cluse traversant les Alpes antérieures, le Petit-lac est un v a llo n , soit
vallée synclinale, de la mollasse. La courbure générale du lac a été
déterminée par la forme semi-cirçulaire des montagnes de la Savoie,
dont les chaînes sont évidemment parallèles à l’axe incurvé du lac :
Dent d’Oche, monts d’Armonnaz, monts de Thonon, Voirons, pour ne
citer que la chaîne qui borde le Léman.
Pour E. Desor (*) le Léman est un lac composé ; je ne dis pas un lac
mixte dans le sens que j ’ai défini plus haut, vallée d’origine quelconque
transformée en bassin par un barrage d’origine quelconque aussi,
mais je dis un lac composé par la juxtaposition de deux parties d’origines
différentes. Sa partie supérieure, le Haut-lac, a tous les caractères
d’un lac de cluse (lac orographique pour Desor), tandis qu’à partir de
Vevey, et surtout de Lausanne, l’aspect des rives change, et le lac
présente les indices d’un lac d’érosion. Le géologue neuchâtelois n’a
du reste pas indiqué les conditions dans lesquelles aurait pu se faire
une telle complication.
Bernard Studer peut aussi, me paraît-il, être rangé dans cette école.
Dans son étude sur l’origine des lacs suisses, (2) après avoir réfuté les
théories des excavationnistes glaciaires, il établit que les grandes vallées
des Alpes ont été formées par des 'crevasses résultant des soulèvements,
dislocations et torsions que le pays a éprouvés, spécialement
à l’époque miocène; il admet que ces crevasses ont dû être comblées
une première fois, ce qui a permis le passage, sur leur dépression, de
l’alluvion ancienne du cours inférieur des vallées; enfin que des
affaissements ultérieurs ont eu lieu sur la ligne des crevasses : « De
grands vides dans le fond des fractures ont pu rester non remplis, des
étranglements de la roche ou la grosseur des premiers blocs engouffrés
ont pu arrêter le remplissage de la vallée ; plus tard le poids de ce
toit temporaire ayant augmenté, ou peut-être la pesanteur des glaciers
diluviens s’y ajoutant, l’obstacle a pu céder et le sol qu’il soutenait
s ’écrouler. »
L ’école excavationniste glaciaire attribue le creusement du bassin à
l’action des glaciers, les uns admettant que c’est le glacier qui a érodé
les couches rocheuses et excavé le bassin lui-même, les autres que les
glaciers ont simplement enlevé l’alluvion qui avait rempü une dépres(*)
E. Desor. De la physionomie des lacs suisses, Revue suisse, Neuchâtel 1860.
(2) Arch. Genève, XIX, 89,1864.
sion autrefois établie par d’autres agents. Sans nommer ici tous- les
naturalistes qui se rattachent à cette école, et qui directement ou indirectement
se sont occupés du lac Léman, je ne citerai que le plus
récent d’entr’eux, le Dr Ed. Brückner, professeur, à Berne, qui nous
donne la note la plus moderne de l’école de naturalistes dont nous
avons à parler. Penck et ses collaborateurs ont’ en effet, ajouté aux arguments
généraux des excavationnistes glaciaires, un argument d’observation
géologique fort intéressant. Ils ont constaté que la moraine
profonde des glaciers diluviens, et l’alluvion torrentielle déposée au
devant du glacier (alluvion glaciaire, Glacial-Schotter), représentent
dans les Alpes orientales des couches plus ou moins stratifiées,
dont les plus anciennes ont été ultérieurement creusées par érosion,
et sont restées des deux côtés des vallées sous la forme de terrasses.
Ils admettent que cette érosion est due à l’action des glaciers, dans
une seconde époque ou période glaciaire ; quand ils reconnaissent ces
terrasses d’alluvion glaciaire ancienne des deux côtés d’un lac, ils
attribuent le creusement du bassin lacustre à l’excavation glaciaire.
M. Brückner, après avoir étudié attentivement les terrains glaciaires
des Alpes allemandes et autrichiennes, est venu rechercher ces faits
dans notre vallée, et il estime les avoir reconnus et démontrés.
Il ( v) voit dans la discordance, constatée en plusieurs points des environs
de Genève, entre l’alluvion ancienne et la moraine glaciaire
sus-jacente, la preuve que l’alluvion ancienne a été érodée par le. glacier.
Comme il retrouve l’alluvion ancienne à la fois sur les deux rives
du Petit-lac, à Hermance, la Belotte, Cologny, sur la rive sud, à Cham-
bésy et Mategnin, sur la rive nord, il en conclut que cette partie du lac
a été creusée par érosion glaciaire dans un lit d’alluvion ancienne. Le
Petit-lac serait donc dû à l’érosion glaciaire. La même conclusion serait,
d’après Brückner, probable pour la partie moyenne du lac Léman,
car l’on trouve de même sur les deux rives de l’alluvion ancienne
(conglomérats de la Dranse et du signal de Bougy). Du reste ce géologue,
l’un des plus ardents défenseurs de l’érosion glaciaire, admet
dans ses dernières conclusions un âge très ancien du bassin du
Léman, et il concède que la seconde époque glaciaire n’est pas l’auteur
de l’excavation originelle du lac, mais de sa réexcavation et de
son approfondissement.
(i) Die Vergletscherung des Salzachsgebietes, nebst Beobachtungen über die Eis-
zeit in der Schweiz, p. 168. Wien 1886.