Mon second argument n’est pas par lui-même très directement démonstratif.
Je serai entraîné bientôt à le développer et à lui donner une
beaucoup plus grande extension ; pour le moment je le présente dans
sa forme la plus simple et je dis : Un surexhaussement du pays implique
une modification du climat local. La température-, la chaleur
atmosphérique entr’autres, doit être abaissée d’un degré par 150 ou
200m de surélévation. Or, le seul renseignement que la géologie nous
apprenne sur l’histoire de la région des Alpes, dans la période qui
s’étend entre le miocène et les temps modernes, c’est qu’il y a eu alors
l’énorme extension des glaciers de l’époque glaciaire. Un tel agrandissement
des glaciers peut s’expliquer de diverses manières, mais il
n’est pas incompatible avec l’hypothèse d’un surexhaussement des
Alpes. Si nous avions à citer l’apparition de palmiers et de fougères
arborescentes dans notre pays, nous en tirerions une objection irréfutable
; nous y constatons des glaciers plus étendus que ceux de nos
jours, ce qui implique un climat plus froid. Donc le fait d’histoire géologique
qui s’appelle l’époque glaciaire peut être invoqué comme un
argument en faveur de notre théorie de la surélévation du massif des
Alpes, dans la période où s’est fait le creusement définitif des grandes
vallées de nos lacs.
Il est encore un autre ordre d’arguments que je puis utiliser indirectement.
Je les réunirai en un groupe pour abréger. Il y a dans la structure
de nos grandes vallées des faits qui peuvent s’interpréter de diverses
manières, mais qui s’expliquent mieux dans l’hypothèse que
nous étudions que dans toute autre. Ces faits sont en particulier :
a La largeur des vallées principales des Alpes. La plaine du Rhône
de Brigue au Léman, la plaine de l’Aar de Meiringen au lac de Brienz, la
plaine de la Beuss de Am Stag au lac des Quatre-Cantons, la plaine de
la Linth, celle du Rhin, sont de larges vallées à fond plat, recouvert
d’alluvions. Leur structure est très simple si l’on admet qu’elles ont été
autrefois de profondes vallées d’érosion, comblées ultérieurement par
l’alluvion du fleuve principal et de ses affluents. Il est vrai que l’on
pourrait supposer aussi qu’elles n’ont jamais été beaucoup plus profondes
qu’elles ne le sont actuellement, qu’elles ont été élargies par
les divagations latérales du fleuve et que la couche d’alluvion qui recouvre
leur plafond, très peu épaisse, n’est que le résultat de la diminution
de pente du fleuve par suite du prolongement du lit fluviatile, à
mesure qu’il a rempli partiellement le lac dans lequel il se déverse.
Dans l’ignorance où nous sommes du sous-sol de ces vallées, cette
supposition peut être émise ; mais elle nous semble moins-plausible
que la première, * étant connue la solidité générale des assises rocheuses
dans lesquelles ces vallées sont creusées.
b L’absence de seuil rocheux apparent dans le plafond des grandes
vallées i m p l i q u e presque.nécessairement le creusement de ces ravins
à une profondeur beaucoup plus grande que celle que nous voyons
aujourd’hui.
c La présence d’un lac dans la plupart de ces vallées, de deux ou
plusieurs lacs dans quelques-unes d’entr’elles, ne s’explique facilement
que si ces bassins sont des restes non comblés de l’ancien état de
choses de la vallée.
Ces trois faits semblent montrer que les grandes vallées ont été
creusées par l’érosion aqueuse. 11 est vrai qu’ils s’expliquent aussi bien
par la théorie qui admet un soulèvement ultérieur de la partie inférieure
des vallées, qüe par l’hypothèse que nous défendons d’un surexhaussement
de leur cours supérieur à l’époque de leur approfondissement.
Mais nous pouvons constater qu’ils ne sont pas en contradiction
avec notre hypothèse, et par conséquent nous avons le droit de les
invoquer comme arguments en 'faveur de nos idées. Ce ne sont pas
des arguments décisifs, mais des arguments de probabilité.
Je ferai encore appel à un fait de géologie locale, facile à constater
sur la rive vaudoise du Léman ; il semble indiquer que ce qui est aujourd’hui
le bassin du lac a été autrefois une vallée ouverte à l’air libre
à une profondeur plus grande que n’est aujourd’hui la nappe des eaux.
Voici le fait :
Quelques-unes des petites vallées, affluents directs du lac, creusées
dans les terrains mollassiques, montrent sur leur plafond, jusque très
près du lac, des seuils de roche en place, calcaire aquitanien, mollasse,
marne, sur lesquels l’érosion continue à travailler. La Morge, la Pro-
menthouse, la Paudèze, le Flon,le nant du Vangeron sont dans ce cas.
Ce sont des vallées de creusement récent et actuel qui continuent à
s’approfondir jusqu’à ce que leur plafond soit arrivé à la limite de pente
où l’érosion cesse, limite en rapport avec la puissance de leur transport
en temps de crue. Mais d’autres vallées ont une structure toute
différente. Leur plafond est dans leur cours inférieur tout entier dans
l’alluvion ; nulle part on n’y voit de seuil rocheux ; leur pente, relativement
plus douce, ne fait nulle part cascade sur des assises de roche