Une rue ne se bâtit pas en une année, mais successivement et progressivement,
j ’estime que l’on peut tirer de la position de ces caves
une inférence assez probable que, dans les siècles passés, à l’époque
de la construction des rues et villes basses des rives du Léman,
les hautes eaux du lac atteignaient rarement la cote ZL + 2.5“ .
C’est surtout très évident à Villeneuve où le nombre des locaux descendant
à des cotes très basses, datant des siècles antérieurs, est considérable
(78 locaux ont une cote inférieure à 2.5m). On retrouve, en
outre, sous le pavé des caves inondées dans les années 1876 à 1879,
d’anciens pavés qui indiquent une hauteur générale du sol habité bien
inférieure à celle que nous avons vu être l’extrême limité dans les
conditions du lac de la seconde moitié du XIXe siècle. Je’ citerai,
comme exemples,- les pavés retrouvés en 1882 quand on a creusé
dans la cave de la maison P.-L. Masson à 2.4m, et dans le pressoir de
la maison F.-E. Hoffmann-à la cote 2.1m. (*)
Nous pourrions nous fonder aussi sur les résultats de l’enquête faite
en 1822 par le préfet De Loys de Chandieu, à Lausanne, S. Nicod-
Delom, à Vevey, et Chausson, à Noville. Cette commission a réuni
tous les faits, souvenirs et dépositions apportés par lès vieillards de
toutes les localités riveraines ; tous ont prétendu que le lac s’était considérablement
élevé depuis le temps de leur première jeunesse ; tous
ont donné des témoignages aussi nets et aussi affirmatifs que ceux des
vieillards qui ont paru à Genève dans la séance du 21 juillet 1882
devant la délégation du tribunal fédéral. Nous n’avons pas récusé les
témoignages de ces derniers, (2) nous aurions le droit de nous fonder
sur les témoignages des vieillards de 1822. Mais nous voulons baser
l’étude actuelle uniquement sur des faits objectifs, vérifiables et contrôlables.
Nous laisserons donc de côté cet ordre dè preuve qui, du
reste, nous le reconnaissons volontiers, est passible de critiques facilement
justifiées.
Quant aux basses eaux de ces périodes anciennes, nous avons deux
faits à citer :
Le premier est le récit, donné par Fatio de Duillier, des circonstances
qui ont amené la construction de la digue du Rhône, en 1713.
Nous l’avons déjà reproduit page 408.
Le second fait, c’est l’existence des carrières de molasse submergées.
(*) Notes de M. G. Delapraz, géomètre, à Villeneuve.
(2) Voir ci-dèssus, p. 243.
Des bancs de molasse apparaissent,en plusieurs points, sur la grève
du lac ; là où cette pierre est de qualité suffisante, elle a été exploitée
et des carrières ont été ouvertes jusqu’à l’extrême limite des basses
eaux, ainsi que le décrivait le voyageur anglais Addison, en 1702 : « Il
y a, près de Genève, plusieurs carrières de pierre de taille, qui s’étendent
jusqu’au-dessous du lac. Lorsque les eaux sont fort basses, on
fait au-dedans de ses bords un petit carréentouré de quatre murailles.(')
Dans ce carré, on creuse une fosse et l’on y fouille pour chercher la
pierre;' les murailles empêchant que les eaux n’y entrent, lorsque le
lac enfle et inonde tous ses bords. La grande facilité qu’il y a de voitu-
rer ces pierres, fait qu’on les a à meilleur marché qu’aucunes autres
qui se trouvent ailleurs. On voit, en passant à la voile, plusieurs fosses
profondes qui ont été faites en divers temps. (2) >> Addison semble
les avoir vues dans le petit voyage de cinq jours qu’il fit sur le lac,
pendant son séjour à Genève, au printemps de 1702. Mais, a-t-il assisté
à l’exploitation de ces carrières, qu’il décrit fort bien ? ou bien,
frappé par l’apparitionsingulière de ces vastes et nombreuses chambres
rectangulaires qui découpent, comme un damier, une vaste étendue
de la beine, les a-t-il étudiées en passant et s’est-il fait expliquer leur
formation ? Cela ne ressort pas immédiatement du texte cité. En tout
cas, il en parle comme d’une affaire contemporaine, et non comme
de faits appartenant à un passé légendaire. C’est donc, ou bien à l’hiver
de 1702, ou bien à quelques années antérieures à cette date, que
nous devons rapporter l’ouverture de ces carrières, aujourd’hui inondées
par les eaux du lac.
On connait six localités où de semblables carrières sont encore visibles
sous les eaux du lac (3) : à Pully, près Lausanne, à Fraidàigues,
(D Les carrières sont encore aujourd’hui assez intàctes pour que l’on distingue
parfaitement, autour de quelques chambres d’exploitation, les trous où étaient enfoncées
les palplanches, destinées à supporter les murailles de protection, décrites
par Addison.
(2) Addison. Remarques sur divers1 endroits de l’Italie. Voyage de M. Misson.
Utrecht 1722, p. 299.
(3) Il y avait autrefois des carrières analogues à Ouchy ; elles ont été signalées
dans l’enquête de 1822 ; elles sont actuellement recouvertes par le grand quai devant
la gare du chemin de fer funiculaire.
Pour qui voudrait visiter ces carrières submergées, voici quelques indications
suffisantes permettant de les retrouver. Elles sont situées :
à Pully, à côté du débarcadère ;
à Fraidaigues, devant la villa;