Je puis invoquer, en faveur de ces notions, le seul cas à moi connu
où il semble qu’il y ait un lac sous-glaciaire dans les Alpes ; c’est celui
du glacier de Puntaiglas qui descend des Piz Urlaun et Frisai pour
s ’écouler dans le Rhin antérieur à Trons. Voici ce qu’en dit Heim : (*)
« Le torrent du glacier de Puntaiglas, la Ferrera, présente certaines
« particularités très curieuses et encore non expliquées. Il est formé ordi-
« nairement d’une eau beaucoup plus claire que celle des autres torrents
« glaciaires; son eau n’est jamais l a i te u s e [GletschermïlchJ. En second
« lieu, son régime est beaucoup plus régulier que celui des autres
« torrents ; il croît très peu en temps de pluie, tandis que les crues de
« son voisin le Zinzerabach, causent souvent des ravages terribles.
« Mais, par contre, la F errera présente chaque année une crue extraor-
« dinaire, au milieu de la saison chaude, en général dans la deuxième
<r moitié de juillet... Cette crue est subite, et dure vingt-quatre heures,
« au plus deux jours. Dans les douze premières heures, l’eau croît
« progressivement, et entraîne avec elle dès galets et des blocs de
« plus en plus_gros ; puis elle décroît aussi régulièrement qu’elle avait
« crû. L’eau reste trouble encore plusieurs jours après que le torrent
« est revenu à son régime normal.... On peut se demander si le gla-
« cier, dont la surface est très plate, ne passerait pas sur le bassin
« d’un lac ; ses eaux s’y clarifieraient tandis que le lac, comme d’au-
« très lacs glaciaires visibles sur le flanc du glacier, s’évacuerait pério-
« diquement. » Quand le lac sous-glaciaire de Puntaiglas a son écoulement
régulier par dessus sa digue de rochers et de glaces, l’eau est
claire et ne charrie pas d’alluvion ; quand l’eau se trouble, c’est que
la rupture de la digue ayant eu lieu, une grande masse torrentueuse
lave le lit inférieur du glacier. Mais alors l’alluvion qui salit cette eau
ne vient pas de la moraine profonde du lac sous le glacier. C’est ainsi
que l’alluvion qui blanchit la Massa lors des écoulements périodiques
du lac Merjelen, sous le glacier d’Aletsch, n’est pas la vase déposée
depuis la précédente crue au fond du lac glaciaire; quand celui-ci s’écoule,
son eau n’est pas troublée dans le lac lui-même ; elle ne se
charge d’àlluvion qu’en délavant le glacier et le lit de celui-ci.
Ce procédé d’évacuation de la moraine profonde par l’alluvion impalpable
dans un bassin lacustre sous-glaciaire, doit être extrêmement
peu actif; il me paraît qu’il n ’y a pas lieu d’en tenir compte, si l’on
(A) A. Heim Mechanismus der Gebirgsbildung, I. 967.
songe qu’il devrait expliquer le creusement de bassins d’une centaine
de kilomètres cubes comme le lac Léman, dans un temps qui n’est pas
infiniment grand.
A la deuxième hypothèse, la masse plastique de la moraine profonde
est refoulée sur les bords, je réponds : je ne connais rien qui
puisse faire penser à cela dans les glaciers actuels. Quant aux glaciers
quaternaires qui auraient, par ce procédé, excavé la cuvette de nos
lacs, ils auraient dû, si je ne me trompe, déposer dans les moraines
latérales ce matériel ainsi refoulé, car c’est dans la direction des profils
transverses d’un glacier que les résistances à une telle évacuation
auraient été à leur minimum. Les moraines latérales sont encore en
place, du moins il en-reste assez de témoins pour que nous puissions
juger de leurs dimensions originales. Or, je le demande, qui voudrait
trouver dans ces moraines de l’ancien glacier du Rhône le cube nécessaire
pour remplir le bassin du Léman ?
Encore un point : les adeptes de l’excavation glaciaire des lacs
attribuent au glacier un pouvoir d’érosion qui paraît inadmissible. Ils
estiment que les galets et cailloux de la moraine profonde proviennent
en notable partie du sous-sol. Que lé glacier use et polisse la roche
en place en glissant sur elle, et surtout en frottant sur elle les sables
et cailloux d’une moraine profonde pas trop épaisse, qu’il y ait participation
ainsi de la roche sous-jacente à la formation de la poussière
impalpable qui salit l’eau du torrent glaciaire ou qui constitue la masse
argileuse de la boue glaciaire, c’est parfaitement acceptable. On peut
même aller plus loin et accorder qu’accidentellement il y ait quelques
fragments d’une roche très fissurée et très friable, ou découpée en
porte-à-faux, qui soient brisés par le poids du glacier et englobés dans
la moraine profonde. (“) Mais, que ce dernier cas soit fréquent, que
l’on puisse attribuer à_ ce contingent une partie notable des blocs et
cailloux ou galets de la moraine profonde, c’est certainement aller trop
loin; fait exceptionnel, oui, mais fait ordinaire, ou constant, non. Qu’il m e
soit permis d’invoquer ici mon expérience de tailleur de pierres. Pour
étudier les procédés antiques de fabrication des outils de pierre dé
nos ancêtres préhistoriques, nous avons, mon père et moi, taillé et
v f ) J’en ai vu un^exemple, en 1890, sous le glacier du Rhône, dans la grotte où se
précipite le torrent du Gratschluchtgletscher. C’était un point où la pente du lit
était fort inclinée, et où les parties saillantes des roches proéminaient en porte-à-
faux. : ~ ,'V ' : . ' “