doit , être un fait géologique relativement temporaire ; — les faits temporaires
en géologie peuvent durer des siècles, cela est vrai. — Au
contraire, un barrage dû à l’alluvion d’un torrent est un fait permanent,
qui se rétablit aussitôt qu’il a été accidentellement détruit par
l’érosion; chaque crue apporte de nouveaux matériaux. Les conditions
locales, en s’altérant, peuvent bien le modifier, amener quelques changements
en plus ou en moins, le déplacer de quelque peu ; mais c’est
un fait relativement constant et de grande persistance ; tant que la rivière
se déversera dans le fleuve, elle y apportera son alluvion. C’est à
cette persistance et permanence que j ’attribue la grande importance
de ce fait géologique des barrages torrentiels, valeur démontrée par
son apparition à la sortie de tous nos grands lacs.
Il est probable que les phénomènes de soulèvement et d’affaissement
du sol ont été dominants dans l’établissement de la digue originelle
qui a arrêté les eaux des fleuves alpins et les a transformés en
lacs. Mais ces digues n’ont été que temporaires, et elles n’ont persisté
que là où elles ont été soutenues et complétées par des barrages
d’alluvion, phénomène permanent, parce qu’il se rétablit sans cesse.
La sortie des lacs était à l’origine au point de soulèvement relatif ; elle
s’est déplacée pour s’établir définitivement au point où l’alluvion d’un
torrent latéral a constitué une digue persistante. Si je ne fais pas trop
grave erreur dans le développement de mon hypothèse sur la genèse
de notre lac, je suis donc fondé à placer l’extrémité inférieure du Léman
primitif à la limite de la région d’affaissement du massif alpin', en
un point à nous inconnu, probablement entre Genève et Bellegarde,
peut-être près du moulin de Vernier, et à la remplacer ultérieurement
par le barrage actuel, formé p ar les alluvions de l’Arvè qui se déversent
dans le lit du Rhône.
Phase de comblement dn lac. Je serai bref sur cette phase
de l’histoire du lac; elle ne présente aucune difficulté. Nous aurons
cependant à y distinguer deux actions différentes : l’une le comblement
du lac par les alluvions fluviales, l’autre l’abaissement de la
nappe du lac.
Nous sommes en présence d’un Léman qui remplissait toute la vallée
du Rhône, depuis.Sion jusqu’à Genève; sa profondeur, nulle à
l’extrémité orientale, allait en augmentant jusqu’à un point à nous
inconnu, pour diminuer ensuite jusqu’au seuil de l’émissaire. Sa largeur
était en Valais celle de la vallée du Rhône, dans la plaine suisse celle
du Léman actuel. Il ne possédait qu’un seul golfe un peu considérable
qui remplissait le bas de la vallée de la Dranse de Martigny et quelques
petits fiords dans les vallées de la Venoge, l’Aubonne, la Drance
de Thonon, etc. A son extrémité orientale se versait le Rhône, fleuve
glaciaire dont les eaux estivales charriaient une grande charge d’alluvion
; sur ses flancs se jetaient des rivières et torrents, la Lizerne, la
Dranse de Martigny, le Trient, l’Avençon, la Grionne, la Viège du val
d’Illiers, la Grande-Eau, plus tous les affluents actuels du lac. Tous
apportaient leur alluvion dans le lac et travaillaient chacun pour son
compte à le combler.
Le plus- actif, de beaucoup le plus puissant, était le Rhône, qui
poussait son delta suivant l’axe de la vallée, et le faisait avancer to u jours
plus loin, en raccourcissant d’autant le lac. Depuis^ le début de
cette phase de comblement jusqu’à nos jours, l’embouchure de ce delta
s’est déplacée de quelque soixante kilomètres. Mais en même temps
qu’un fleuve affluant dans un lac avance son delta, son action d’atter-
rissement se manifeste aussi dans sa vallée supérieure ; à mesure qu’il
prolonge, son cours terrestre, sa pente diminue, et atteint bientôt la
limite au-delà de laquelle il commence à déposer de l’alluvion. Il forme
des couches d’alluvion non .seulement dans le lac, mais encore dans
le bas de sa vallée, qu’il relève de proche en proche par des couches
peu inclinées d’alluvion fluviatile. C’est ainsi que, dans nos suppositions,
le Léman valaisan ne s’étendait pas au-delà de la Morge de
Gonthey, et que sa nappe y était d’une centaine de mètres au-dessous du
plafond actuel. L’action indirecte du comblement s’est prolongée ju sque
dans le Haut-Valais, peut-être jusqu’à Brigue; elle v a relevé le
plafond de la vallée dans des proportions moindres, mais de la même
manière qu’elle a relevé le sol de la plaine de Martigny, au-dessus de
la nappe du lac.
A cette action de comblement longitudinal s’ést jointe l’action des
affluents latéraux, qui, chacun à sa manière, ont contribué à combler
le lac. Les uns y apportaient surtout une alluvion impalpable qui se
disséminait à de grandes distances, les autres une alluvion grossière
qui se, déposait dans le lac à l’embouchure du torrent. Ces derniers
tendaient à couper le lac et à le diviser en bassins superposés. Le
plus actif à ce point de vue a été probablement le torrent de St-Bar-
thélemy, en amont de St-Maurice, dont les crues peu fréquentes, mais