dans le lac. Ce qui est étonnant, c’est que des faits analogues ne se re produisent
pas plus fréquemment, avec la manie qui obsède les riverains
de construire partout des quais rectilignes et monumentaux sur
les bords autrefois si pittoresques du lac.
À côté des effondrements du quai de Vevey, je n’ài à citer su r le
Léman que deux événements à peu près identiques :
L’éboulement d’un petit quai de quelque 20m de longueur, à l’orient
du débarcadère de Clarens ; il .avait été construit au printemps, il s ’est
effondré en bloc dans le lac le 12 septembre 1883.
L’éboulement du quai du Kursaal de Montreux, le 19 mai 1891. A
l’heure même où les hôtes illustres, que l’État de Vau d avait conviés
pour fêter la transformation de l’antique Académie de Lausanne en
Université, écoutaient dans des salons du casino les paroles enflammées
de notre vénéré maître le professeur Charles Secrétan, à~ quelques
pas de là un quai construit récemment s ’écroulait dans le lac
sur une longueur de cinquante mètres. Murs du quai, enrochements,
pilotis et radiers qui le soutenaient, remblai qui le remplissait, murailles
anciennes et récentes des jardins, partie du sol de ces jardins avec
les pavillons qui lés ornaient, façade d’une antique maison rurale,
bâtie, elle au moins, sur la te rre ferme, tout descendait successive-
mént dans le lac et s’éboulait jusqu’au pied du talus. La pente
moyenne de la rampe sous-lacustre est en ce point de 50 % >
s’adoucit un peu à sa jonction avec le plafond du lac situé à une profondeur
de 105“ . Le -quai avait, été achevé au printemps de 1891 ; il
n ’avait guère que six semaines d’âge. Au moment de l’accident, les
vagues d’une violente vaudaire battaient les murailles, et les averses
répétées d’une pluie impitoyable avaient imbibé le sous-sol,' et su rchargé
d’un poids d’eau surajouté les terres encore mal assises. Telles
ont été les circonstances déterminantes de l’accident ; nous pouvons
ajouter que ces circonstances ont été heureuses* car cette inclémence
du temps avait empêché l’arrêt projeté des bateaux de fête au débarcadère
du Kursaal ; si le programme avait été suivi, une foule de milliers
de spectateurs aurait été massée sur ce même quai. Leur poids
aurait peut-être amené la rupture d’un équilibre certainement très
instable, et une catastrophe épouvantable aurait étendu son voile de
deuil sur la joyeuse fête que nous célébrions. Il n ’y a eu, Dieu merci !
aucun accident de personnes.
Dans l’effondrement du quai de Montreux, il faut noter un détail
intéressant. La partie qui s’est éboulée était la seule qui fût pilotée, et
l’éboulement s’est arrêté exactement aux limites du pilotage. L’ébranlement
du sol par le battage des pieux pourrait-il être quelque chose
dans les causes déterminantes de la catastrophe ? — Du reste les pilotis
du quai de Montreux n’ont pas été brisés par l’éboulement comme
ceux de Vevey, et l’effondrement a certainement emporté du premier
coup toute la couche dans laquelle ces pieux étaient implantés.
M. lè Dr H. Schardt a fait, par un réseau de sondages et de dragages
très serrés, une étude intéressante de cet éboulement sous-lacustre. Il
a constaté que la zone d’arrachement s’étend jusqu’à 100 et 120“ de
la rive ; au-dessous, une légère intermescence, qu’il a suivie juqu’à 100“
de profondeur et a 300“ du rivage, signale l’aire de déjection de l’effondrement.
Les dragages de M. Schardt lui ont permis de reconnaître la
coulée de graviers jusqu’à plus de 500“ de la rive, jusque sur le plafond
du lac qui est à ce point à 105“ de profondeur. ( ’)
P o s t - s c r ip t u m . — Carie des sondages du Léman.
Au moment où se termine l’impression de cette partie de mon livre
consacrée à l’étude du relief du lac, je reçois une épreuve de la carte
hydrographique au 1 : 50 000e, publiée en tirage photo-lithographique
par les soins du bureau topographique fédéral. Je l’ai déjà, annoncée
aux pages 33 et 38, mais après l’avoir étudiée, je dois profiter de l’occasion
qui me reste ouverte, pour remercier le colonel Lochmann de
la publication de cette carte, offerte à tous ceux qui s’intéressent au
lac. C’est une réduction de la grande carte originale au 1 : 25000e
dressée d’après les levers directs. Elle donne tous les détails du relief
qui seront figurés dans les feuilles de l’atlas Siegfried ; mais elle a sur
celles-ci l’avantage- de les présenter sur une seule feuille (de 1.45“ sur
0.70“ ) au lieu d’être découpée en 22 feuilles différentes. Mais ce qui
distingue cette carte et lui donne une supériorité réelle sur toute carte
jusqu’ici publiée, c’est que, conformément à ma proposition (voyez
page 39), elle indique par un point tous les coups de sonde levés par
les hydrographes ; la cote obtenue par le sondage n’est, il est vrai, pas
inscrite, mais la profondeur réelle peut toujours en être déduite par
interpolation entre les courbes isohypses. L’étude du relief sera gran-
(*) H. Schardt. In litt. 2 août 1891.