sur le régime du lac. Cela est juste. De ce fait on doit s ’attendre à
une plus grande irrégularité dans les allures du Rhône à son entrée
dans le Léman ; ses crues auront une moins grande durée et par conséquent
seront plus accentuées ; sur un tracé graphique, les dentelures
de ces crues seront plus aiguës et plus élevées. Le même effet doit
se produire sur le lac et nous devons reconnaître une probabilité de
l’exagération des valeurs des maximums, comme résultante des endi-
guements du Rhône.
Mais si 1 endiguement du Rhône peut amener un plus rapide écoulement
des eaux, il ne saurait occasionner une augmentation de leur
volume; le môme volume d’eau est apporté au Léman quelques heures
plus tôt, mais c’est la même quantité. Par conséquent, si à côté d’une
surélévation des maximums du lac nous trouvons une surélévation
générale des eaux estivales, cette interprétation sera insuffisante. Or
c’est ce que nous constatons sur notre tracé R de la figure 41 (')• Nous
y voyons la moyenne de hauteur des quatre mois d’été suivre pendant
la période en question, 1860-1880, la même ascension en hauteur que la
courbe des maximums. Il y a donc eu plus grande accumulation d’eau
dans le lac et non pas seulement apport plus rapide de la même quantité
d eau. L hypothèse ne suffit donc pas, à ce que nous croyons, à
expliquer les faits.
3e h y p o th è s e . On a attribué les hautes eaux de la période de
1860-1880 au déboisement des montagnes du Valais. Si le Valais avait
été réellement déboisé à cette époque, il y aurait eu là effectivement
la cause d’un apport plus brusque et plus rapide des eaux de pluie et
changement du régime des affluents et par suite modification du ré gime
du Léman. Mais le Valais est-il réellement déboisé ? Je laissé la
réponse à ceux qui connaissent ce beau canton. Voici du reste quelques
notes extraites d’un rapport de M. A. de Torrenté, inspecteur
cantonal des forêts du Valais, en date du 2 juin 1881 : « Dans la période
des années 1830 et 1840 les exploitations de bois eurent lieu en blanc
estoc ; il en est résulté des déboisements assez accentués, notamment
dans les vallées de la Saltine et d’Anniviers. Mais en 1850, la loi forestière
entra en vigueur ; elle a immédiatemeut fait cesser les coupes
blanches... depuis environ trente ans, if ne peut plus être question de
déboisement. Les forêts dénudées antérieurement sont maintenant
en grande partie reboisées, soit naturellement, soit artificiellement.
Les incendies de forêts ont aussi exercé des ravages sur le flanc de
nos montagnes ; les dégâts les plus considérables ont eu lieu au-dessus
de Varonne et de Rarogne; mais ces parties dénudées ne fournissent
pas une goutte d’eau au Rhône, même par les plus fortes pluies. Du
reste, même dans ces terrains ingrats, le reboisement s ’opère avec
assez de succès. » M. de Torrenté montre ensuite que les plus fortes
inondations du Rhône sont dues à la fonte violente des neiges et des
glaciers par le föhn; c’est ainsi que l’inondation de 1860 a été due à la
fonte des neiges de la vallée de Oonches et de la vallée de Binn,
celle de 1868 à la fonte des neiges et à une trombe d’eau dans les
vallées de Saas et de St-Nicolas. Ces vallées sont les vallées les mieux
boisées du Valais.
Le domaine forestier du Valais représente le 12% du territoire du
canton, par conséquent une superficie d’environ 630km2. (i)
4 e h y p o th è s e . Une autre explication de la hauteur extraordinaire
du Léman de 1860 à 1880 a été proposée par M. H. de Saussure ;(2)
elle est fort spécieuse et mérite d’être considérée attentivement. M. de
Saussure cherche à rendre compte du changement constaté dans le
régime du lac de 1806 ou 1820 à 1860 d’une part, et de 1860 à 1880
d’autre part, et il l’attribue aux variations des glaciers du Valais. De
1820 à 1860, dit-il, les glaciers ont été en crue, ils ont emmagasiné de
l’eau sous la forme de glace; ils ont plus accumulé de neige que la
fonte annuelle n’en a détruit ; l’eau envoyée au Léman a dû être, de ce
fait, réduite. De 1860 à 1877 les glaciers ont été en décrue; ils ont plus
livré d eau qu’ils n’en ont reçu de l’atmosphère; leurs affluents doivent
avoir été augmentés d’autant. Les hautes eaux du Léman de 1860 à
1880 seraient donc causées essentiellement par une fonte extraordinaire
des glaciers du Valais.
Il y aurait bien des objections de détail à opposer à. cette théorie.
Je pourrais montrer qu’à un état d’avancement extrême des glaciers
ne correspond pas toujours un état de basses eaux du lac; qu’au contraire,
pendant les années 1816 et 1817, où le lac a été exceptionnellement
haut, tous les glaciers du Valais, si l’on en croit les rapports de
l’époque, étaient en état d’ailongement extraordinaire.
(J) Bwlvpsch- Schweizerkunde, p. 498. Braunschweig, 1875.
(2) La Question du lac, p. 30 sq. Genève 1880.