poli bien des haches, (*) et je me rends assez bien compte de l’action
du frottage d’une pierre sur la meulé dormante. Or, si je consulte mes
souvenirs, je retrouve quelquefois le détachement d’une esquille, la
rupture d’un fragment d’une pierre trop fissurée, soumise ainsi à
l’usure du frottement ; mais c’est si rare que je ne puis y voir que des
accidents insignifiants et qui méritent à peine d’être notés.
En résumé, j’attribue à la glace un puissant pouvoir d’érosion des
flancs et du fond de la vallée, dans laquelle s’écoule le glacier. C’est
le mouvement du glacier qui triture les cailloux de la moraine profonde
(cailloux qui proviennent des moraines latérales et des moraines
superficielles) ; c’est le mouvement du glacier qui use et polit la roche
en place en faisant frotter sur elle les graviers et cailloux de la moraine
profonde. Mais cette dernière action n’opère que lorsque la
couche de moraine profonde n’est pas trop épaisse ; il faut que l’entraînement
de la face inférieure du glacier puisse se communiquer de
couche en couche, dans la profondeur de ces gravois, jusqu’à la plus
inférieure, à la couche qui est en contact avec la roche, pour que
cette dernière soit usée ; il faut aussi que la moraine profonde ne soit
pas constituée par une argile trop tenace, sur laquelle le gravier glisserait
trop facilement. Pour cela il faut nécessairement que le fond de
la vallée glaciaire soit parcouru par un torrent d’eau et par ses nombreux
affluents qui enlèvent les parties trop fines, trop poussiéreuses,
qui feraient mastic ou ciment ; il faut que ce torrent s’écoule et ne
soit pas stagnant. Dçs l’instant oü il n’y aurait plus d’eau courante,
dès l’instant où il y aurait diminution de la pente, et, à plus forte raison,
Contrepente et formation d’un étang ou d’un lac, le procès d’érosion
cesserait absolument.
Donc l’action glaciaire, qui peut creuser ou élargir une vallée inclinée,
ne saurait creuser une cuvette ; elle peut éroder une vallée, elle
ne peut excaver le bassin d’un lac.
Si nous résumons ce paragraphe sur les lacs dits d’érosion, nous
constaterons que l’érosion aérienne, celle du vent à elle seule est capable
de creuser une cuvette, tandis que l’érosion de l’eau et celle du
glacier ne peuvent que creuser des vallées ; elles ne suffisent pas à
elles seules pour établir le bassin où se logerait un lac.
(’) F.-A. Forel. Sur la taille des haches de pierre. Matériaux pour l’hist. de
l’homme, VI, 521. Toulouse 1875.
3° Lacs de barrage.
Un lac peut être formé par un barrage constituant digue et soutenant
les eaux. Ce barrage peut être :
a La circonvallation plus ou moins circulaire du cratère d’un volcan
éteint.
b Une coulée de lave barrant une vallée,
c Un éboulement de montagne.
d Le corps d’un glacier (lac de Merjelen au glacier d’Aletscb, lac
du Gurgl dans l’Oetzthal, lacs temporaires de Bagne, etc.).
e La moraine latérale supérieure d’un glacier barrant une vallée
(lac de Mattmarok, vallée de Saas).
f Je ne connais pas d’exemple où la moraine frontale aurait à elle
seule formé le barrage d’un lac. La moraine frontale d’un glacier
est coupée par le torrent glaciaire, et jamais je n’ai vu un lac s’accumuler
derrière elle. Il n’est cependant pas impossible d’imaginer
l’occlusion accidentelle du canal torrentiel par quelques blocs tombés
de la moraine ou du glacier, et l’établissement par ce mécanisme
du barrage complet d’un lac. J’inscris donc ici ce type de lac, tout en
déclarant que je n’en ai pas d’exemple à citer dans les glaciers actuels.
Quant aux exemples tirés des moraines des glaciers anciens, il me
paraît qu’il y a presque toujours des actions complexes.
Il y a cependant certaines mares, dans le fouillis des moraines
frontales des glaciers, qui peuvent être rangées dans ce groupe. Lorsque
dans deux crues successives les moraines frontales forment des
digues se coupant à angle aigu, l’eau peut s’accumuler dans les cavités
ainsi formées et constituer de petits lacs morainiques. Ce ne sont le
-plus souvent, vu leur très petite taille, que des étangs de peu d’étendue
et de peu de profondeur.
g Le cône d’alluvion d’un affluent torrentiel qui vient se jeter à angle
droit dans une vallée principale. Je reviendrai plus loin sur ce cas
spécial qui me semble présenter un grand intérêt pour la théorie du
Léman.