de notre lac, mais de considérer toujours en même temps les autres
lacs, ses voisins de la région subalpine. Les lacs du pied des Alpes,
les lacs de Thoune, dé Brienz, des Quatre-Cantons, de Wallenstadt,
de Zurich, ceux de la Savoie, ceux même de l’Insubrie de l’autre côté
des Alpes, sont à beaucoup de points de vue dans des conditions tellement
semblables, presque identiques, que toute théorie qui s’applique
à l’un doit pouvoir, sans trop de peine, s’adapter aux autres. Ils sont
évidemment de la même famille ; ils doivent avoir une origine analogue.
Encore un mot de généralités sur mes rapports avec mes prédécesseurs,
ou mieux sur les rapports d’un naturaliste actuel avec ceux
qui ont, avant, lui, travaillé le même champ de la science. Une question
comme celle qui nous occupe, déjà traitée par de longues générations
de géologues, ne peut plus présenter de côtés absolument
neufs; toutes les faces du problème, toutes les solutions partielles,
toutes les solutions d’ensemble ont déjà été indiquées et soutenues,
quelques-unes par nombre d’auteurs. Cela étant, notre rôle, à nous
qui venons après tant d’autres, semble n’être plus que celui d’un
critique qui juge entre les opinions déjà proposées et se décide pour
l’une d’elles. Réduite à ces conditions, notre tâche serait encore belle
et utile, car une critique sérieuse demande autant et plus de connaissances
que le simple énoncé d’une hypothèse; pour çette dernière il
suffît de mettre en jeu l’imagination, pour la première le jugement est
indispensable. Mais, notre travail, à nous tard-venus, peut être plus
personnel et, par suite, plus attrayant ; nous pouvons refaire nous-
mêmes l’ouvrage de nos devanciers, nous poser les problèmes en nous
basant sur les faits connus actuellement et leur trouver nous-mêmes
les solutions qui nous paraissent justes. Je ne dis pas que, dans ce
cas, l’imagination joue un rôle aussi original, aussi prédominant que
dans les âges primitifs de la science ; nous avons lu les oeuvres de nos
ancêtres scientifiques et nous héritons de leurs labeurs ; consciemment
ou inconsciemment (ce dernier cas serait le plus fréquent si j ’en
juge par mon expérience personnelle), les solutions qu’ils ont trouvées
se présentent facilement à notre esprit, et nous avons le choix entre
de nombreuses réponses au problème. Mais le travail, d’élaboration
nous reste propre et nous comprenons mieux ce que nous avons déduit
nous-mêmes. Notre devoir, ce travail d’appropriation accompli,
sera évidemment de rendre hommage à qui de droit des théories et
raisonnements déjà énoncés avant nous, d’en rapporter l’honneur aux
premiers auteurs qui ont eu le mérite de les découvrir ; mais, ce devoir
rempli, nous avons la satisfaction d’avoir fait une oeuvre personnelle
et notre collaboration sera utile en servant de confirmation aux
travaux de nos prédécesseurs.—- Dans nombre de théories qui remplissent
ce volume, j ’ai suivi cette méthode ; j ’éprouvais le besoin de
m’exprimer là-dessus une fois pour toutes ; il sera inutile d’y revenir
dans chaque cas spécial. .(*)
Nous avons établi qu’au point de vue de leur origine, les lacs doivent
être séparés en un nombre considérable de types divers ; quelques
uns n’ont évidemment rien à faire avec la genèse du Léman, et
nous pouvons, sans autre, les laisser de côté dans notre recherche. Le
Léman n’est ni un lac volcanique, ni un lac d’érosion éolienne, ni un
lac de barrage par éboulement d’une montagne, etc., etc. Nous ne nous
occuperons que des possibilités immédiates et plausibles et notre discussion
comprendra trois parties : J’écarterai d’abord les théories orographiques
; puis les théories de l’excavation glaciaire; enfin, par élimination,
j ’arriverai aux théories de l’érosion aqueuse. Après avoir
ainsi pris position et établi que, dans mon opinion, la vallée du Léman
a été creusée par le Rhône tertiaire, j ’aurai à chercher quelles sont
les causes possibles de la stagnation des eaux. Tel sera l’ordre de mon
exposé.
Des faits relatés au chapitre précédent, nous retiendrons avant tout
ceux qui nous ont appris l’âge géologique de l’origine du Léman ; ils
nous serviront de base dans. cette étude. Nous avons constaté : premièrement
que le lac n’existait pas encore à l’époque miocène
moyenne, secondement qu’il existait déjà à l’époque diluvienne ou
pleistocène. C’est donc entre ces deux dates que se place le creusement
du bassin du Léman. Toute hypothèse sur la genèse du Léman
devra répondre à cette condition fondamentale.
Pour ce qui regarde la date limite la plus rapprochée de nous, c’est
par excès de prudence que je parle de l’époque pleistocène (glaciaire).
Je suis convaincu que la vallée était déjà creusée lorsque les conglo-
(*) Ces lignes, écrites en janvier 1890, alors que je venais d’établir sur mes idées
personnelles la genèse dp lac Léman, ont reçu, par la constatation que j’ai faite
quelques mois plus tard de la priorité de CH. Lyell, une application que je ne prévoyais
ni si immédiate ni si directe.