an (?) à Noville, accroissement nul à Villeneuve. Les faits historiques
nous indiquent un allongement lent, très lent, presque insensible de la
plaine du Rhône. (*)
De la lenteur extréme de cet allongement du delta du Rhône, devons
nous conclure à une durée infiniment prolongée de la période
qui s’est écoulée depuis l’origine du Léman primitif? Le Léman primitif,
nous supposons qu’il remontait jusqu’à la Morge de Conthey,
soit à 55km en amont de la tète du Léman moderne; la progression du
delta actuel étant très lente; faut-il admettre que le comblement de ce
lac valaisan a nécessité une durée énorme? Je ne le crois pas. L étude
de la carte du lac nous instruira dans cet ordre de spéculation.
La carte du lac nous montre que les cônes d’alluvion sous-lacustre
des affluents de brève longueur, des affluents torrentiels qui entrent
directement dans le Léman, sont de forte inclinaison et se prolongent
peu dans le lac. Donc l’alluvion grossière que ces rivières charrient se
dépose sur la grève du delta et s’éboule ensuite sur les flancs du
talus. La carte du lac nous m ontre que le cône d’alluvion sous-lacustre
du Rhône, fleuve à long cours, se prolonge très loin dans le lac avec
une pente très faible qui s’étend jusqu’à la plaine centrale. Donc le
sable et l’alluvion impalpable du Rhône sont entraînés en plein lac et
se déposent, non sur la grève, mais dans les grandes profondeurs. En
termes plus précis on peut dire que les affluents torrentiels font dans
le lac un c om b lem e n t l i t t o r a l d ’a l lu v io n g r o s s i è r e , que
le fleuve alpin fait un c o lm a ta g e c e n t r a l d ’a llu v io n im p a lp
a b le .
La différence est très sensible. D’où provient-elle? Le Rhône est un
fleuve puissant ;, en crue d’inondation, il charrie une masse énorme
d’eau, avec une grande vitesse. Ne serait-il pas capable de transporter,
lui aussi, de l’alluvion grossière comme le font les torrents alpins?
Certainement oui. La preuve en est qu’à son embouchure nous trouvons
encore des galets assez forts, du volume d’un oeuf, du poing,
fi) Des faits très analogues sont constatés à l ’embouchure du Rhin dans le lac
de Constance ; le rtllage d’Altenrhein sur la rive gauche, ceux de Gaissau, St-
Johann-Hôchst, Fussach sur la rive droite, sont cités dans un document du IX6
siècle. Aujourd’hui Altenrhein est à 100“ dans l’intérieur des terres, Fussach est
au bord du lac. Max Bonsell. Der Bodensee, hydrologische Studie, p. 19. Stuttgart,
1879.
d’une tête d’enfant; c’est de l’alluvion grossière qui ne peut être entraînée
en plein lac, qui reste sur la grève ; c’est elle qui forme le banc
de sable immergé de la bouche du Rhône. Mais cette alluvion grossière
est peu abondante ; elle ne représente qu’une part minime du transport
du fleuve, la grande majorité consiste en alluvion impalpable.
Pourquoi cette rareté de l’alluvion grossière, quand une foule de
torrents alpins à gros débit caillouteux se déversent dans le Rhône?
pourquoi leurs galets n’arrivent-ils pas jusqu’au Léman? S’accumuleraient
ils à l’embouchure des affluents ; resteraient-ils en route ? Mais,
si cela était, le lit du fleuve s’exhausserait constamment, et toutes les
tentatives de correction et d’endiguement n’épargneraient pas à la
plaine du Valâis des submersions progressives, inévitables. — Les
galets amenés dans le Rhône par les torrents alpins sont entraînés par
le fleuve ; mais ils disparaissent en route. Ils sont usés par leur frottement
réciproque les uns contre les autres ; ils sont usés par le frottement
du sable en suspension dans l’eau ; ils s’amenuisent tellement
en route qu’après un certain parcours ils sont réduits à l’état de sable
et de poussière impalpable. Tout fleuve à cours suffisamment long ne
charrie plus que du sable ; si, dans son lit, nous trouvons encore des
graviers ou des galets, ils proviennent d’affluents latéraux à court
trajet, se déversant dans le fleuve à faible distance de là. Les galets et
cailloux de l’embouchure du Rhône ne viennent nullement des puissants
torrents alpins du haut-Valais ; la Massa, la Viège de St-Nicolas,
la Borgne, laDranse, les torrents de l’IUgraben ou de St-Barthélemy
n’envoient au Léman les cailloux qu’ils charrient que lorsqu’ils ont été
réduits à l’état de poussière'impalpable ; les galets des bouches du
Rhône viennent de la Grande-Eau, peut-être encore de la Viège du val
d’IUiez, de la Grionne et de l’Avençon.'
Il en résulte que tout le comblement littoral du Rhône, tout ce qui fait
avancer le delta du fleuve vient de ces derniers petits affluents latéraux,
de faible puissance, de faible transport ; que la plus grande partie de
l’alluvion charriée par le Rhône produit le colmatage central du lac.
De là la raison toute naturelle de la lenteur actuelle de la progression
du delta.
De ces faits on peut tirer une loi générale.: A m e s u r e q u u n
fle u v e s ’a l lo n g e p a r le d é v e lo p p em e n t de s o n d e l ta , la
v i te s s e d e c e t a l lo n g em e n t s e r a l e n t i t . La progression du
delta est rapide quand il n’est encore que peu éloigné des affluents