HYDROLOGIE
la normale dans d’autres vallées voisines pendant d’aussi longues séries
d’années? Ce n’est pas admissible. Et ce qui est encore plus décisif,
ce sont les allures opposées de deux glaciers situés dans le même
vallon: p a r exemple le glacier d’Arolla et celui de Zigiorenove dont les
fronts aboutissent dans la vallée de la Borgne à moins de 2km de distance;
de 1879 à 1891, pendant que le premier a continué à se raccourcir,
le second s’est mis en crue rapide et s’est constamment allongé. Les
actions thermiques qui président à l’ablation ont été incontestablement
les mômes sur les deux glaciers ; donc ce ne sont pas ces actions thermiques
qui occasionnent les variations des glaciers. La valeur de
l’ablation n’est pas l’action dominante pour les crues et décrues des
glaciers.
C’est la vitesse d’écoulement qui est le grand facteur des variations
de Volume du glacier. Le débit du glacier varie. Pendant une série
d’années, la vitesse d’écoulement est considérable ; elle remplace par
un puissant apport de glace au front du glacier la longueur détruite
par l’ablation de l’été, elle la dépasse en valeur, et l’extrémité terminale
est repoussée en avant ; le glacier s’allonge, il a sa phase de crue.
Pendant une série d’années, l’écoulement du glacier est faible.; sa vitesse
devient nulle au front du glacier, qui représente alors un bloc
de glace immobile ; il fond sur place et se raccourcit ; le glacier est
en décrue. Toutes les observations faites sur les glaciers, et en particulier
celles du glacier du Rhône, étudié sur un si grand pied par
le Club alpin suisse, (*) prouvent que la vitesse d’écoulement varie
dans des proportions considérables à l’extrémité terminale des glaciers
; en temps de décrue, elle tombe à 6, 4 ou 2m par an ; en temps
de crue, elle dépasse 40, 60, 80m par an. Ces allures différentes se
continuent pendant de longues périodes d’années; c’est par 10 ans,
20, 40 ans, que se mesure la phase de petite vitesse du glacier ; c’est
un nombre d’années aussi grand que dure la phase de grande vitesse.
La longueur considérable de cette périodicité nous fait voir que-
sa cause doit être distante ;' le phénomène qui la produit doit pouvoir
s’accumuler, il doit être la résultante de faits variables. Ce n’est pas
une cause actuelle, immédiate, proche , voisine, dont les irrégularités
accidentelles apparaîtraient dans des inégalités d’une année h l'autre
; c’est une cause éloignée qui, par une intégration des variations
(l> F.-A. Forel. Les travaux du Club alpin suisse au glacier du Rliône.: Echo
d e s A lp e s XIX, 26, Genève, 1883.
temporaires, arrive à produire un effet tantôt beaucoup plus grand,
tantôt beaucoup plus faible que la moyenne.
Quelle est la cause de ces variations à longues allures de la vitesse
d’écoulement des glaciers? Nous les attribuons à des variations dans
l’épaisseur du névé. Par suite d’accumulation de neige dans les années
humides, le névé s’accroît en épaisseur ; la somme des couches de
neige tombée dans la saison froide et non fondue dans la saison
chaude, s’additionne d’une année à l’autre ; si cette somme algébrique
dépasse la moyenne, le névé devient plus fort, plus profond, plus large;
la source d’alimentation du glacier est augmentée, et l’écoulement du
fleuve glacé arrive au degré de la grande vitesse. Au contraire, que
des années sèches se succèdent, que la somme algébrique des chutes
de neige des années précédentes fasse un total inférieur à la normale, la
poussée de ce névé peu épais est trop faible pour chasser le glacier
à grande vitesse; son écoulement se ralentit, sa vitesse au front du glacier
devient nulle. Nous n’avons pas à étudier ici le mécanisme de ces
variations d’épaisseur du névé et de leur réaction sur la longueur du
glacier ; cela nous entraînerait trop loin de notre lac. Qu’il nous suffise
de constater qu’il semble aujourd’hui bien établi que les variations
périodiques des glaciers ont pour cause principale, essentielle, non pas
des variations dans la valeur de l’ablation, mais des variations dans la
vitesse d’écoulement.
Revenons à l’action possible des variations glaciaires sur le débit
des torrents alpins, et par conséquent sur la hauteur du lac. Je tirerai
de la dissertation ci-dessus développée une conclusion précise. Puisque
la phase de décrue des glaciers est due au ralentissement de l’écoulement
dü glacier et non à une fonte excessive de l’extrémité te rminale,
la phase de décrue ne doit pas être cause d’une exagération
du débit des torrents glaciaires. En particulier la période de hautes
eaux du Léman de 1860 à 1880, n’a pas été causée par la grande
phase de décrue des glaciers de la fin du XIXe siècle.
Mais j ’ajouterai que nous devons reconnaître la possibilité de relations
entre la hauteur des eaux des lacs et les variations glaciaires.
Quand, par suite d’une exagération de la vitesse d’écoulement, les glaciers
ont été poussés à une longueur excessive, qu’ils sont en état de
maximum et qu’ils descendent très bas dans les vallées, leur partie
terminale arrive dans des altitudes relativement peu élevées où la chaleur
estivale, toutes choses égales d’ailleurs, doit avoir une action destructive