un dépôt fait sur le plafond d’une vallée en pente continue depuis les
Alpes. (*) 11 n’y aurait donc pas lieu, pour l’expliquer, à mettre en jeu
les suppositions assez compliquées qui ont été exigées par la nécessité
de lui faire traverser le bassin du lac Léman. Quant aux grands
(•) J’ai souvent entendu énoncer l’idée que les torrents qui s’écoulaient des
grands glaciers de l’époque diluvienne devaient avoir un débit énorme, dépassant
de beaucoup celui des fleuves actuels, ou bien que, à l’époque de la fonte des grands
glaciers, le débit des fleuves qui en sortaient aurait été extraordinairement augmenté.
Cette idée me paraît fausse, ou du moins considérablement exagérée.
Tout d’abord un glacier ne donne pas une moyenne annuelle de débit d’eau sensiblement
plus forte que la même superficie de terrain non recouvert de glace. Les
seules actions en plus que l’on peut invoquer ^ont une condensation un peu plus
forte en neige ou en pluie des vapeurs atmosphériques par le fait du réservoir
glacé permanent qui refroidit plus rapidement l’air, puis la condensation directe
de la vapeur d’eau sur la glace qui n’est pas à négliger (Y. Ch. Dufour et F.-A. Forel,
la condensation de la vapeur aqueuse de l’air au contact de la glace, Bull. S. Y. S.
N. 621. Lausanne 1871; ; mais cela ne doit pas représenter des valeurs énormes. Il
y a cependant une différence, c’est que ce débit, au lieu d’être disséminé dans tout
le cours de l’année, est concentré dans les quelques mois d’été où la chaleur est
assez forte pour fondre la glace. Si en plaine la neige couvre le sol pendant trois
mois, le fleuve évacuera les condensations aqueuses annuelles pèndant neuf mois ;
si en montagne la fusion de la neige et de la glace n’a lieu que pendant les trois
mois d’été, le débit du torrent sera trois fois plus fort; il débitera dans le quart de
l’année ce que dans le cas précédent il débitait dans les trois quarts de la même
période. De même, à l’époque glaciaire, le Rhône qui s’écoulait à St-Maurice, à
Genève, à Bellegarde ou à Lyon avait à peu près le même débit annuel que le
fleuve actuel aux mêmes lieux, car il drainait la même superficie de bassin d’alimentation
; mais cet écoulement s’opérait en quelques mois d’été au lieu d’être
étendu sur la plus grande partie de l’année. De ce fait il y avait exagération de la
crue estivale actuelle, mais il n’y avait pas changement absolu de régime.
Quant à la fusion finale des grands glaciers quand dans leur phase de décrue
ils se sont liquéfiés en eau, elle n’a pas non plus pu donnerlieu à des torrents d’un
débit énorme ; car cette fusion n’a pas pu se faire bien rapidement ; elle a dû être
fort lente. La chaleur latente absorbée par la fusion est considérable, et même le
soleil le plus chaud n’arrive pas à détruire une grande épaisseur de glace. C’est ce
que nous avons fort bien vu dans la grande phase de décrue des glaciers de la fin
du XIXe siècle ; les morceaux de glacier abandonnés par la poussée générale du
fleuve solide dans des coins de vallée où l’apport de nouvelles glaces ne se renouvelle
pas, ce que l’on appelle du glacier mort, se fondent très lentement (glacier du
Rhône, glacier d’Arolla) ; ces blocs peuvent pendant nombre d’années donner naissance
à quelques filets d’eau, mais non à des torrents importants. Pour que cette
fusion sur place ait été la source des fleuves puissants que les géologues invoquent
trop souvent, il aurait fallu une modification subite'du climat, une élévation
soudaine de la température, un relèvement brutal ou violent de la limite des
neiges, qui ne sont pas dans les choses probables.
Les fleuves de l’époque glaciaire ou post-glaciaire étaient à peu près dé mêmes
dimensions que les fleuves actuels dans les mêmes régions ; la concentration en
quelques mois, de leur transport annuel pouvait tout au plus les amener à un débit
estival double ou triple de celui que nous connaissons, mais non à un débit dix
ou cent fois plus fort, comme le voudraient certains auteurs.
gisements, soi disant d’alluvion ancienne, de la Drance et du signal de
Bougy, je les tiens pour des dépôts d’alluvion latérale dans des lacs ou
étangs soutenus par les flancs du grand glacier : ils sont, eux aussi,
de l’alluvion fluvio-glaciaire et non de l’alluvion antéglaciaire.
Cette hypothèse accessoire qui relie l’époque glaciaire au surexhaussement
des Alpes par une relation de cause à effet, est-elle
justifiable? Elle paraît, à première vue, assez plausible pour que je
me hasarde à la livrer aux méditations de mes collègues les naturalistes.
Je n’en fais pas, je le répète encore, une partie intégrante et
nécessaire de ma théorie de la Genèse du Léman. Celle-ci se résume,
en définitive, dans les termes très simples que voici :
Le Léman est un reste non encore comblé d’une vallée d’érosion
creusée par le Rhône du Valais. _ •
La vallée a été poussée jusqu’aux assises qui forment les murailles
du plafond du lac par le fait d’un surexhaussement général du massif
des Alpes.
Ce surexhaussement peut avoir eu une valeur de 500 à 1000m au-
dessus des cotes actuelles d’altitude.
La vallée à pente déclive a été changée en un bassin de lac, avec
contrepente du plafond, par un affaissement ultérieur du massif alpin
lequel a été ramené aux altitudes modernes.C)
Le Léman ainsi formé a rempli la vallée du Rhône depuis le milieu
du Valais près de Sion jusqu’à Genève ; la nappe du Léman primitif
était à la cote 405m à en juger par les terrasses fluvio-lacustres des
bords du lac.
La partie valaisanne du Léman a été comblée par l’alluvion du
Rhône et des torrents latéraux. A mesure que l’extrémité supérieure
(4) J’ai indiqué Ch..Lyell, comme ayant, il y a longtemps déjà, 1863, cherché
dans un affaissement des Alpes l’origine des lacs subalpins. Je dois citer encore ici
M. Th. Jamieson qui vers 1865 est arrivé à peu près aux mêmes idées. Il supposait
que sous le poids des grandes accumulations de glaces de l’époque glaciaire le
pays ainsi surchargé a dù s’affaisser localement pour se relever quand les glaces
ont fondu. Il admettait en plus que dans certains cas le relèvement postérieur pouvait
ne pas avoir lieu, et qu’alors le pays une fois déformé resterait dans ces altitudes
inférieures sans reprendre son élévation primitive. Il appliquait cette dernière
supposition au massif des Alpes, et expliquait ainsi les lacs subalpins, ainsi
que la formation du lo e s s des plaines'du Rhin et du Danube (Th. Jamieson. On
the causes of the dépréssion and reelevation of the land during the glacial period.
Geol. magaz du II, IX 1882.;