» l’ébranler, je jugeai que je pouvois la recevoir fans
>> fcrupule pour le premier principe de laPhilofophie
■ v que je cherchois.
» Puis examinant avec attention ce que j’étois, &
,> voyant que je pouvois feindre que je n’avois au-
» cun corps, 8c qu’il n’y avoit aucun monde, ni au-
» cun lieu où je fuffe ; mais que je ne pouvois pas
» feindre pour cela que je n’étois point, 8c qu’au con-
» traire de cela même, que je penfois à douter de la
« vérité des autres choies, il fuivoit très-évidem-
» mgnt & très-certainement que j’étois ; au lieu que
» fi j’eulfe feulement celfé de penfer, encore que tout
h le refte de ce que j’avois j amais imaginé eût été
» v rai, je n’avois aucune raifon de croire que j’euffe
» été : je connus de-là que j’étois une fubftance, dont
» toute l’effence ou la nature n’eft que de penfer, &
» qui pour être n’abefoin d’aucun lieu, ni ne dépend
» d’aucune chofe matérielle ; enforte que ce m o i,
» c’eft-à-dire l’ame par laquelle je fuis ce que je fuis,
» eft entièrement diftinûe du corps, & même qu’elle
» eft plus aifée à connoître que lui, 8c qu’encore
» qu’il ne fût point, elle ne laifferoit pas d’être tout
» ce qu’elle eft.
» Après cela je confidérai en général ce qui eft re-
>> quis à une propofition pour être vraie 8c certaine:
» car puifque je venois d’en trouver une que je fa-
» vois être telle, je penfai que je devois auffi favoir
» en quoi confifte cette certitude ; 8c ayant remar-
» qué qu’il n’y a rien du tout en ceci ,je penfe, donc
» je fuis , qui m’affûre que je dis la vérité, finon que
» je vois très-clairement que pour penfer il faut çtre,
» je jugeai que je pouvois prendre pour réglé gené-
» raie, que les chofes que nous concevons Fort clai-
» rement 8c fort diftinttement font toutes vraies. »
j . Defcartes s’étend plus au long dans fes méditations
, que dans le difcours fur la méthode , pour
prouver qu’il ne peut penfer fans être : 8c de peur
qu’on ne fui contefte ce premier point, il va au-devant
de tout ce qu’on pouvoit lui dppofer, 8c trouve
toûjours qu’il penfe, & que s’il penfe, il eft, foit
qu’il veille, foit qu’il fommeille, foit qu’un efprit
lupérieur ou une divinité puiffante s’applique à le
tromper. Il fe procure ainfi une première certitude ;
ne s’en trouvant redevable qu’à la clarté de l’idée
qui le touche, il fonde là-demis cette réglé célébré,
de tenir pour vrai ce qui eji clairement contenu dans Vidée
qu'on a d'une chofe ; oc l’on voit par toute la fuite
de fes raifonnemens, qu’il fous-entend 8c ajoûte
line autre partie à fa réglé, favoir, de ne tenir pour
vrai que ce qui eft clair.
6. Le premier ufage qu’il fait de fa réglé, c’eft de
l ’appliquer aux idées qu’il trouve en lui-même. lire-
marque qu’il cherche, qu’il doute , qu’il eft incertain
, d’où il inféré qu’il eft imparfait. Mais il fait en
même tems qu’il eft plus beau de favoir, d’être fans
foibleffe, d’être parfait. Cette idée d’un être parfait
lui paroît enfuite avoir une réalité qu’il ne peut
tirer du fonds de fon imperfettion : 8c il trouve cela
fi clair, qu’il en conclut qu’i ly a un être fouveraine-
ment parfait, qu’il appelle Dieu, de qui feul il a > pû
recevoir une telle idée. Voyc^ Cosmologie.
7. Il fe fortifie dans cette découverte en confidé-
rant que l’exiftence étant une perfection, eft renfermée
dans l’idée d’un être fouverainement parfait. Il
fe croit donc aufli autorifé par fa réglé à affirmer
que Dieu exifte, qu’à prononcer que lui Defcartes
exifte puifqu’il penfe.
8. Il continue de cette forte à réunir par plufieurs
confequences immédiates , une première fuite de
connoiffances qu’il croit parfaitement évidentes, fur
la nature de l’ame, fur celle de D ieu, 8c fur la mature
du corps.
Il fait une remarque importante fur fa méthode,
favoir que « ces longues chaînes de raifons toutes
» fimples 8c faciles , dont les Géomètres ont coûtu-
» me de fefervir pour parvenir à leurs plus difficiles
» démonftrations, lui avoient donné occafionde s’i-
» maginer que toutes les chofes qui peuvent tomber
» fous la connoiffance des hommes, s’entrefuivent
» en même façon ; & que 'pourvû feulement qu’on
» s’abftienne d’en recevoir aucune pour vraie qui ne le
» foit y 8c qu’on garde toûjours l’ordre qu’il faut pour
» les déduire les unes des autres, il n'y en peut avoir
» de f i éloignées auxquelles enfin on ne parvienney ni de
» J i cachées qu'on ne découvre ».
10. C’eft dans cette efpérance que notre illuftre
philofophe commença enfuite à faire la liaifon de fes
premières découvertes avec trois ou quatre réglés
de mouvement ou de méchanique, qu’il crut voir
clairement dans la nature, & qui lui parurent fuffi-
fantes pour rendre raifon de tout, ou pour former
une chaîne de connoiffances, qui embraffât l’univers
8c fes parties, fans y rien excepter.
« Je me réfolus, dit-il, de laiffer tout ce monde-ci
» aux difputes des Philofophes , 8c de parler feule-
» ment de ce qui arriveroit dans un nouveau mon-
» de, fi Dieu créoit maintenant quelque part dans
» les efpaces imaginaires affez de matière pour le
» compofer, & qu’il agitât diverfement 8c fans or-
» dre les diverfes parties de cette matière, en forte
» qu’il en compofat un cahos auffi confus que les
» Poètes en puiffent feindre, 8c que par-après il ne
» fît que prêter fon concours ordinaire à la nature,
» 8c la laiffer agir félon les lois qu’il a établies.
» De plus je fis voir quelles étoient les lois de la
» nature.......Après cela je montrai comment la plus
» grande partie de la matière de ce cahos devoir,
» enfuite de ces lois, fe difpofer 8c s’arranger d’une
»certaine façon qui larendoit toute femblable à
» nos deux; comment cependant quelques-unes de
» ces parties dévoient compofer une terre ; 8c quel-
» ques-unes, des planètes 8c des cometes ; & quel-
» ques-autres, un foleil & des étoiles fixes.....De-là
» je vins à parler particulièrement de la terre ; com-
» ment les montagnes, les mers, les fontaines 8c les
» rivières pouvoient naturellement s’y former, 8c
» les métaux y venir dans les mines; & les plantes
» y croître dans les campajgnes ; & généralement
» tous les corps qu’on nomme mêlés qu compofés, s’y
» engendrer.........On peut croire, fans faire tort au
» miracle de la création, qiie par les feules lois de la
» méchanique établies dans la nature, toutes les cho-
» fes qui font purement matérielles, auroient pû s’y
» rendre telles que nous les voyons à préfent.
» De la defcription de cette génération des corps
» animés & des plantes, je paffai à celle des animaux,
» 8c particulièrement à celle des hommes».
11. Defcartes finit fon difcours fur la méthode y en
nous montrant les fruits delà fienne. « J’ai cru, dit—
» i l , après avoir remarqué jufqu’où ces notions gé-
» nérales, touchant la Phyfique, peuvent conduire,
»que je ne pouvois les tenir cachées, fans pécher
» grandement contre la loi qui nous oblige à procu-
»rer, autant qu’il eft en nous; le bien général de
» tous les hommes. Car elles m’ont fait voir qu’il eft
» poffible de parvenir à des connoiffances qui font
» fort utiles à la v ie , 8c qu’au lieu de cette philofo-
» phie fpéculative qu’on enfeigne dans les écoles,
» on en peut trouver une pratiqué , par laquelle côri-
» noiffant la force 8c lésa étions du feu, de l’eau, 'dé
» l’air, des aftrés, des liejuJr , 8c de tous les autres corps
» qui nous environnéhty aàjfidiflincttment que nous con-
» noiffons les divers métiers de nos artifans , nous les
» pourrions employer en même façon à tous lis ufagts
» auxquels ils font propres , & ainfi 'nous rendre maîtres
» 6* pojfeffeurs de la nature », 1
Defcartes fe félicite en dernier lieu des avançages
qui reviendront de fa Phyfique générale à la Médecine
& à lafanté. Le but de les connoiffances eft,
de fe pouvoir exempter d'une infinité de maladies, & même
auffi peut-être de Vaffoibliffement de la vieilleffe. •
Telle eft la méthode de Defcartes. Telles font fes
promeffes ou fes efpérances. Elles font grandes fans
doute : 8c pour fentiftau jufte ce qu’elles peu vent va*
loir, il eft bon d’avertir le le&eur qu’il,ne doit point
fe prévenir contre ce renoncement à toute connoiffance
fenfible, par lequel ce philofophe débute. On
eft d’abord tenté de rire en le voyant héfiter. à croire
qu’il n’y ait ni monde, ni lieu, ni aucun corps autour
de lui : mais c’eft un doute métaphyfique , qui
n’a rien de ridicule ni de dangereux ; & pour en juger
férieufement, il eft bon de fe rappeller les cir-
conftances où Defcartes fe trouvoit. Il étoit né avec
un grand génie ; & il regnoit 'alors, dans les écoles
un galimathias d’entités , de formes fubftancielles ,
8c de qualités attra&ives , répulfives , retentrices,
concoârices, expultrices , & autres non moins-radicules
ni moins obfcures , dont ce grand homme
étoit extrêmement rebuté. Il avoit pris goût de bonne
heure à la méthode des Géomètres, qui d’une vérité
inconteftable, ou d’un point accordé, condui-
fent l’efprit à quelqu’autre vérité inconnue ; puis de
celle-là à une autre , en procédant toûjours ainfi ;
ce qui procure cette conviâion d’où naît une fatis-
faftion parfaite. La penfiée lui vint d’introduire la
même méthode dans l’étude de la nature ; & il crut
en partant de quelques vérités fimples, pouvoir parvenir
aux plus cachées , & enfeigner la Phyfique ou
la formation de tous les corps, comme on enfeigne
la Géométrie.
Nous reconnoîtrions facilement nos défauts , fi
nous pouvions remarquer que les plus grands hommes
en ont eu de femblables. Tes Philofophes auroient
fuppléé à l’impuiflance où nous fommes pour
la plûpart, de nous étudier nous-mêmes, s’ils nous
avoient laiffé l’hiftoire des progrès de leur efprit.
Defcartes l’a fait, 8c c’eft un des grands avantages
de fa méthode. Au lieu d’attaquer directement les
fcholaftiques, il repréfente le tems oii il étoit dans
les mêmes préjugés : il ne cache point les obftacles
qu’il a eus à furmonter pour s’en défaire ; il donne
les réglés d’une méthode beaucoup plus fimple
qu’aucune de celles qui avoient été en ufage jufqu’à
lu i , laiffe entrevoiries découvertes qu’il croit avoir
faites, 8c prépare par cette adreffe les efprits à recevoir
les nouvelles opinions qu’il fe propofoit d’établir.
Il y a apparence que cette conduite a eu beaucoup
de part à la révolution dont ce philofophe eft
l’auteur.
La méthode des Géomètres eft bonne , mais a-
t-elle autant d’étendue que Defcartes lui en donnoit ?
Il n’y a nulle apparence. Si l’on peut procéder géométriquement
en Phyfique , c’eft feulement dans
telle ou telle partie, oc fans efpérance de lier le tout.
Il n’en eft pas de la nature comme des mefures 8c
des rapports de grandeur. Sur ces rapports Dieu a
donné à l’homme une intelligence capable d’aller
fort loin , parce qu’il vouloit le mettre en état de
faire une maifon , une voûte , une digue , 8c mille
autres ouvrages où il auroit befoin de nombrer 8c de
mefürer. En formant un ouvrier, Dieu a mis en lui
les principes propres à diriger fes opérations : mais
deftinant l’homme à faire ufage du monde ,8c non àle
conftruire, il s’eft contenté de lui en faire connoître
fenfiblement & expérimentalement les qualités ufuel-
les ; il n’a pas jugé à-propos dè lui accorder la vûe
claire de cette machine immenfe.
Il y a encore un défaut dans la méthode de Def-
cartès : félon lui il faut commencer par définir les
cliofes , 8c regarder les définitions comme des principes
propres à en faire découvrir les propriétés. Il
paroît ati contraire qu’il finit commencer par chercher
les propriétés ; car fi les notions que noiis fommes
capables d’acquérir, ne font, comme il paroît
évident, que differentes collerions d’idées fimples
que l’expérience nous a fait raffembler fous'.cerrains
noms, il eft bien plus naturel; deles former , en cherchant
les idées dans le même qrdre que l’expérience
les donne ,-que de commencer par les définitions ,
pour en déduire enfuite les différentes propriétés des
chofes. Defcartes méprifoit la fcience qui s’acquiert
par les fens ; & s’étant accoutumé à fe renfermer
tout entier dans des idées intelle£hielles , qui pour
avoir entr’elles quelque fuite, n’avoient pas en effet
plus de réalité , il alla avec beaucoup d’efprit de mé-
prife en méprife. Avec une matière prétendue homogene
, mife &c entretenue en mduyement ; félon deutf
ou trois réglés de la méchanique , il entreprit d’expliquer
la formation de Funivers. 11 entreprit e.n particulier
de montrer avec-une parfaite évidence, conr*
ment quelques parcelles de chyle ou de fang, tirées
d’une nourriture commune, doivent former'jufte &
précifément le tiffu, l’entrelacement, & la correspondance
des vaiffeaiix du corps d’un homme, plutôt
que d’un tigre ou d’un poiffon. Enfin il fe vantbit d’avoir
découvert un chemin qui lui fembloit tel, qu'on de-
voit infailliblement trouvet la fcience de la vraie Médecine
en le fuivant. F’oye^ A'X.IOME.
On peut juger de la nature de fes connoiffances à
cet égard par les traits fuivans. Il prit pour un r-hû-
matifme la pleuréfie dont il eft mort, & crut fe dé**
livrer de. la fievre en buvant un demi-verre d’eau-
de-vie : parce qu’il n’avoit pas eu befoin de la fai-
gnée dans l’efpace de 40 ans, il s’opiniâtra à refiifer
ce fecours qui étoit le plus fpécifique pour fon mal :
il y confentit trop tard, lorfque fon délire fut calmé
& diflïpé. Mais alors , dans le plein ufage de fa
raifon, il voulut qu’on lui infusât du tabac dans du
vin pour le prendre intérieurement ; ce qui détermina
fon médecin à l’abandonner. Le neuvième jour de fa
fievre, qui fut l’avant-dernier de fa v ie , il demanda
de lang froid des panais , & les mangea par précaution
, de crainte que fes boyaux ne fie retréciffent,
s’il continu oit à ne prendre que des bouillons. On
voit ici la diftance qu’il y a du Géomètre au Phyfi-
cien. Hiß. du'-Ciel, tome. II.
Quoique M. Defcartes fe fut appliqué à l’étude de
la Morale, autant qu’à aucune autre partie de la Phi-
lofophie, nous n’avons cependant de lui aucun traité
complet fur cette matiere. On en voit les raifons dans
une lettre qu’il écrivit à M. Chanut. « Meffieurs les
» régens de collège (difoit-il à fon ami ) font fi ani-
» mes contre moi à caufe des innocens principes de
» Phyfique qu’ils ont vûs, 8c tellement en colere de
» ce qu’ils n’y trouvent aucun prétexte pour me ca-
» loninier, que fi je traitois après cela de la Morale,
» ils ne me laifferoient aucun repos ; car, puifqu’un
» pere Jéfuite a crû avoir affez de fujet pour m’accu*
» 1er d’être fceptique, de ce que j’ai réfuté les fcep-
» tiques ; 8c qu’un miniftre a entrepris de perfuader
» que j’étois athée, fans en alléguer d’autres raifons,
» finon que j’ai tâché de prouver l’exiftence de Dieu :
» que ne diroient*ils point, fi j’entreprenois d’exami-
» ner quelle eft la jufte valeur de toutes les chofes
» qu’on peut defirer ou craindre; quel fera l’état de
» l’ame après la mort ; jufqu’où nous devons aimer la
» v ie , 8c quels nous devons être pour n’avoir aucun
» fujet d’en craindre la perte 1 J’aurois beau n’avoir
» que les opinions les plus conformes à la religion, 8c
» les plus utiles au bien de l’état, ils ne laiflèroient
» pas de me vouloir faire croire que j’en aurois de
» contraires à l’un 8c à l’autre. Ainfi je penfe que le
» mieux que je puifliè faire dorénavant, fera de m’abf-
» tenir de faire des livres : 8c ayant pris pour ma de-
» vife , illi mors gravis incubât , qui notus ni rnis omnï