truifirent les bibliothèques & les livres en général ; leur
fureur fut prefquc incroyable, & a caufé la perte irréparable
d’un nombre infini d’excellens ouvrages.
Le premier de ces tems-là qui eut du goût pour les
lettres, fut Cafliodore, favori & minière de Théo-
doric roi des Goths qui s’établirent en Italie, 8c qu’on
nomma communément OJlrogots. Cafliodore fatigué
du poids du miniftere, fe retira dans un couvent qu’il
fit bâtir , oii il confacra le relie de fes jours à la priere.
& à l’étude. Il y fonda une bibliothèque pour l’ufagé
des moines, compagnons de fa folitude. Ce fut à-
peu-près dans le même tems que le pape Hilaire premier
du nom, fonda deux bibliothèques dans l’églife
de faint Etienne ; & que le pape Zacharie I. rétablit
celle de faint Pierre, félon Platine.
Quelque tems après, Charlemagne fonda la fien-
ne à l’Ille-barbe près de Lyon. Paradin d it, qu’il l’enrichit
d’un grand nombre de livres magnifiquement
reliés ; & Sabellicus, aufli-bien que Palmerius, aflïi-
rent qu’il y mit entr’autres un manuferit des oeuvres
de S. D enys, dont l’empereur de Confiantinople lui
avoit fait préfent. II fonda encore en Allemagne plu-
fieurs collèges avec des bibliothèques, pour l’inftruc-
tion de la jeunefle : entre autres une à Saint-Gai en
Suifle, qui étoit fort eftimée. Le,roi Pépin en fonda
une à Fulde par le confeil de S. Boniface, l’apôtïe de
l’Allemagne: ce fut dans ce célébré monaftere que
Raban - Maur & Hildebert vécurent & étudièrent
dans le même tems. Il y avoit une autre bibliothèque
à la 'Wriffen près de Worms : mais celle que Charlemagne
fonda dans fon palais à Aix - la - Chapelle,
furpafla toutes les autresjcependant il ordonna avant
de mourir qu’on la vendît, pour en diftribuer le prix
aux pauvres. Louis le Débonnaire fon fils, lui i'uc-
céda à l’empire 8c à fon amour pour les Arts & les
Sciences, qu’il protégea de tout fon pouvoir.
L’Angleterre & encore plus l’Irlande, poffédoient
alors de favantes & riches bibliothèques, que les incur-
fions fréquentes des habitans du Nord détruifirent
dans la fuite : il n’y en a point qu’on doive plus regretter
que la grande bibliothèque fondée à York par
Egbert, archevêque de cette ville ; elle fut brûlée
avec la cathédrale, le couvent de Sainte-Marie, &
plufieurs autres maifons religieufes, fous le roi Etienne.
Alcuin parle de cette bibliothèque dans fon épître
à l’églife d’Angleterre.
Vers ces tems, un nommé Gauthier ne contribua
pas peu par fes foins & par fon travail, à fonder la bibliothèque
du monafiere de Saint-Alban qui étoit très-
conlidérable : elle fut pillée aufli-bien qu’une autre,
par les pirates danois.
La bibliothèque formée dans le xij. fiecle par Richard
de Burg évêque de Durham , chancelier &
thréforier de l’Angleterre, fut aufîi fort célébré. Ce
favant prélat n’omit rien pour la rendre aufli complété
que le permettoit le malheur des tems ; & il
écrivit lui-même un traité intitulé Philobilbion> fur le
choix des livres & fur la maniéré de former une bibliothèque.
Il y repréfente les livres comme les meilleurs
précepteurs, en s’exprimant ainfi : Hifunt ma-
gifiri y qui nos infiruunty fine virgis & fendis y fine choiera
y fine pecunia : f i accedis , non dormiunt ; f i inqui-
risy non fe abfcondunt • non obmurmurant, f i oberres 3
cuclùnnos nefciunt y f i ignores.
L’Angleterre poffede encore aujourd’hui des bibliothèques
très-riches en tout genre de littérature, &
en manuferits fort anciens. Celle dont on parle le
plus, eft la célébré bibliothèque Bodleiene d’Oxford,
élevée, fi l’on peut fe fervir de ce terme, fur les fon-
demens de celle du duc Humphry. Elle commença j
à être publique en 1602, & a été depuis prodigieu-
fement augmentée par un grand nombre de bienfaiteurs.
On aflïire qu’elle l’emporte fur celles de tous
les fouverains 8c de toutes les univerfités de l’Europ
e , fi l’on en excepte celle du Roi à Paris, celle dé
l’empereur à Vienne, & celle du.Vaticàn.
Il femble qu’au xj. fiecle les Sciences s’étoient.
réfugiées auprès de Conftantin Porphyrogenete ,•
empereur de Çonftantinople. Ce grand prince étoiti
le protecteur des mufes ,, & fes fujets à fon exemple
cultivèrent les Lettres. Il parut alors en Grece plufieurs
favans ; & l’empereur toûjours porté à chérir
les Sciences, employa des gens capables à lui raf-
: fembler de bons livres, dont il forma une bibliothe-,
; que publique, à l’arrangement de,laquelle il travailla
lui-même,,Les chofes furent en cet état, jufqu’à ce
que les Turcs fe rendirent maîtres de Conftantino-
ple ; aufli-tôt les Sciences forcées d’abandonner la.
Grece, fe réfugièrent en Italie', en France 8c en
Allemagne,' où on les reçut à bras ouverts ; & bientôt
la lumière commença à fe répandre fur le refie:
de l’Europe, qui avoit été enfevelie pendant long-:
tems dans l’ignorance la plus grofliere.
La bibliothèque des empereurs, grecs. de-Conftan-
tinople n’avoit pourtant pas péri à la prife de cette
ville par Mahomet II. Au contraire ce fultan. avoit.
ordonné très-exprefféme.nt qu’elle fût çonferVéë, 8c
elle le fut en effet dans quelques, appartenons du
ferrail jufqu’au régné d’Amurat IV. que ce prince,
quoique mahométan peu fçrupuleux, dans un violent
accès de dévotion, facrifia tous les livres de là
bibliothèque à la haine implacable dont, 'ii étoit anime
contre les Chrétiens. C ’eft-là tout ce qu’en put
apprendre M. l’abbé Sevin, lorfque par ordre du roi
il fit en 1729 le voyage de Gonftantinople, dansl’eft
pérance de pénétrer jufque dans la bibliothèque du
grand-feigneur, 8c d’en obtenir des manuferits pour
enrichir celle du Roi.
^ Quant à la bibliothèque du ferrail, elle fut commencée
par le fultan Selim, celui qui conquit l’Egypte *
& qui aimojt lés Lettres : mais elle n’eft çompofé.e
que de trois ou quatre mille volumes, turcs ^arabes,
ou perfans, fans nul manuferit grec. Le prince
de Valachie Maurocordato aVoit beaucoup recueilli
de ces derniers, & il s’en trouve de répandus dans
les monafteres de la Grece : mais il paroît par la relation
du voyage de nos académiciens au Levant,
qu’on ne fait plus guere de cas aujourd’hui de ces
morceaux précieux, dans un pays où les Sciences &
les beaux Arts ont fleuri pendant fi long-tems.
II eft certain que toutes les Nations cultivent les
Sciences les unes plus, les autres moins ; mais il n’y
en a aucune où le favoir foit plus eftimé que chez
les Chinois. Chez ce peuple on ne peut parvenir au
moindre emploi qu’on ne foit favant, du moins par
rapport au commun de la nation. Ainfi ceux qui
veulent figurer dans le monde font indifpenfable-
ment obligés de s’appliquer à l’étude. Il ne fuffit pas
chez eux d’avoir la réputation de favant, il faut l’être
réellement pour pouvoir parvenir aux dignités
& aux honneurs ; chaque candidat étant obligé de
fubir trois examens très-féveres, qui répondent à
nos trois degrés de bachelier , licentié, & doâeur.
De cette néceflité d’étudier il s’enfuit, qu’il doit
y avoir dans la Chine un nombre infini de livres
& d’écrits, & par conféquent que les gens riches
chez eux doivent avoir formé de grandes bibliothèques.
En effet, les hiftoriens rapportent qu’environ deux
cents ans avant J. C. Chmgius ou Xius, empereur
de la Chine, ordonna que tous les livres du royaume
(dont le nombre étoit prefque infini) fuffent brûlés,
à l’exception de ceux qui traitoient de la Médecine
, de l’Agriculture, & de la Divination, s’imaginant
par-là faire oublier les noms de ceux qui l’a-
voient précédé, & que la poftérité ne pourroit plus
parler que de lui. Ses ordres ne furent pas exécutés
avec tant de foin, qu’une femme ne pût fauver les
ouvrages
ouvrages de Mentius , de Confucius furnommé le
Socrate de la Chine, & de plufieurs autres, dont elle
colla les feuilles contre le mur de fa maifon, où elles
refièrent jufqu’à la mort du tyran.
C ’eft par cette raifon que ces ouvrages paffent
pour être les plus anciens de la Chine, & fur-tout
ceux de Confucius, pour qui ce peuple a une extrême
vénération. Ce philofophe laiffa neuf livres, qui
font pouf ainfi dire la fource de la plupart des ouvrages
qui ont paru depuis fon tems à la Chine, & qui
font ii nombreux, qu’un feigneur de ce pays (au rapport
du P.Trigault) s’étant fait chrétien , employa
quatre jours à brûler fes livres, afin de ne rien garder
qui fentît les fuperftitions des Chinois. Spizellus,
dans fon livre de re litteraria Sinenfium, dit qu’il y a
une bibliothèque fur le mont Lingumen de plus de 30
mille volumes, tous compofés par des auteurs chinois
, & qu’il n’y en a guere moins dans le temple de
Venchung, proche l’école royale.
Il y a plufieurs belles bibliothèques au Japon , car
les voyageurs affûrent qu’il y a dans la ville de Na-
rad un temple magnifique qui eft dédié à Xaca , le
fage, le prophète & le légiflateur du pays ; & qu’au-
près de ce temple les bonzes ou prêtres ont leurs appartenons,
dont un eft foûtenu par 24 colonnes, &
•contient une bibliothèque remplie de livres du haut
en bas.
Tout ce que nous avons dit eft peu de chofé en
comparaifon de la bibliothèque qu’on dit être dans le
monaftere de la Sainte -Croix y fur le mont Amara
en Ethiopie. L’hiftoire nous dit qu’Antoine Brieus &
Laurent de Crémone furent envoyés dans ce pays
par Grégoirè X I I I . pour voir cette fameufe bibliothèque
y qui eft divifée en trois parties, & contient
en tout dix millions cent mille volumes, tous écrits
fur de beau parchemin, 8c gardés dans des étuis de
foie. Gn ajoûte que cette bibliothèque doit fon origine
à la'reine de Saba, qui vifita Salomon, & reçut
de lui un grand nombre de livres, particulièrement
ceux d’Enoch fur les élémens & fur d’autres fujets
philofophiques , avec ceux de Noé fur les fujets de
Mathématique & fur le ritfacré ; & ceuxqu’Ab.raham
compofa dans la vallée deMambré,oùiL.enfeign3 la
Philofophie à ceux qui l’aiderent à vaincre les rois
qui avoient fait prifonnier fon neveu Lot, avec le,s
livres de Job, 8c d’autres que quelques- uns nous affûrent
être dans cette bibliothèque, aufli-bien que.les-
livres d’Efdras , des Sibylles, des Prophètes» &: des
grands-prêtres des Juifs, outre ceux, qu’on, fuppofe
avoir été écrit§ par cette reine & par. fon fils Mémi-.
lech, qu’on prétend qu’elle eut de Salomon. Nous
rapportons ces opinions moins pour les adopter, que
pour montrer que de très-habiles gens y pnt donné
leur créance, tels que le P. Kircher. Tout ce qii’ôn
peut dire des Ethiopiens , ç’eft qu’ils ne. fe foucient
guere de ja littérature profane , 6c par conféquent
qu’ils n’ont guere. de .livres grecs ni latins fur des
fujets hiJloriqu.es ou philofopnique(s j çarils ne s’appliquent
qu’à la littérature lacrée, qui, fut d’abord
extraite de livres grecs,, & enfuite traduite clans leiir
langue. Ils font fchifma tiques, & feélateurs d’Eufiy-
chès & deNeftorius. Voye^ Eutyçhiens «S’ N^STOJUENS.
Les Arabes d’aujourd’hui ne connbiffent nullement
les Lettres^ mais vers ,1e x. fiecle y.&.fur-toüt fous Iè
régné d’Almanzor, aucun peuple ne.les cultiy.oit a.yec
plus de fiiccès.qu’eux.
Après l’ignorance qui-régnoit en Arabie.avant.le
tems de Mahomet, le calife Almamon fut le premier
qui fi^ revivre lesSçiençes'chez les Arabes; il fit traduire
en leur langue un grand nombre des livres qu’il
avoit force Michel III, empereur de Çonftantinople,
de lui laiffer choifir de fa bibliothèque & par toùt l’em-
jure, apres l’avoir vaincu dans une bataille. .. 1
lome II,
Le roi Manzor ne.fut pas. moins aflîdu à cultiver
les Lettres. Ce grand prince fonda plufieurs écoles
&C bibliothèques publiques à Maroc , où les Arabes fie
vantent d’avoir la première copie du eo.de de Jufti-
Eupennas dit que la bibliothèque de.Fez eft compo-'
fée de 3 2 mille volumes ; Sc quelques-uns prétendent
que toutes les décades de Tite-Live y font, avec les
ouvrages de Pappus d’Alexandrie, fameux mathématicien
; ceux d’Hippocrate, de Galien & de plufieurs
autres bons auteurs , dont les écrits ou ne font pas
parvenus jufqu’à nous;, ou n’y font parvenus que
très-imparfaits.
Selon quelques voyageurs, il y a à Gaza une autre
belle bibliothèque d’anciens livres, dans la plûpartdef*
quels on voit des figures d’animaux 5?^ des chiffres, à
la maniéré des Egyptiens ; ce qui fait préfumer que
c’eft quelque refte de la bibliothequeçf Âlcxanàne.
Il y a une bibliothèque à Damas, où François Rofa
de Ravenne, trouva la philofophie myftique d'Arif-
tote en arabe, qu’il publia dans la fuite.
On a vû par ce que nous ayons déjà dit, que la bibliothèque
des empereurs grecs n’a point été çonfer-
vée, & que celle des fultans eft très-peu de chofe; ainfi
ce qu’on trouve à cet égard dans Baudier & d’autres
auteurs qui en racontent des merveilles., ne doit point
prévaloir fur le récit fimple & fincere qu’ont fait fur le
même fujet les favans judicieux qu’on avoit envoyés
à Çonftantinople, pour tenter s’il neferoit pas pof-
fible de recueillir quelques lambeaux de ces, précieu-
fes bibliothèques. D ’ailleurs le mépris que les Turcs en
général ont toûjours témoigné pour les Sciences des
Européens, prouve affez le peu de cas qu’ils feroiënt
des auteurs grecs & latins.; mais s’ils les avoient eus
en leurpofleflion , on ne voit pas pourquoi ils au-
roient refufé de les communiquer à la requifition du
premier prince de l’Eurbpé..,
II y avom anciennement, une très-belle bibliothèque
dans la ville d’Ardvil en Perfe, où féfidere'nt les
Mages, au rapport d’OI éar lu s • d a n S fon Itinéraire. La
Boulaye le Goux dit que les habitans'de Sabeâ né fe
fervent que de trois livres, qui font le livre d’Adam ,
celui du Divan, & l ’Alcoran. Un écrivain-jéfuite
allure aufli avoir vû Une bibliothèque fuperbe à Ab
ger.‘; H H . 'V , - , . , : ■ H H H L’ignorance dçs Turcs n’eft pas plus, grande que
n’eft aujourd’hui,celle rdes chrétiens 'grecs', qui ,'ont
oublié jufqu’à.lalangue de leurs perês, l’ancien grec.
Leurs évêques leur défenderif-Ia lechire’ des auteurs
payens, comme fi c’etoit un'crime d’être'favant ; de
forte que fonte leur étude éfl bornée à la lejfture des
a êtes des fept fynpde.sde. Jà Grèce, & dès délivrés de
S. Bafile, de S. Chryfpftome, & dc S. Jean deDamàs.
Ils pnt cependant nombre de bibliothèques, mais, qui
ne contiennent que des manuferits, l’imprèflioh n’éx
tant point en ufâge chez eux.' Ils ont une bibliothèque
fur le mont Athos., êc plûfieufs autres düfil' y à quantité
de manuferits, mais très-peu de livres, imprimés;
Ceux qui voùdrqnt favoir quels font lés manuferits
qu’on a apportés de chez les GrécS'ën 'France,; en
Italie & en Allemagne, &c ceux qui, reftent encore à
Çonftantinople entre lès mains des p a r t ic u lie r s 8c
dans l’île .de Pathmos & les autres îles clé l’Archipël ;
dans le mônafterè dë Sainte Bfifilè^a Câffa., ancien-
nementThéodofia ; 'dans fa Tartârie;Criméè ,‘&‘dàns
lés autres états du gràhd-Turc , peuvènt.sùnftrùire à
fond dans l’excell.ent fraifé dii P. Poffevih', intitulé
appa.ra.tus facer; dans la relation du voyagé que fit
M. ï’abbé Sevin à Côhftahfindpléèn 1^29": 'elle' eft
inférée dans les mémoires de. f académie dès Belles*
lettres yitome V il.
Le grand nombre dès bibliothèques,1 ant publiques que
particulières, qui font aùjoiird’hui un dèsprincipaux
ofnçniens de rÊufopey nous entraîhëroit dans un de* :::