dans la plaine du bas Rhône, dans le bassin du Léman, ne formait
pas une masse constamment congelée.
A la seconde objection qui se rapporte à la congélation hivernale de
la moraine profonde dans les régions terminales du glacier, voici ce
que je répondrai : en hiver, la moraine profonde ne peut former une
masse compacte de glace qui se souderait au glacier ; en effet, l’eau
qui l’imbibe en été, l’eau intersticielle, la nappe d’eau souterraine, le
Grundwasser, disparaît, s’écoule, s’abaisse à mesure que la fusion se
ralentit. En été, par un jour de grande chaleur, la moraine profonde
est pénétrée d’eau ; l’eau suinte de toutes p a rts, déborde sur tout
et partout ; mais après quelques journées de froid, la liquéfaction s’arrêtant,
l’eau s’écoule, et la moraine profonde s’asséche. Je ne prétends
pas qu’elle ne reste pas humide — il n’y a pas d’évaporation dans ces
cavernes sous-glaciaires — mais la nappe souterraine s’abaisse ; l’eau
d’imbibition s’est écoulée. En hiver, quand la gelée pénètre sous le
glacier, la moraine profonde est presque sèche ; les grains du gravier,
du sable humide, se collent bien les uns aux autres, par des ponts
minuscules de glace entre les parties contiguës. Mais cela ne forme
pas une masse homogène, compacte de glace, et la première poussée
du glacier réduira en poussière cette masse sans ténacité ; elle est
incapable de résister à la pression, d’entraîner avec le glacier les éou-
ches sous-jacentes. La prise en masse de la moraine profonde et
son union en un bloc de glace faisant corps avec le glacier ne seraient
possibles que si l’eau y était stagnante, s’il y avait formation d’une
cuvette, d’un bassin, sous le glacier. Mais celle-ci n’aurait pu se
former que si l’érosion avait été puissante et souveraine, comme le
veulent les excavationnistes, que si la moraine profonde, entraînée
flans toute son épaisseur, avait excavé la roche en place. Il y a là
cercle vicieux : D’une part, le glacier ne creusera pas de cuvette tant
que la moraine profonde ne sera pas entraînée par le glacier ; d’une
autre part, le glacier n’entraînerait la moraine profonde que si la
cuvette avait été excavée. Il m’est impossible de voir là les conditions
indispensables pour l’excavation des grands bassins de nos lacs subalpins
; je ne puis comprendre par de tels procédés le creusement du
bassin du Léman.
Les excavationnistes répondent à cette objection : « le glacier refoule
les matériaux triturés et les fait'remonter par dessus la barre du bassin
qu’il a creusé ; la moraine profonde accumulée dans la cuvette est
évacuée par deux procédés :
a A l’état d’alluvion impalpable tenue en suspension dans l’eau qui
forme le lac sous le glacier; ce lac est constitué par de l’eau trouble;
l’alluvion fine reste en suspension dans l’eau qui surmonte la barre,
et l’émissaire l’emporte par dessus celle-ci.
b A l’état de masSe plastique. Ün corps lourd pressant sur la couche
plastique sur laquelle il repose r - un boulet de canon posé sur l’argile
imbibée qui remplit une cuvette ’---j chasse de tous côtés cette couche
molle, et la fait sortir par dessus les bords. »
, A ces deux hypothèses, je réponds :
A la première : Si sous le glacier il existait des cuvettes remplies d’eau
trouble, celle-ci déposerait de l’alluvion dans les crevasses baignées
par ce lac sous-glaciaire et, au front du glacier, là où le fond des crevasses
vient à nu par la fusion destructive de la glace, nous trouverions
des couches stratifiées, rèconnaissables dans ces cavités. Je ne connais
rien qui se rapporte à cela.
A cette première hypothèse je ferai une autre objection. Admettons
ce lac sous-glaciaire rempli d’une eau trouble qui s’écoulerait p ar dessus
la digue de soutien. Nous devons nous demander d’où proviendrait
l’alluvion suspendue dans cette eau : elle viendrait certainement
du torrent glaciaire qui, suivant le thalweg supérieur, se jetterait dans
le lac sous le glacier ; elle ne viendrait pas, ou ne viendrait que pour
une portion minime seulement, de la moraine profonde de la cuvette
du lac sous-glaciaire. En effet, pour que l’eau se charge d’alluvion, ü
faut qu elle soit courante ; il faut qu’elle érode des masses meubles,
préalablement ■'déposées, il faut qu’elle les dissocie pour les prendre en
suspension. Or, l’eau dans un lac sous-glaciaire est relativement stagnante
, elle ne doit pas s’y charger d’alluvion ; elle doit, au contraire,
en déposer. Quant aux mouvements du glacier qui, bousculant la
moraine profonde, pourraient jusqu’à un certain point amener un
délayage de ,ses couches argileuses, ils sont si lents, quelques décimètres
par jour, que cette action doit être très faible. Quand aux courants
qui, je le reconnais, doivent exister dans la masse stagnante du
lac sous-glaciaire pour faire passer l’eau d’une crevasse à l’autre, ils
doivent circuler essentiellement entre des murailles de glace et par
conséquent très peu attaquer le sol.