Vin. L.a moraine sous-lacustre d’Yvoire,
Omblières d’Yvoire.
Au large d’Yvoire, à 1.5km et 2km du rivage, dans la direction de
Rolle et par 60m de profondeur moyenne, sont situées les om b liè r e s
d’Yvoire, célèbres par les pêches fructueuses qui s’y font. C’est là que
vient frayer le précieux salmonidé, l’omble-chevalier, le plus délicat
des poissons du lac et que les pêcheurs d’Yvoire le capturent avec un
succès constant et sans analogue dans aucune autre région du Léman.
A quoi est due l’attraction qui amène le poisson dans ces parages ?
Les filets des pêcheurs dans cette localité s’accrochent souvent sur
le sol ; ils apportent fréquemment dans leurs mailles des cailloux e t
des débris de roches. Il y a là une moraine sous-lacustre. Une moraine...
cela est prouvé par la nature des pierres recueillies par les pêcheurs.
J’ai pu étudier une cinquantaine d’échantillons récoltés sur les
omblières par maître Dufour, pêcheur à Yvoire et ses collègues, et j’ai
constaté que ces débris appartiennent à toute espèce de roches alpines ;
les calcaires présentent une singuüère érosion sur laquelle je Vais revenir.
Nous avons de plus, M. Delebecque et moi-même, fait quelques
recherches sur place ; en voici le résultat :
Le premier en date de mes dragages est celui que j’ai fait le 30 décembre
1876 avec mon ami A. Revilliod, à bord de son yacht le Caprice
; j’avais désiré vérifier l’existence d’une barre au détroit de Pro-
menthoux, que la carte de la Bêche m’avait fait soupçonner, et j’en
avais reconnu la réalité; un dragagé que j ’effectuai en terminant mes
opérations m’a donné (je copie mes notes) : « par 70m de fond, masse de
limon très fin, jaune clair, moins bleu que celui de Morges, rempli d’un
très grand nombre de graviers. J’en, pèse 7 grammes, les plus gros du
volume d’un quart de noisette, les plus petits du sable. Il n’y a point de
débris de brique ou d’argile cuite, point de pierres météoriques reconnaissables,
point de scories de coke, très peu de cadavres d’entomo-
stracés pélagiques ; ce ne sont que des sables glaciaires. Que sont ces
graviers ‘?... »
J’avais oublié cette première trouvaille lorsque je repris la question
en 1885. (0
f1) F.-Â. Forél. La barre d’Yvoire, Bull. S. V. S. N. XXII, 125, Lausanne 1887.
Depuis plusieurs années notre ami F. Bocion, d’Ouchy, le peintre du
lac Léman, nous racontait que les pêcheurs d’Yvoire rapportaient
dans leurs.filets à omble-chevalier, mouillés à 60m de profondeur
devant Yvoire, des pierres qui l’intriguaient fort. Les échantillons qu’il
nous montrait étaient des fragments de calcaire alpin, noir ou blanc,
fortement érodés par une action chimique puissante. Une première
expédition que nous fîmes le 12 juillet 1885, MM. Bocion, J.-B. Schnetz-
ler, F. Recordon et moi, n’aboutit à aucune démonstration. J’y retournai
seul le 18 septembre, avec le jeune pêcheur François Dufour,
d’Yvoire, qui m’indiquait les stations favorites de l’omble, et j’eus enfin
.u n succès complet. Je relevai dans ma drague le mélange caractéristique
de cailloux roulés, de cailloux brisés et de sables, composés de
toutes les roches possibles du Valais, granités, gneiss, quartzites, pou-
dingues, grès, calcaire alpin, etc. J’étais incontestablement sur une
moraine, saillante sur le sol, par 60“ d’eau, à plus d’un kilomètre du
rivage au nord d’Yvoire. La barre d’Yvoire est donc revêtue d’une
moraine glaciaire.
Depuis lors cette découverte a été confirmée. Le 16 mai 1889, je fis,
avec M. A. Delebecque, trois dragages qui me donnèrent, au milieu
d’une vase très fine, jaunâtre, une grande abondance de graviers et de
sables de toutes grosseurs, de toute nature, le mélange classique des
sablés glaciaires. Le 13 févrièr 1891 M. Delebecque a répété ces dragages
et a obtenu le même résultat.
Dans ces opérations de dragage, ma sonde s’est plusieurs fois accrochée
dans lè fond, comme cela arrive parfois aux filets des pêcheurs ;
j ’en conclus qu’il y a sur le sol de gros blocs saillants. Il est vrai que
nos dragues ne nous ont rapporté que des sables et graviers, mais cela
tient évidemment à la petite taille de nos appareils:
L’analyse de ces graviers en démontre la nature glaciaire incontestable.
Ajoutons que les filets des pêcheurs ramènent fréquemment de ces
régions une mousse abondante, eh bel état de végétation, le Thamnium
alopscutum var. Lemani, Schnetzler, que nous décrirons dans un
autre chapitre. Cette mousse est insérée sur les pierres ; nous en avons
reconnu l’adhérence sur plusieurs échantillons. Elle se développe sur
place; nous avons vu plusieurs fois la face libre des cailloux recouverte
d’une couche verte, dans laquelle M. le Dr J. Dufour, de Lausanne, a
reconnu les premiers stades du développement du végétal, prothallium