pendant laquelle les vallées auraient été excavées jusqu’à de grandes
profondeurs, les Alpes ont dû s’abaisser dans leur ensemble, et subissant
un affaissement de quelque cinq cents ou mille mètres, elles sont
descendues aux altitudes que nous connaissons.
Cet affaissement a-t-il été subit ou prolongé, rapide ou lent ? est-ce
par années, par siècles, ou par milliers d’années qu’il faut en évaluer
la durée? Nous l’ignorons.
Avons-nous des preuves de cet affaissement ? Nous n ’en pouvons
avoir d’autres que celles — et elles ne sont malheureusement pas bien
décisives — que nous avons su ou que nous saurons trouver en faveur
de l’hypothèse du surexhaussement antérieur. S’il y a eu surexhaussement
des Alpes, pour qu’elles soient revenues à l’état actuel, il faut
qu’elles se soient affaissées ultérieurement. Inutile de développer ce
tr u ism e .
Je citerai cependant un fait assez étrange, qui pourrait faire croire
que le mouvement d’affaissement du massif alpin se continuerait
encore de nos jours. Le voici en résumé. Dans les grands débats limno-
logiques qu’a provoqués le procès du Léman, porté de 1877 à 1884 devant
le Tribunal fédéral par les Etats de Vaud, du Valais et de Genève,
il est un seul point dans lequel nous, le parti vaudois, nous ayons été
battus. C’était un détail dans les questions limnimétriques.
S’il est un point de la limnimétrie ancienne du Léman qui ait puissamment
éveillé l’attention des riverains, et sur lequel des documents précis
nous aient été conservés, c’est la hauteur extraordinaire des eaux
en 1816 et 1817. Dans ces années désastreuses, l’inondation a dépassé
des limites qui n ’avaient jusqu’alors pas été atteintes, et qui ne l’ont
pas été depuis. Aussi nombre de marques et repères ont été inscrits
à cette époque sur les rives du lac, indiquant la hauteur maximale des
eaux. Nous les avons trouvés tracés sur les murs du port de Morges,
repères du mur Pache-Martin ; ( ’) nous en avons la hauteur exacte
mesurée par un procédé, assez compliqué mais très précis, par J. Fa-
vre de Rolle ; 0 nous les trouvons figurés sur la curieuse planche
Develey. (3) Nous en savons les cotes en valeur de l’échelle Mestrezat
au creux de Plan qui, après diverses péripéties, a été nivelée en 1880
6) F.-Â. Forel. Limnimétrie du Léman Y, § XXVIII. Bull. S. V. S. N, XVII, 311.
P) Ibid., p. 312.
(s) Voir le fac-similé de cette planche dans les documents publiés par l’Etat de
Vaud, le 3 mars 1882.
par M. Gonin et dont le zéro a été rapporté en hauteur absolue ; ( ‘) en
valeur aussi du limnimètre Nicod-Delqm de Vevey dont nous, avons de
notre mieux évalué la hauteur, jâjj En rapportant tous ces renseignements
au plan d’altitude donné par le nivellement de précision, nous
sommes arrivés à des résultats assez concordants pour que nous pussions
croire connaître à quelques centimètres près, à un ou deux décimètres
tout au moins, la hauteur de ces eaux d’inondation ; nous
avons affirmé qu’elles étaient restées inférieures au repère de la
Pierre du Niton. Voici les cotes de hauteur des eaux obtenues par ces
divers procédés, exprimées en valeur du limnimètre normal du lac
dont le zéro est à 3™ au-dessous du repère de la Pierre du Niton
( Z L ~ R P N — 3m). Je rappelle, comme je l’ai indiqué, page 23, et
comme je l’exposerai plus loin, que nous désignons par les lettres Z L
(Zéro du Léman) l’étiage de la limnimétrie du Léman, conformément
aux propositions faites en 1854 par le colonel F. Rurniér.
Hautes eaux de 1816 1817
Marques du Port de Morges, Pache-Martin Z L + 2.882m Z L + 2.939m
Notes de J. Favre de Rolle 2.897m
Planche Develey - 2.788m 2.861™
Observations Mestrezat, nivellement Gonin 2.807™ 2.880™
Observations Nicod-Delom, repérage F.-A. F . 2.753™ 2.826™
Moyenne Z L 2.807m Z L -f- 2.881™
La moyenne de ces chiffres, rapportée au repère de la Pierre du Niton
(R P N) donne :
Hautes eaux de 1816 R P N H- 0.193™
— — 1817 R P N — 0.119™
Le sommet de la Pierre du Niton étant à un pouce, soit 27mm, au-
dessus du repère, nous pouvions croire que, dans ces deux années, le
bloc erratique du port de Genève n’avait pas été submergé, et devait
être resté découvert de 22e™ en 1816, et de 15cm en 1817.
Aussi grand a été notre étonnement quand, dans la séance du
20 juin 1882, les avocats de l’Etat de Genève ont fait défiler, devant la
délégation et les experts du Tribunal fédéral, une vingtaine de témoins
oculaires, tous vieillards dé quatre-vingts ans environ, tous vaillants
et diserts, le vénérable professeur D. Golladon à leur tête ; tous nous
P) .F.-A. Forel. Limnimétrie du Léman. Ibid. 298.
(2) Ibid. 300.