ciaire transporte, année moyenne, plus d’alluvion vers la plaine qu’un
torrent de même volume, ou drainant un territoire équivalent en surface
qui ne serait pas occupé par un glacier. Pendant tout l’ete le torrent
glaciaire a son eau troublée par une alluvion impalpable, tandis
que le torrent non glaciaire ne se salit que dans ses crues d’orage. Je
ne puis appuyer cette affirmation sur des chiffres, « mais elle me
semble d’évidence probable. (2) .
Cette masse énorme d’alluvion que charrie un torrent glaciaire vient
en majeure partie de la trituration de la moraine profonde, en partie
aussi de l’usure des murailles de la vallée. Disons d’abord quelques
mots de la première de ces deux actions.
Lorsque l’on étudie l’eau d’un torrent glaciaire, on la voit changer
de teinté d’un jour à l’autre : en hiver elle est parfaitement limpide,.,
en été elle est trouble ; dans cette dernière saison, elle est d autant
plus sale, plus chargée d’alluvion, que le torrent est plus fort et que
son débit d’eau est plus puissant ; il suffit de quelques jours de pluie
ou de grandes chaleurs pour l’amener à son maximum d’opacité; il
suffit de quelques journées de gelée qui arrête la liquéfaction du glacier
pour rendre l’eau presque transparente.
J’ai souvent entendu attribuer le trouble des eaux glaciaires au
mouvement même des glabiers. 11 y a eu un temps où l’on supposait
que les glaciers sont stationnaires en hiver, et ne cheminent plus ,
l’on se fondait sur la limpidité des torrents glaciaires dans cette- saison.
C’est la rm e interprétation parfaitement erronée du phenomene,
le trouble des torrents glaciaires n ’est dû qu’indirectement au mouvement
des glaciers. Voici en quelques mots la vraie explication des
faits. Le mouvement d’écoulement du glacier fait rouler les uns sur
les autres les cailloux de la moraine profonde; il les fait polir et rayer
les roches en place ; par ces frottements il y a production d’une poussière
minérale qui se loge entre les interstices des pierres. Cette trituration
a lieu toute l’année, hiver comme été, car le glacier chemine en
,11 T1 serait bien utile mi’un naturaliste, à. portée de deux torrents de même importance
l’un en territoire glaciaire, l’autre en terrains libres de glaces, pût comparer
la valeur du transport des deux cours d’eau pendant une année entière.pour
ordinaires.
toute saison ; mais en hiver, en l’absence d’un parcours suffisant de
l’eau sous le glacier, ces poussières restent en place et ne sont point
entraînées. Avec les chaleurs estivales, au contraire, le glacier commence
à se liquéfier ; les eaux de fusion tombent sur le lit du glacier
et y constituent le torrent glaciaire ; ces eaux lavent la moraine profonde
et enlèvent les poussières accumulées pendant la saison morte;
à mesure que la production d’eau augmente, l’eau atteint des parties
jusque-là épargnées ; à mesure que le débit du torrent s’accroît, il attaque
et érode davantage les falaises de son lit sous-glaciaire. Les
matériaux de trituration, qui s’étaient emmagasinés dans la moraine
profonde pendant toute l’année, sont pris par le cours de l’eau et
d’autant plus entraînés que le débit du ruisseau est plus puissant.
Les variations journalières et saisonnières du trouble des torrents
glaciaires indiquent donc simplement des variations dans le débit du
torrent et non des variations dans l’activité du glacier. Ce n est pas à
• dire qu’il ne puisse pas y avoir, dans la puissance de transport du to rrent
glaciaire, un ordre supérieur de variation dûe aux modifications
d'activité du glacier, liée aux grandes phases de crue et de décrue du
glacier, transport plus puissant pendant la crue, transport plus faible
pendant la décrue, variation de périodicité beaucoup plus prolongée,
périodicité semi-séculaire. (’) Ces variations mériteraient d’être étudiées
; mais elles ne pourraient l’être que par des observations à très
longue échéance, qui n’ont pas encore été abordées.
A côté d e la trituration des blocs de la moraine profonde roulés les
uns sur les autres par la poussée du glacier ; il y a encore 1 usure dès
murailles de la vallée, l’a b r a s io n de la roche en place. Il y a, en
effet, dans le mécanisme du glacier, tout ce qu’il faut pour produire
une telle érosion : il y a mise en mouvement des pierres de la moraine
profonde qui sont entraînées par la progression lente mais irrésistible
du corps du glacier, et frottées sur les parties saillantes des
roches formant les murailles immobiles du vallon; il y a pression
f énorme des masses de glace superposées ; il y a enfin, et c’est là une
condition essentielle, enlèvement des produits de trituration des sables
et poussières par les torrents sous-glaciaires, qui empêchent l’appareil
de s’encrasser.
(1) F.-Â Forel. Variations périodiques des glaciers des Alpes, Xe rapport. Jahr-
buch des schw. Alpen Clubs, Berne 1890.