port ; ils resteront donc sur place, et, encombrant son lit, finiront par
établir un barrage de plus en plus élevé. Ce barrage s’exhaussera jusqu’à
ce que le rapide, formé par le fleuve sur le talus inférieur de la
digu©, ait acquis une vitesse suffisante pour entraîner les galets amenés
par le torrent et les distribuer sur sa pente ainsi modifiée.
Suivant les circonstances un tel barrage produira des accidents géographiques
différents. Si un torrent de grosse alluvion se déverse dans
le trajet d’un fleuve, à cours bien réglé, à faible pente, à alluvion très
fine, il établira un rapide qui exagérera la pente du fleuve dans ce
qu’on peut appeler le cône d’alluvion du torrent ; il amènera l’exhaussement
de la partie supérieure de la vallée et le dépôt d’aliuvion fluviale
par suite de la diminution de la pente du fleuve et de la réduction
de sa faculté de transport. Ainsi les rapides du Rhône sur les" cônes
d’alluvion de l’Illgrabe.n près de la Souste, et du torrent de St-Barthé-
lemy au Bois-noir de St-Maurice;
Si un tel torrent vient se verser par le travers d’un lac, il coupera ce
lac en deux, dont l’un, le lac supérieur, sera d’autant surélevé sur l’inférieur
que l’alluvion du torrent sera plus grossière et que le cône d’alluvion
sera plus étendu. Ainsi le cône de la Lütschine à Interlaken soutient
le lac de Brienz et le sépare du lac de Thoune; ainsi le cône
de la Linth soutient le lac de Wallenstadt et le sépare d u lac de Zurich.
Si un tel torrent, qui déversait autrefois ses eaux dans un lac d’une
vallée latérale et en sortait sans charrier d’alluvion, amène tout à coup
cette alluvion dans le fleuve principal, une fois le lac latéral comblé, il
peut s’établir un barrage assez élevé pour occasionner une contre-
pente sur la vallée principale et former un lac de barrage. Je n’ai point
d’exemple à citer, (*) mais je tiens la combinaison pour possible.
C’est à des faits de cette nature que j ’attribue l’établissement de la
barre ou digue qui soutient la plupart des lacs subalpins suisses, et en
particulier le lac Léman. L’Arve est certainement pour une part importante
dans l’arrêt de notre lac à Genève, à 2km au-dessus de son
confluent avec le Rhône. Quel a été le mécanisme précis de cette action
? Je ne veux pas essayer de le dégager au milieu de l’enchevêtrement
confus des faits à nous inconnus qui ont précédé, accompagné et
suivi la genèse du lac Léman. Il ne serait pas difficile d’établir le canef1)
Heirn en indiquait un en 1878 dans la vallée supérieure de Wàggi, qui était
barrée par les alluvions de -la Sehlieren ; le lac se relevait chaque année. (Heim,
Mechanismus, etc., p. 318 (note).
vas d’un enchaînement plausible d’événements ; mais dans une théorie
aussi compliquée que celle qui nous occupe, nous sommes déjà entraînés
à trop de suppositions ; je désire me borner au strict nécessaire.
Je me permettrai seulement deux observations, générales.
La première, c’est que les alluvions de l’Arve se sont toujours déversées
à peu près au même endroit depuis qu’il existe une Arve,
c’est-à-dire dès la première émergence des Alpes de la Savoie. De
même qu’il y a eu un Rhône valaisan tertiaire, avant notre Rhône
quaternaire, de même l’Arve a, dans la série des âges géologiques,
drainé le versant occidental du massif du Mont-Blanc qui s’exhaussait
progressivement ; elle a amené ses débris dans la mer tertiaire de
la plaine suisse ; sitôt que la plaine a été exondée, ses alluvions sont
devenues des dépôts à l’air libre ; dès qu’un Rhône s’est creusé un lit
dans la direction de Bellegarde, l’Arve y est venue décharger ses sables
et ses galets. La région de Genève a donc, dès les origines de ces
fleuves, été le confluent du Rhône et de l’Arve ; elle a toujours été le
point où l’alluvion torrentielle de l’Arve a été jetée dans le lit de la vallée
principale. Cette région a donc de tout temps été un point d’arrêt, un
obstacle au cours libre du fleuve. Sauf dans les temps probables où
l’Arvè présentait sur son parcours un ou des lacs analogues à ceux
des autres fleuves alpins, il y a toujours eu tendance à la formation,
à Genève ou près d e Genève, d’un barrage d’alluvions alpines de la
rivière torrentielle du Fauçigny. Ce n’est donc pas seulement à l’époque
de l’affaissement des Alpes, mais déjà dans la phase antérieure de
surexhaussement qu’il faut tenir compte des alluvions de l’Arve sur le
cours du Rhône à Genève.
Ma seconde observation justifiera l’importance plus grande que
j ’attribue, pour l’arrêt inférieur du lac Léman, à l’action des alluvions
de l’Arve plutôt qu’à celle de la limite de la région d’affaissement
du massif alpin. Un barrage formé par un fait de soulèvement local
sur le cours inférieur d’un fleuve, ou d’affaissement du cours supérieur
est un obstacle transitoire et passager. Il est soumis à l’érosion
continue de l’eau courante, et il ne doit pas tarder à disparaître ; il
peut bien arrêter pour un temps les eaux fluviales et les rendre stagnantes,
mais sitôt qu’il est établi, l’érosion doit commencer à l’attaquer,
et cette action destructive, fonctionnant toujours dans le même
sens, doit bientôt arriver à le supprimer. Un tel barrage ne peut pas
avoir une durée considérable, et un lac soutenu par une telle digue