me paraît cependant qu’il n ’est pas absolument déraisonnable de reprendre
la première théorie de Charpentier, en la modifiant sensiblement
et en l’étendant aux autres pays où l’époque glaciaire a été
constatée. C’est ce que je vais essayer d’exposer rapidement.
Si nous considérons la presqu’île Scandinave, et si nous étudions
la répartition de ses lacs sur le versant oriental, de ses fiords sur le
versant occidental, nous y trouverions facilement les mêmes indices
que dans les Alpes suisses d’un sur ex haussement général du pays,
suivi d’un affaissement qui l’aurait ramené à l’état actuel. Nous pourrions
probablement aussi bien expliquer le creusement des lacs et des
fiords Scandinaves, et en même temps l’époque glaciaire Scandinave
par une surélévation temporaire des Alpes de Norvège; les mêmes
raisonnements que j’applique aux lacs, aux vallées et à 1 époque
glaciaire des Alpes suisses seraient probablement valables pour la
Scandinavie.
La même étude nous amènerait au même résultat pour l’Ecosse et
ses glaciers quaternaires, et peut-être aussi pour l’Amérique du Nord
et son époque glaciaire. Dans ces contrées, il y a à la fois les faits
historiques de la grande extension temporaire des glaciers dans une
époque géologique récente, et les faits géographiques actuels d un riche
développement de lacs et de fiords. Si cette coexistence de deux
ordres de phénomènes qui semblent liés ensemble avait été constatée
uniquement dans ces divers pays, nous n’hésiterions guère à les expliquer
comme nous venons de le faire pour les Alpes. (*)
Mais, si nous généralisons, nous arrivons à une notion nouvelle :
c ’est que dans chacun de ces pays nous aurions la succession identique
de deux phases, surexhaussement des montagnes, puis leur
affaissement. Cette répétition semblable de phénomènes de même
nature, se succédant dans le même ordre, ne serait-elle pas i’indice
m Quant aux glaciers beaucoup moins considérables qui ont apparu pendant
l’époque quaternaire dans les massifs montagneux des Vosges et de l’Auvergne
(et peut-être aussi ceux des Pyrénées), il ne serait pas impossible de les expliquer
par un effet du voisinage des grands glaciers des Alpes suisses. L intense foyer de
froid que devaient occasionner les énormes surfaces glacées des Alpes pouvait bien
abaisser de quelques degrés le climat général de l’Europe occidentale, et faire
descendre la limite des neiges, en dehors même des régions- surexhaussees, de
telle sorte que des glaciers apparussent dans des montagnes qui aujourd’hui n’en
portent plus, ou se développassent considérablement dans des chaînes où ils sont
actuellement très réduits.
d’une loi que l’on pourrait formuler ainsi : A p rè s q u ’u n e c h a în e
de m o n ta g n e s a é té s o u le v é e p a r d e s a c t io n s o r o g é n iq u e s ,
au b o u t d ’u n c e r t a in tem p s e lle s ’a f f a is s e e t r e d e s c e n d à
d e s a l t i tu d e s in f é r ie u r e s .
C’est ici que je fais intervenir une idée d’une haute portée générale
que le professeur A. Heim a énoncée, pour la première fois, à ce que
je crois, dans sa .conférence sur l’histoire du lac de Zurich. (*) Après
avoir exposé la genèse du lac de Zurich, dans un développement qui
s’harmonise fort bien avec ce que j ’ai déduit pour la genèse du Léman,
il continue en ces termes : « Le procès de la formation des lacs comme
acte final de la formation des hautes montagnes semble être très général.
Une compression horizontale de l’écorce te rrestre a amené le
plissement des montagnes et leur poussée en hauteur ; mais, en même
temps que le plissement se développe, la compression latérale diminue
corrélativement. L’excès d’étendue de l’écorce terrestre est absorbé
par les plis des montagnes, et à l’exhaussement des montagnes il succède
un affaissement de la région montagneuse elle-même et de ses
régions avoisinantes, d’où résulte une contrepente dans les vallées
d’érosion déjà formées et l’établissement des lacs. » Ces lignes, dans
le texte original, sont d’une concision admirable ; (2) autant d’idées
que de mots ; j’ai dû déjà les étendre dans ma traduction ; je vais essayer
de les développer comme je les comprends, à ma manière, espérant
que je ne trahirai pas trop les idées de mon ami de Zurich.
Le globe terrestre, dans son refroidissement progressif, subit une
contraction du noyau central ; l’écorce de la terre, déjà refroidie, ne
participe pas à cette contraction thermique et, poür suivre le mouvement
de retrait des couches sous-jacentes, doit se plisser; de là la formation
des plis des montagnes. Une région autrefois plane, qui se plisse
ainsi, a son altitude générale surélevée, et la chaîne des montagnes se
(h Die Geschichte des Zürichsees. Neujahrsblatt der Zürcher Naturf. Gesell-
schaft. 1891, p. 9
(2) Voici les termes mêmes de Heim : « Der Vorgang der Seenbildung als periodischer
Schlussakt der Hochgebirgsbildung an deren Rande scheint allgemeiner
Natur zu sein : horizontale Strauung in der Erdrinde faltete ein Gebirge empor.
Mit der Faltung aber wurde die Strauung mehr und mehr ausgelöst. Das Zuviel
von Erdrinde ist nun absorbirtin der Faltung, und es folgt auf das Empordrängen
ein Nachsinken des ganzen Gebirges und seiner begleitenden Zonen, wodurch die
schon ausgebildeten Thalfurchen rückläufiges Gefälle erhalten und zu Seen werden.
»