de la table. On voit, figure 12.
l’efto féparé Z , & fig. 4. de la vignette , on le voit affemblé
avec la table par les tenons 4,4, & fes clavettes
ou clés 5 ,5 ; fur lafurfaceZdel’e f to ,^ . 12. on
a fixé un litau 2 percé : c’eft dans le trou de ce litau
qu’on place la vis 1 1 , dont l’extrémité a reçoit l’écrou
b fur l’autre furface de l’efto. La corde qui paffe
par-deffus le bord fupérieur de l’efto, foûtient une
broche de fer à laquelle elle eft attachée, & qui fert
à avancer ou reculer la vis. On voit à l’extrémité de
la v is , deux arrêts circulaires 1 , 2 , dont nous ne tarderons
pas d’expliquer l’ufage. On voit ,fig. 10. &11.
les cifeaux defaffemblés ; & dans la vignette, fig. 4.
on les voit affemblés avec l’établi, & en fituation
pour travailler. Le bout'd’une des branches 2, fe
viffe dans le folide de l’établi par le boulon taraudé,
& fon extrémité eft contenue entre les deux arrêts
circulaires de la vis ; en forte que cette branche ne
petit vaciller non plus que l’autre, qui eft fixée à
celle-ci par le clou, comme on voit vignette, fig. 4,
Il s’enfuit de cette difpofition, que pour peu que
l’ouvrier foit attentif à fon ouvrage, il lui eft impofli-,
ble de ne pas couper droit & de ne pas fuivre les guides.
Quandilarogné,il/rÆve//ê. Traverfer,c’eftfépa-
rer les coupeaux, ou mettre la feuille en quaire parties
égales. Quand il a traverfé, il aju(le : ajufier, c’eft
examiner fi les coupeaux font de la même hauteur.
Pour cet effet, on les applique les uns contre les autres
, & on tire avec le doigt ceux qui débordent ;
on repaffe ceux-ci au cifeau. On doit s’appercevoir
que le cifeau eft tenu toujours à la même diftance
de l’efto, & qu’il ne s ’en peut ni éloigner., ni approcher.
On a planté en 3, 3, fur le milieu de l’efto, dans
une ligne parallèle au tranchant de la lame immobile
du cifeau, deux épingles fortes. On pofe le coupeau
à retoucher contre ces épingles en-deffous ; on applique
bien fon côté contre l’efto, & l’on enleve
avec le cifeau tout ce qui excede. C«t excédent eft
néceffairement de trop, parce que la diftance du cifeau
à l’efto eft précifément de la hauteur de la carte.
Quand onarepaffé, on rômpt. Rompre, c’eft plier
un peu les coifpeaux, &,leur faire le dos un peu convexe.
Après avoir rompu les coupeaux, on les mene
au petit cifeau. Le petit cifeau eft monté précifément
comme le grand ; & il n’y a entre eux de différence
que la longueur & l’ufage. Le grand fert à rogner les
feuilles & à les mettre en coupeaux; & Je petit, à
mettre les coupeaux en cartes. On rogne, & l’on met
en coupeaux les feuilles les unes aprèsms autres ; &
les coupeaux en cartes, les uns après les autres.
Quand les coupeaux font divifés, on affortit. Affory
fir, c’eft ranger les caries divifées par deux rangs de
cartes, déterminées par l’ordre qu’elles avoient lur le
moule ou fur les feuilles. Il / a entre la place d’une
carte fur la feuille & fa place dans le rang, une cor-
refpondance telle que dans cette diftribution, toutes
les caries de la même efpece , tous les rois, toutes
les dames, tous les valets, &c. tombent enfemble :
alors on dit qu’elles font par fortes. Mifes par fortes,
on les trie. Trier , c’eft mettre les blanches avec les
blanches, les moins blanches enfemble, & ôter les
taches, qu’on appelle le bro, comme nous avons
dit. On diftingue quatre lots de cartes relativement
à leur degré de finefle : celles du premier lot s’appellent
lafileur; celles du fécond, les premières ; celles
dutroifieme, les fécondés ; celles du quatrième & du
cinquième, les triards ou fonds.
Quand on a diftribué chaque forte relativement
à fa qualité ou fon degré de finefle, on fait la couche
, où l’on forme autant de fortes de jeu qu’on a de
différens lots; enfuite on range & o n complété les
jeux, ce qui s’appelle faire la boutée. On finit par plier
les jeux dans les enveloppes ; ce qu’on exécute de
maniéré que les jeux de fleur fe trouvent au-deffus
du fixain, afin que fi l’acheteur veut examiner ce
qu’on lui vend, il tombe néceffairement fur un beau
jeu.O
n prépare les enveloppes exaôement comme
les cartes , avec un moule qui porte l’enfeigne du
Cartier. Mais il y a à l’extrémité de ce moule une
petite cavité qui reçoit exaftement une piece amovible
, fur laquelle on a gravé en lettres le nom de la
forte de jeu que l’enveloppe doit contenir, comme
piquet, fi c’eft du piquet; médiateur ou tomete, fi c’eft
médiateur ou comete : cette piece s’appelle bluteau.
Comme il y a deux fortes d’enveloppes, l’une pour
les fixains, l’ autre pour les jeux, il y a plufieurs moules
pour les enveloppes : ces moules ne different qu’en
grandeur.
Les cartes fe vendent au jeu, au fixain, & à la grof-
fo. Les jeux fe diftinguent en jeux entiers, en jeux
d’hombre, & jeux de piquet.
. Les jeux entiers font compofés de cinquante-deux
cartesy quatre rois, quatre dames, quatre valets,
quatre dix, quatre neuf, quatre huit, quatre fept,
quatre f ix , quatre cinq, quatre quatre, quatre trois;
quatre deux, & quatre as*
Les jeux d’hombre -font compofés de quarante cartes
, les mêmes que ceux des jeux entiers, excepté
les dix, les neuf, & les huit qui y manquent.
Les jeux de piquet font de trente-deux ; as, rois,
dames, valets , dix, neuf ; huit, & fept.
On diftingue les cartes en deux couleurs principales
, les rouges & les noires : les rouges repréfentent
un coeur ou uri lof ange \ les noires un trefle ou un pique
: elles font toutes marquées depuis le roi jufqu’à
l ’as , de coeur , trefle , carreau ou pique.
Celles qu’on appelle 'roi, font couronnées & ont
différens noms. Le roi de eofeur s’appelle Charles ;
celui de carreau, Céfar; celui de trefle , Alexandre ;
!& celui de pique, David.
Les dames ont aufli leurs noms : la dame de coeur
s’appelle Judith; celle de carreau, Rachel; celle de
trefle | Argine ; & celle de pique , Pallas.
Le valet de coeur fe nomme Lahire; celui de carreau:,
Hcfor; celui de pique, Hogiér celui de trefle
le nom du Cartier.
Les dix portent dix points fur les trois rangées, quatre
; deux, quatre ; les neuf fur les trois rangées, quatre
, un, quatre ; les huit fur les trois rangées, trois,
deux, trois ; les fept fur les trois rangées, trois; un,
trois ; les fix fur lés deux rangées, trois, trois ; les
cinq fur les trois rangées, deux, un, deux ; les quatre
lur les deux rangées, deux, deux; les trois fur
Tome II,
une rangée, ainfi que les deux : l’as eft au milieu de
la carte>
S’il y avoit un moyen de corriger les avares, ce
feroit de les inftruire de la maniéré dont les chofes
fe fabriquent : ce détail pourroit les empêcher de regretter
leur argent ; & peut-être s’étonneroient-ils
qu’on leur en demande fi peu pour une marchandife
qui a coûté tant de peine.
On a mis de grands impôts fur les caries, ainfi que
fur le tabac ; cependant je ne penfe pas que ceux
même qui ufent le plus de l’un, & qui fe fervent le plus
des autres, ayent le courage de s’en plaindre. Qui
eût jamais penfé que la fureur pour ces deux fuper-
fluités , pût s’accroître au point de former un jour
deux branches importantes des fermes ? Qu’on n’imagine
pas que celle des cartes foit un fi petit objet.
Il y a tel Cartier qui fabrique jufqu’à deux cents
jeux par jour.
Il y auroit un moyen de rendre cette ferme beaucoup
plus importante : je le publie d’autant plus v o lontiers,
qu’il ne feroit certainement à charge à per-
fonne ; ce feroit de taxer le prix des cartes au-deffous
de celui qu’elles ont. Qu’arriveroit-il de-là ? qu’il y
auroit fi peu de différence entre des cartes neuves &
des cartes recoupées, qu ’on fe détermineroit aifément
à n’employer que des premières. Le fermier & le
carder y trouveroient leur compte tous deux : ce
qui eft évident ; car les cartes fe recoupent jufqu’à
deux fois, & reparoiffent par conféquent deux fois
fur les tables. Si en diminuant le prix des cartes neuves
, on parvenoit à diminuer de moitié la diftribution
des vieilles caries, celui qui fabriqué & vend
par jour deux cents jeux de cartes, qui par la recoupe
tiennent lieu de fix cents, en pourroit fabriquer
& vendre trois cents. Le cartier regagneroit fur le
grand nombre dés jeux vendus, ce qu’on lui auroit
diminué fur chacun, & la ferme augmenteroit fans
vexer perfonne.
Il eft furprenant que nos François qui fie piquent
fi fort de bon goût, & qui veulent le mieux jufque
dans les plus petites chofes, fe foient contentés jufqu’à
préfent des figures mauffades dont les cartes font
peintes : il eft évident, par ce qui précédé, qu’il n’en
coûteroit rien de plus pour y repréfenter des fujets
plus agréables. Cela ne prouve^t-il point qu’il n’eft
pas aufli commun qu’on le penfei; de jouer ou par
amufement, ' ou fans intérêt? pourvû qu’on tue le
tems, ou qu’on gagne, on ne fe foucie guereque ce
foit avec des cartes bien ou mal peintes.: /
- Carte , (Artificier.') ce mot lignifie en général Je
carton dont fe fervent les Artificiers. Ils en défignent
l’épaiffeur par le nombre des feuilles de gros papier
gris dont il eft compofé : ainfi on dit,’ de la carte en
deux, trois, quatre, ou cinq, fans y ajoûter le mot
de feuille, qui eft foufentendu chez eux & chez les
marchands qui les vendent. ■
On défigné les petites cartes en les appellant cartes
à joiier ;Sc le gros carton, plus roide & moins propre
au moulage, qui doit être flexible, s’appelle
carte-lijfe.
CARTEL, f. m. ( Hifl. mod.) lettre de défi, ou
appel à un combat fingülier, qui étoit fort en ufage
lorfqu’on décidoit des différends par les armes, & uniquement
par elles, ainfi que certains procès. Voye%_
C ombat,D uel, Champion, & c. (G)
Cartel , (Commerce.) mefiire de continence pour
les grains, & qui eft èn ufage à Rocroi, à Mezieres,
& autres lieux où elle varie pour la grandeur & pour
le poids.
Le cartel de froment pefe à Rocroi trente-cinq livres
poids de marc, celui de méteil trente-quatre,
& celui de feigle trente-trois'.
A Mezierës le cartel de froment pefe trente livres,
de méteil vingt-huit, de feigle vingt-fix livres.
X X x x q