
d’une puissance extraordinaire, amènent en quelques heures des
masses énormes de matériaux rocheux, caillouteux et boueux; le cône
gigantesque du Bois-Noir est la preuve de l’intensité de ce transport.
Dans la catastrophe du 26 août 1835, le Rhône „entraînait ces matériaux
à mesure de leur apport et les disséminait sur son lit ; quand
cette masse boueuse tombait directement dans le Léman valaisan, elle
l’a probablement bientôt encombré d’un barrage, qui l’a divisé en
deux lacs : le lac de Martigny arrivant jusqu’au Bois-Noir, le lac inférieur
commençant au-dessous du barrage. La grosseur des pierres qui
encombrent le lit du Rhône au Bois-Noir-fait que le rapide est beaucoup
plus incliné que ne le sont les barres d’alluvion qui séparent les
lacs de Brienz et de Thoune, ou de Wallenstadt et de Zurich. La différence
de niveau entre les deux lacs était de 20 à 25m.
Une fois le Léman ainsi séparé en deux lacs, lè lac supérieur, qui
était le moins profond et le moins large, et qui recevait toutes les allu-
vions du Rhône, de la Dranse, du Trient, rivières • glaciaires, et de
nombreux torrents accessoires, n’a pas tardé à se combler. Plus tard
seulement est venu le remplissage de la partie orientale du lac inférieur,
jusqu’à la passe de St-Maurice d’abord, puis jusqu’aux embouchures
des divers torrents de la plaine du Rhône, puis enfin jusqu’à la
rive actuelle du lac.
Nous avons des exemples de ce sectionnement d’un lac en bassins
échelonnés dans les lacs de Brienz et de Thoune, déjà nommés, dans
le petit lac de Mezzola, déjà séparé du Lario par les alluvions de
l’Adda, dans le lac Majeur, où le cône de la Maggia séparera dans
quelques siècles le lac de Locarno du Verbano; ou encore au lac des
Quatre-Cantons, où les alluvions de la Muotta forment une barre
sous-lacustre actuellement à 93m de profondeur, séparant les deux
bassins supérieurs du lac, l’un profond de 200m, l’autre de 214m.
Si cela est, des puits forés dans la plaine du Rhône, aussi bien dans
celle d’Aigle que dans celle de Martigny, traverseraient d’abord des
couches peu inclinées d’alluvion fluviale ou torrentielle, puis au-dessous
des couches horizontales d’alluvion lacustre, et arriveraient enfin
à la roche en place sur le lit primitif de la vallée. Ces mêmes forages
pratiqués à l’embouchure des affluents latéraux du lac valaisan ne
toucheraient que tout au fond une couche très faible d’alluvion lacustre
; avant d’y arriver ils traverseraient, au-dessous des couches peu
inclinées de l’alluvion fluviale déposées à l’air libre, les couches très
inclinées de ces mêmes alluvions déposées dans le lac, sur le talus des
deltas submergés du lac primitif.
En même temps que s’accomplissait ce procès de comblement, un
autre événement avait lieu .qui tendait, dans un autre sens, à modifier
le Léman. L’étude des terrasses lacustres sur les rives du lac nous a
montré qu’à l’origine, peu de temps après l’époque glaciaire, — le
mammouth et le renne vivaient encore -chez nous, — le niveau du lac
était à une hauteur fort supérieure au niveau actuel. Les terrasses fluvio
lacustres des Tranchées de Genève, du Boiron de Morges, etc., sont
à la cote actuelle de 405m. Une terrasse moyenne, à 385m, se montre
en quelques endroits ; le niveau du lac est aujourd’hui à 375m. Par des
phénomènes dont le détail nous est inconnu, mais que nous pouvons
attribuer à l’érosion, l’émissaire du lac abaissait son niveau et la nappe
du Léman descendait, après quelques stades intermédiaires, de 30m
environ. Il est difficile de préciser l’époque où s ’est passe cet événement
; tout ce que nous pouvons dire, c’èst qu’il s’est écoulé un temps
assez considérable depuis l’origine du lac jusqu’à la chute de son niveau,
car les terrassés lacustres de 30m ont une fort grande étendue
et un volume considérable de remblai. D’un autre côté, il y a fort
longtemps que ce fait s ’est passé, car c’était avant l’époque archéologique
de l’âge de la pierre néolithique. Jusqu’où s’étendait encore le
Léman valaisan, quelle partie en avait déjà été comblée lorsque est
survenue cette crise dans l’histoire du lac? Nous ne le saurions que
s’il était possible de faire une tranchée en longueur des alluvions de la
vallée du Rhône, et d’en étudier la superposition des couches e t des
niveaux. Gela ne nous sera jamais donné. Nous devons donc nous ré signer
à notre ignorance à cet égard. Heureux serions-nous si quelque
découverte ou trouvaille géologique arrivait à confirmer, corriger ou
remplacer les suppositions et déductions auxquelles nous en sommes
réduits aujourd’hui.
Nous retrouvons une plaine analogue à la plaine du Rhône valaisan
dans la partie inférieure de toutes les vallées des Alpes qui aboutissent
aux lacs subalpins, plaine de l’Aar, plaine de la Reuss, plaine de la
Limmat, plaine du Rhin, plaine du Tessin, de TAdda, etc. ; nous en
constatons de même dans les vallées où les lacs manquent actuellement,
mais où nous pouvons supposer qu’ils ont existé autrefois et
ont été comblés, vallées de l’Arve, de l’Isère, de l’Adige, etc. L’origine
de ces diverses plaines doit s ’expliquer de la même manière que nous