la ville de Lueerne et au-dessous de cette ville, au lac de Zoug vers la
fabrique de Cham, au lac de Zurich supérieur près de Rapperswyl.
C’est donc toujours à un fait de soulèvement postérieur que Rütimeyer
attribue l’arrêt de l’eau dans les vallées supérieures, transformées en
bassins de lacs ; ce sont tantôt les plis anticlinaux de la mollasse, tantôt
le relèvement local de la mollas.se par certains contreforts jurassiques,
tantôt enfin la masse générale du Jura qui ont formé digue à
travers le cours des vallées. C’est dire que, dans cette théorie, toute la
partie extra-alpine de la plaine suisse et le Jura auraient subi un mouvement
général de relèvement, tandis que les Alpes elles-mêmes seraient
restées immobiles.
A première vue, une telle hypothèse est assez plausible. Nous savons
que la plaine suisse a été considérablement relevée depuis l’époque
miocène; les golfes où se déposait la mollasse marine, et qui
étaient alors au-dessous du niveau de la mer, sont aujourd’hui à des
altitudes de 400, de 800, de 1000m et plus. Nous savons aussi que le
Jura a été soulevé après les Alpes ; tandis que dans les Alpes nous
ne trouvons pas un lambeau de terrains miocènes, nous en trouvons
presque dans chaque vallée de toute la partie nord-orientale
du Jura, au-delà du val de Travers. Je n’ai donc pas d’objection à
attribuer à un soulèvement extra-alpin une partie au moins du
mouvement de bascule qui a rendu stagnante l’eau dans les vallées
subalpines.
Il y à cependant dans cette hypothèse quelque chose dé peu satisfaisant
qui m’arrête. Si l’on donne une telle importance aux soulèvements
locaux pour former les barres qui soutiennent les lacs, pourquoi
des soulèvements analogues ont-üs produit des effets si différents
d’une vallée à l’autre ? Pourquoi le relèvement de la mollasse au bord
même des Alpes, qui aurait constitué les barres des lacs de Thoune,
des Quatre-Cantons, de Zoug et de Zurich supérieur, n’a-t-il eu aucune
action sur la vallée du Rhône? Pourquoi ne trouvons-nous
pas la limite du Léman à l’axe anticlinal de Lausanne ? Pourquoi
ce lac s est-il étendu jusqu’à Genève en traversant presque toute la
plaine miocène ?
Puis je me heurte, en ce qui regarde le Léman, à une grosse difficulté.
C’est la question de la profondeur du lac et, par conséquent, de
la vallée d’érosion dans laquelle il s’est établi. Le plafond du lac est
actuellement à la cote absolue 0 de 62m ; mais cette altitude ne nous
donne pas celle de la vallée primitive, qui était bien inférieure. Chaque
année le Rhône du Valais et les affluents du lac y déchargent leur
alluvion et nous verrons que l’épaisseur de la couche annuelle ainsi
déposée est supérieure à deux centimètres ; chaque siècle, le plafond
du lac s’est relevé de deux mètres ; en trois mille ans, il s’est relevé
d’au moins soixante mètres. Il y a trois mille ans, c’est-à-dire à une
époque où notre lac portait les constructions lacustres de l’âge de la
pierre, où le Léman avait les mêmes niveaux et certainement le même
relief géologique qu’actuellement, à une époque par conséquent postérieure
à l’établissement de la vallée d’érosion primitive, le plafond du
lac était à peu près au niveau de la mer.
Mais, dans l’hypothèse du creusement de la vallée du Léman par
l’érosion aqueuse, le lit du Rhône devait avoir une pente sensible jusqu’à
son embouchure dans la mer. Nous savons qu’à l’époque pliocène
la mer ne remontait pas au-delà de Lyon; que l’embouchure du Rhône
était à une distance de 150km au moins de ce qui est aujourd’hui la
plaine des grandes profondeurs du Léman. Entre ces deux points, le
fond de la vallée du Rhône dans le profil Ouehy-Evian et l’embouchure
à la mer, le fleuve s’écoulait avec une pente continue d’au moins
1 pour mille, probablement 2 pour mille ; 2 °%0 sur 150km représentent
300m. Il est donc nécessaire qu’à l’époque du creusement de la
vallée du Léman, son plafond fût à une altitude d’environ 300m. Or le
plafond du Léman, qui est actuellement à la cote 62m, était, avant son
comblement par les alluvions modernes, au niveau de la mer ou au-
dessous. Donc il y a eu nécessairement, depuis le creusement de la
vallée du Léman par érosion du Rhône, un affaissement local de 300m
ou plus.
Donc il ne suffit pas de trouver, avec Rütimeyer, dans un soulèvement
du côté de Genève, la formation de la barre qui a soutenu le lac, il
faut encore chercher dans un affaissement ultérieur de la région
alpine du lac l’explication de l’altitude actuelle du plafond du Léman.
La même objection se présente avec plus de force encore pour les
C) J’emploierai ici la cote d’altitude absolue 62“, en faisant intervenir la correction
de l’altitude de la Pierre du Niton ; voyez page 22.