de la falaise. J’ai vu des administrations communales commettre l’imprudence
de laisser enlever les pavés protecteurs au pied de certaines
falaises des bords du lac, et, après ce crime de lèse-nature, j ’ai
constaté que l’érosion gagnait considérablement sur la te rre ferme.
Cependant le pavé protecteur n’est pas à l’abri de toute attaque des
vagues. Il n’arrête l’érosion que dans les parties qu’il recouvre ; ses
bords ne sont pas protégés. En effet, autour de l’un de ces pavés, la
grève est érodée ; au devant, sur les côtés, elle est creusée, et la partie
protégée par le pavé reste sur un monticule d’où elle domine les parties
plus basses qui l’entourent. Dès ce moment, il est lui-même attaqué.;
il se produit sur son pourtour une petite falaise d’éboulement, et
ses bords s’effondrant par couches successives, le pavé est dissocié,
le monticule érodé.
Mais le pavé se reformera de lui-même à un niveau inférieur ; les
pierres qui le constituaient ne sont pas disséminées ; elles restent sur
place, elles sont en nombre suffisant pour se toucher- toutes bout à
bout; le pavé se rétablira donc au niveau, provisoire ou définitif,
acquis par le sol autour de lui. Une fois le pavé reformé, l’érosion
sera temporairement arrêtée dans la partie qu’il protège. La fig. 28
(Fig. 28.) Pavé d’une ténevière, en voie de reconstitution à un niveau inférieur.
représente le procès d’affaissement progressif d’un pavé protecteur
dans la beine. La ligne aa désigne la nappe des eaux, la ligne ponctuée
bb l’ancien niveau du sol, cc le pavé non encore disloqué, dd les
petites falaises sous-aquatiques qui attaquent latéralement le pavé
et le désagrègent, ee le pavé reconstitué à - son niveau inférieur,
f f la nouvelle surface du sol. Ce procès se répétera jusqu’à ce que
parties protégées e t parties non protégées soient descendues à un
niveau tel, que les vagues n’agissent plus sur le sol. Au milieu de la
beine d’érosion, l’on trouvera donc des monticules recouverts d’un
pavé continu, souvenirs de l’ancien rivage /Steinbergj.
Je connais en plus d’une localité près de Morges, soit dans le golfe
de la Poudrière, soit dans le golfe de Préverenges, des amas de pierres
formant au milieu de la beine des monticules allongés, parallèles à la
rive, s’élevant de quelques décimètres au-dessus du sol vaseux ou
sableux qui les entoure. Ces amas de pierres ne sont autre chose que
les anciens pavés de la grève, descendus par suite de l’érosion jusqu’au
niveau général de la beine. Ils sont des témoins de la position de
la rive dans les temps anciens ; on ne les trouve que dans la beine
d’érosion ; ils ne peuvent exister dans la beine d’alluvion.
J’appelle ces monticules de pierre des ténevières naturelles en leur
appliquant le nom local du lac de Neuchâtel, donné par M. E. Desor
aux monticules pierreux qui portent les ruines des pàlafittes. (*)
Dans un paragraphe ultérieur, je décrirai la genèse des ténevières
artificielles des palafittes, et-je ferai la différenciation entre ces deux
ordres de monticules.
5. De l’alluvion.
L’alluvion est l’action opposée à l’érosion. L’alluvion est le dépôt
des matériaux solides enlevés au sol par l’érosion. Le phénomène peut
se résumer dans, les faits suivants :
Il y a alluvion chimique lorsque les matériaux dissous dans l’eau
se précipitent sous forme cristalline ou sous forme amorphe et se
déposent au fond de l’eau. Nous constaterons que ce mode d’alluvion,
très actif dans d’autres eaux, est d’effet presque nul dans le lac Léman.
C’est à peine si nous pouvons en trouver traces dans les dépôts tufeux
des algues incrustantes, dans quelques rares localités du lac.
Il y a alluvion mécanique lorsque dés corps en suspension dans
l’eau se déposent sur le fond. Toutes choses égales d’ailleurs, plus
le corps étranger est dense, plus il est volumineux, plus sa forme se
rapproche de celle de la sphère, plus sa chute est rapide, et plus vite
l’alluvion se dépose sur le fond. Par conséquent, les alluvions grossières
sont localisées à une faible distance de leur point de départ, les
alluvions impalpables peuvent être disséminées au loin.
Dans un lac comme le nôtre, les circonstances qui occasionnent
l’alluvion sont en général :
a L’existence de poussières impalpables en suspension dans l’eau.
Que ce soit l’eau trouble des affluents apportée, dans le lac et diva-
(i) E. Desor. Les palafittes, p. 10, Paris 1865.