pour le Rhône à des profondeurs correspondantes au plafond du lac
Léman. Mais passons.
9° Si nous n’adoptons pas l’hypothèse de Rütimeyer, nous devrons
faire écouler notre Rhône pliocène dans la direction du sud-ouest et
le faire passer par la cluse du Vuache ; aucun autre passage ne lui
était ouvert à travers le Jura ou les montagnes au sud de Genève.
Pour arriver à Bellegarde, nous ne lui trouvons, sur les cartes géographiques
et géologiques, d’autre route que Son cours actuel. Je ne vois
pas de raisons pour en aller chercher ailleurs.
Il est cependant un fait intéressant à noter, qui n’est pas une objection
à l’énoncé que je viens de formuler, mais dont nous aurons à
tenir compte. Si nous suivons le cours du Rhône en aval de la ville
de Genève, à 7R™ de distance du lac, sous le village de Vernier, nous
trouvons un rapide du fleuve causé par un seuil de mollasse ; les assises
miocènes, apparentes des deux côtés du ravin sous les alluvions
anciennes, dèscendent jusque sous les eaux du fleuve, et il est évident
qu’une barre de roches en place traverse le lit du Rhône. (‘) Ce seuil
rocheux mollassique n’est du reste pas le seul de son espèce sur le
cours inférieur du fleuve. Sur la belle carte géologique du canton de
Genève qu’a dressée A. Favre, on en voit encore des indices évidents
au-dessous de Peney, vis-à-vis de la Plaine et au moulin de Challex.
Les seuils rocheux que je signale ici sont d’un grand intérêt géologique
; ils sont une preuve indiscutable que si le fleuve a coulé dans ce
même lit, -|jj| et il semble difficile de le faire couler ailleurs — depuis
l’époque miocène il n’a jamais été à un niveau inférieur à ces assises, non
encore érodées aujourd’hui. (2) L’altitude du seuil de Vernier, le plus
élevé ou le plus rapproché du lac, est 364.85™, soit de 8™ au-dessous
(') L’existence de ce seuil rocheux au moulin de Vernier est affirmée par A.
Favre (Rech. géol., I, 90) ; elle m’a été confirmée par M. Th. Turrettini qui, dans
ses intelligentes et fructueuses recherches sur le développement des forces motrices
du Rhône, a dû. étudier spécialement cette localité ; elle résulte enfin du dire
unanime des habitants du village voisin de,Vernier, ainsi que je m’en suis assuré
dans une visite sur les lieux, le 7 mars 1891.
(2) Notons cependant la remarque de M. Léon Du Pasquier qui pourrait peut-
être trouver son application ici : « Là où des barres de roche en place traversent
les rivières, nous avons affaire à des sections épigéniques récentes de la tranchée
fluviale, c’est-à-dire à des points auxquels le cours d’eau, en creusant la terrasse,
n’a pas retrouvé le lit dans lequel il coulait avant le dépôt de l’alluvion. » Alluvions
glaciaires de la Suisse. Archives de Genève, XXVI, 55,1891.)
de la nappe actuelle du Léman, ou de 5.5™ au-dessous du seuil d’allu-
vion moderne du banc de Travers.
10° Résumons les faits jusqu’à présent constatés : Le dernier seuil
rocheux qu’on rencontre dans le lit supérieur du Rhône, dans le haut-
Valais, est à la sortie de la gorge de Môrel, en amont du confluent de
la Massa, à l’altitude 695™. Depuis ce point jusqu’au fond du lac Léman,
la vallée du Rhône valaisan a tous les caractères d’une vallée
autrefois plus profonde, aujourd’hui comblée par l’alluvion ; son plafond
passe à une profondeur à nous inconnue, sous les alluvions modernes.
Nous retrouvons le sol probablement intact de la vallée du
Rhône' primitif à l’extrémité occidentale de la plaine centrale du Léman,
au point où Commence la rampe ascendante du plafond du lac, à
l’altitude 66™. De là, le fond de cette vallée se relève jusqu’au seuil de
Vernier, altitude 364™, recouvert en partie et masqué par les revêtements
superficiels des alluvions glaciaires, lacustres et fluviátiles,
anciennes et modernes. Ces allures irrégulières, cette contrepente en
particulier de la partie occidentale, ne sont pas celles d’une vallée
d’érosion. Si nous tenons à notre hypothèse que le bassin du lac a été
creusé par l’érosion aqueuse, nous devons donc admettre que ce ht,
autrefois en pente continue, a été bouleversé par des soulèvements ou
des affaissements locaux et partiels. C’est le point que nous avons à
étudier maintenant.
B. L’établissement d’une cuvette sur le cours d’une vallée peut être
amené par des faits de variation locale d’altitude, ou bien par le soulèvement
de la partie inférieure du cours, ou bién par l’affaissement de
la partie supérieure. Je ne vois pas de raison a priori qui impose ou
fasse écarter l’une ou l’autre de ces possibilités.
La première de ces deux suppositions, l’établissement d’une digue
ou barrage à l’extrémité terminale des lacs par des soulèvements
locaux, a été proposée par M. Rütimeyer en 1869. H cherchait une
barre arrêtant l’eau dans ses vallées alpines, constituée pour le Léman
par le soulèvement du Jura, pour le lac de Constance par le soulèvement
des massifs éruptifs qui bordent le Jura, pour le lac de Zurich
par les grès des environs de Baden soulevés par le Lägern, pour les
lacs alpins dans les seuils de mollasse ou de nagelfluh placés au lac
de Thoune entre Uttigen et Heimberg, au lac des Quatre-Cantons dans