' 3° Les conglomérats de la Drance atteignent une épaisseur de 100m;
ils reposent directement sur les roches anciennes, trias, lias et flysch. ( l)
Ils sont formés en majorité de cailloux de la vallée de la Drance, et
non de matériaux provenant de la vallée du Rhône ; (2) c’est donc une
alluvion de la Drance ou de ses glaciers. Morlot y a découvert en 1857
un lambeau glaciaire intercalé dans les conglomérats d’alluvion ancienne
; comme les conglomérats sont recouverts par des dépôts mo-
rainiques, il a tiré de ce fait une preuve en faveur de l’hypothèse de
deux époques glaciaires séparées par un intervalle pendant lequel
l’alluvion ancienne supérieure de la Drance aurait été formée. Roth-
pletz, (3) Brückner, (4) E. Favre, E. Renevier, moi-même, avons confirmé
cette découverte de Morlot.
M. E. Rrückner a constaté en 1886 que les conglomérats de la
Drance, en assises horizontales dans les parties plus éloignées du lac,
s’inclineraient, à partir du point marqué par le poteau kilométrique 5.2,
en plongeant dans la direction du Léman sous un angle de 20° à 30° ;
il en a conclu que ce sont des alluvions déposées dans un lac, un delta
lacustre, une terrasse lacustre antéglaciaire ou interglaciaire. D’après
cela, le lac Léman aurait eu pendant cette époque, avant la dernière
période glaciaire, un niveau très élevé, à l’altitude du sommet de cette
terrasse, 500 à 530m. Je n’ai pas su voir dans cette localité des faits
aussi décisifs que ceux décrits par mon èxcellent collègue et ami de
Berne; j ’ai reconnu à la place indiquée uné inclinaison des couches
d’alluvion ancienne ; mais elle m’a paru locale et je n’ai pas vu le
développement étendu qu’exige l’hypothèse. Du reste, si le lac Léman
doute que l’observation de Blancbet a porté sur une localité des environs de
Vevey, et que le poudingue dont il parle n’a rien à faire avec l’alluvion ancienne
du signal de Bqugy, mais est du poudingue de La Vaux. —- Cette erreur de
Favre a trompé MM. A. Rothpletz (das Diluvium um Paris, p. 88), A: Penck
(Vergletscherung der deutschen Alpen, p. 276), Brückner (Vergletscherung des
Salzachsgebietes, p. 164) et bien d’autres sans doute;' ce n’est donc pas inutile de
la rectifier.
(3) A. Jaccard. Description géologique du Jura vaudois et neuchâtelois. Matériaux
pour la carte géologique suisse. Livr. VI, p. 22. Berne 1869.
p) E. Favre. Revue géologique suisse pour 1877. Arch. Genève LXI, 213,1878.
(2) A. Morlot. Terrain quartaire du bassin du Léman. Bull. S. V. S. N. VI, 101,
1858.
(3) A. Rothpletz. Das Diluvium um Paris, in. Mém. !S. H. S. N. XXVIII, II, 86,
1881.
(4) E. Brückner. Die Vergletscherung des Salzach-gebietes, etc., 158. Wien 1866.
avait eu, pendant un temps assez prolongé pour justifier les énormes
alluvions de la Drance, une altitude de 500m et plus, nous devrions
retrouver les traces d’une terrasse analogue sur la majeure partie de
ses. anciens rivages. Or je ne vois guère â rapporter que les graviers
décrits par Morlot autour de Cossonay, à une altitude un peu plus élevée,
585m, qui pourraient aussi avoir cette signification. Il semble plus
probable que, soit les graviers de Cossonay, soit 1 alluvion ancienne
du signal de Bougy, soit les conglomérats de la Drance, étaient des
dépôts d’affluents torrentiels latéraux qui, venant se butter contre le
corps du grand glacier du Valais, y formaient des étangs locaux, à
des' altitudes diverses, sans relation les uns avec les autres, analogues
à ceux que nous voyons sur le bord de tant de glaciers.
En résumé, il me paraît que cette alluvion ancienne n’est sûrement
antéglaciaire que dans ses marnes à lignites du canton de Genève. Les
conglomérats et sables de l’alluvion ancienne proprement dite sont ou
interglaciaires, ou contemporains des glaciers voisins qui en apportaient
les matériaux alpins des hautes vallées du Valais, du Chablais ou du
Faucigny.
L’alluvion ancienne étant le terrain le plus ancien que nous connaissions
dans notre pays au-dessus de la mollasse miocène, il est nécessaire
d’en déterminer l’âge paléontologique, afin d éjuger si elle doit
être attribuée aux époques miocène, pliocène ou quaternaire. F.-J. P ictet
a décrit en 1845 les ossements recueillis dans les carrières de gravier
de Mategnin (canton de Genève, entre Meyrin et Fernex); il y a constaté
(*) la taupe,- la marte, le putois, le chien, le rat, le campagnol, le
cochon, le boeuf, le chamois, le mouton (ou chèvre), le crapaud, la
grenouille, le lézard, etc. « Il est évident, » dit-il, « que les animaux
« qui ont peuplé notre vallée à l’époque de ces graviers étaient iden-
« tiques à ceux de l’époque actuelle. » A Favre (2) a recueilli au bois
de la Bâtie une défense d’éléphant qu’il attribue à VElephas antiquus,
Falc. Les restes végétaux de l’alluvion ancienne du bassin du Léman
n’ont pas encore été suffisamment étudiés, Nous n’avons à indiquer
que quelques cônes de Pinus abies L, et une mousse, Hypnum diluvii
Sch., trouvés par Morlot, soit dans les conglomérats de Thonon, soit
(*) F.-J. Pictet. Ossements trouvés dans les graviers stratifiés de -Mategnin. Mém.
.soc. phys. XX, 85. Genève Í846.
(2) Description géol. du canton de Genève, loc. cit. I, p. 96.