venons d’étudier. Je ne veux pas dire que l’on ne puisse en rendre
raison par d’autres théories. Mais, notre hypothèse en donnant une explication
très satisfaisante, nous avons le droit de les invoquer comme
preuves à l’appui de notre théorie de la genèse du Léman.
Le Petit-lac. Si nous étudions la carte hydrographique des lacs de
Thoune, de Brienz, de Wallenstadt, du Bourget, nous constatons que
leur bassin est formé d’un seul jet, que leur profondeur décroît régulièrement
depuis la plaine de profondeur maximale jusqu’au pied du talus
des deux extrémités. On peut dire que c’est là le type d’un lâc normal.
Il en serait de même du Léman s’il se terminait à Yvoire et Promen-
thoux ; le bassin du Grand-lac est aussi régulier que celui des lacs su s -.
nommés. Mais le Léman ne s’arrête pas à Yvoire ; il continue jusqu’à
Genève. Il a, sous forme d’un appendice, le Petit-lac dont la structure
est toute différente. Plus étroit : la largeur du Grand-lac étant de 10 à
13km, elle descend dans le Petit-lac à 4 ou 4.5km ; moins profond : la
profondeur diminue notablement au-delà de la barre de Promenthoux,
et ne dépasse pas 75m devant Nyon ; moins régulier : dans le Petit-lac,
au lieu d’un bassin unique nous trouvons une série de cuvettes, très
peu profondes il est vrai, presque planes, séparées par des barres peu
saillantes, mais assez évidentes cependant pour que nous puissions en
décrire trois ou quatre jusqu’à Genève.
Ces différences sont assez marquées pour que tous les auteurs aient
cherché au Petit-lac une origine différente de celle du Grand-lac.
Favre et Desor en faisaient un lac de vallon (lac orographique de vallée
synclinale) ; Brückner un lac d’érosion glaciaire tardive ; Rütimeyer
un lac d’érosion secondaire creusé après le soulèvement du Mormont
et après l’ouverture de la cluse du Vuache ; (L) moi-même, en complétant
l’hypothèse de Rütimeyer, j’en aurais fait un lac d’érosion de
l’Arve, si j ’avais pu admettre que le Rhône se fût, à l’époque du grand
creusement du lac, écoulé dans la direction du lac de Neuchâtel.
Si je reprends mon hypothèse fondamentale, qui fait du Léman une
partie affaissée consécutivement de la vallée d’érosion d’un Rhône qui
allait se jeter dans la Méditerranée en passant par Bellegarde, j’ai à
expliquer les différences de structure entre la partie occidentale du
Petit-lac et le Grand-lac. Pourquoi le bassin unique et uniforme du
(i) Notons à ce. sujet que le fond actuel de la cuvette de Nyon dans le Petit-lac est
de quelques mètres inférieur en altitude au seuil actuel de Bellegarde qui est à
309” au-dessus de la mer, dé 65“ inférieur au seuil de Vernier, altitude 364“ .
Léman ne s’est-il pas continué sans modifications jusqu’à Genève? J’ai
deux explications à proposer :
Ou bien j ’invoquerais des irrégularités dans l’affaissement de la vallée
à la limite extérieure de la zone alpine. S’il y a eu, comme je le
suppose, un affaissement général du massif alpin, il serait très compréhensible
que, sur les bords de la région affectée p ar ce m ouvement, il y
ait eu des ruptures, des fractures, des inégalités, et que le plafond de
la vallée y ait perdu la régularité qu’elle possède ailleurs.
Ou bien je ferais appel à un comblement ultérieur de la vaEée par
des dépôts glaciaires, consécutivement au creusement par érosion de
la vaUée, consécutivement au mouvement d’affaissement qui l’a transformée
en lac. Cela me paraît mieux cadrer avec les faits connus : avec
ce que nous voyons sur te rre ferme où les énormes dépôts d’alluvion
morainique du signal de Bo’ugy et d’Evian-Thonon forment les deux bras
d’un gigantesque fer à cheval dont la barre de Promenthoux représenterait
la partie transversale; avec la nature morainique du sol que j ’ai
constatée au milieu de la barre de Promenthoux,.devant Yvoire; avec
la nature évidemment morainique de certaines barres du fond du lac
des Quatre-Cantons, barre du Kindli-mord, barre des Nases.O II y
aurait eu, dans la grande phase de décrue de la période glaciaire multi-
séculaire, un temps d’arrêt, une poussée en avant ou un état station-
naire prolongé du glacier, pendant lesquels se seraient déposées
des moraines frontales, en retraite les unes sur les autres. De là les
inégalités du sol du Petit-lac et les cuvettes successives de son bassin.
N’allons cependant pas trop loin. Les barres qui séparent les.
diverses cuvettes du P e tit-la c sont extrêmement peu sablantes et
n’ont en rien la forme de moraines ; s’il y a eu réellement là des moraines,
celles-ci sont cachées sous une couche puissante d’alluvion
lacustre qui en masque complètement le relief.
Entre ces deux explications je penche plutôt vers la seconde. L’une
et l’autre me paraissent suffisantes pour rendre compte des faits, et ne
pas demander de plus longs développements.
Dates géologiques de la genèse du Léman. Ce que nous avons exposé
longuement dans le cours de ce chapitre nous permettra d’être
(*) F.-A. Forel. Carte hydrographique du lac des Quatre-Cantons. Arch. Genève,
XYI, 5 sq. 1886.c