glacier du Rhin. Tandis que dans les Alpes d’un côté et dans sa partie
transjurane d’autre part, le glacier du Rhône aurait eu une pente re lativement
assez forte, sur la plaine suisse, entre les Alpes et le Jura,
sa pente se serait considérablement réduite ; il aurait formé une mer
stagnante de glaces où la pente serait descendue à 2 ou 3 00/go. Le fait
est-il possible ?
Dans les Alpes actuelles, les glaciers modernes qui ont la plus faible
pente sont ceux d ’Otemma et du Gorner. Le glacier d’Otemma (vallée
de Ragnes), dans sa partie moyenne, à l’altitude de 2900m à peu près,
mesure encore 3 % de pente ; le Gorner, au pied du Gornergrat, sur
une longueur de plus de 3km, a de même 3 % ; le glacier d’Aletsch,
devant la Conoordia-Hütte, dans sa branche qui vient du grand névé
d’Aletsch, à l’altitude de 2880™, a une pente de 4 % i la pente générale
de ce glacier, le moins déclive peut-être de tous les glaciers des
Alpes, est de 6 % . C’est dans sa branche du Finsteraar, que le grand
glacier de l’Aar est le moins incliné ; sur une longueur de 3.5km il a
encore une pente de 5 %. En résumé, dans les glaciers actuels dès
Alpes nous ne trouvons pas de pente superficielle inférieure au 3 %.
Si nous nous transportons au Groenland nous arrivons, il est vrai, à
des inclinaisons plus faibles de la nappe de glace. Jansen, en 1878, a
mesuré au pied de ses nunataks situés à 40km dans l’intérieur de l’inlandsis,
un peu au nord de Frederikshaab, une altitude de 1250“ , ce
qui représente une pente générale de 3 %; (*) Nordenskjôld, dans sa
grande expédition de 1883, est arrivé à 120kn> sur l’inlandsis, dans la
latitude de Christianshaab ; il a atteint la cote d’altitude de 1510m, ce
qui fait une pente de 1.2 %. (2) Nansen, enfin, dans sa traversée
épique du Groenland, en 1888, est arrivé à un point culminant de
2718m d’altitude. (3) Il était alors à 180km de la côte orientale, ce qui
donne une pente moyenne de 1.5 %, et à 270km de la côte occidentale,
pente moyenne de 1 %.
Il est vrai que, dans ces pentes moyennes, il entre pour une large
part la déclivité très forte de l’extrémité terminale des glaciers ; que
dans la partie médiane de l’inlandsis la pente est presque nulle, ou
(*) A.-Ë. Nordenskjôld. La deuxième expédition suédoise, trad. Ch. Rabot. Paris
1888, p. 203.
(*) Ihid, p. 156.
0 Communication de Nansen à la Société de géographie de Berlin, 8 novembre
1890. ’
nulle; que si nous suivons les Lapons de Nordenskjôld, Lars et
Anders, dans leur course d’exploration en ski qui les a fait avancer de
230km plus loin que leur chef, nous ne les voyons arriver q u à une
altitude de 1947“ , d’après leurs lectures du baromètre ; entre la dernière
station de Nordenskjôld et le point extrême atteint par les Lapons
il n’y aurait qu’une pente de 2 °%0 ; que Nansen compare la surface
de l’inlandsis à une calotte de glace de 10 400km de rayon, ce qui donnerait
pour sa partie centrale une nappe absolument horizontale.
Mais les Lapons de Nordenskjôld, aussi bien que Nansen, étaient
parvenus sur le plateau central, sur la ligne de faîte, sur la plaine des
névés qui, en s’étalant, donnent naissance à l’inlandsis. Il y a là des
conditions toutes différentes de celles d’un glacier d’écoulement, et
nous n’avons aucunement le droit de comparer ces régions à pente
nulle avec la mer de glace, glacier et non névé, fleuve de glace et non
faîte d’un plateau de neige, qui devait dans les âges glaciaires s’étendre
entre les Alpes et le Jura. Laissons donc de côté ces régions à pente
nulle de la partie centrale du Groenland, et constatons que dans les
régions côtières abordées par Jansen, Nordenskjôld et Nansen, la
pente superficielle s’élève de 4.2 à 3 »/0, que dans les glaciers actuels
des Alpes les pentes les plus faibles sont de 3 à 6 %.
Si donc nous considérons les cotes actuelles d’altitude des ancien-
nés moraines de Mordes, du Chasseron, etc., nous avons, pour les
glaciers géologiques de la plaine entre les Alpes et le Jura, une pente
au moins trois fois trop faible pour correspondre avec les faits aujourd’hui
connus, une pente si faible (2 à 3 °%o) fiue nous ne pouvons
comprendre l’écoulement de la glace. N’oublions pas, en effet, qu une
pente de 3 °%0 est de très peu supérieure à la pente de la plaine presque
horizontale qui s’étend de Martigny à S ie rre , pente de 2 00/oo-
Mais au contraire, si nous admettons qu’à l’époque glaciaire les Alpes
étaient surexhaussées de quelque 500 à 1000“ , tout s’arrange, tout
s’explique. Le glacier de la plaine suisse aurait eu alors une pente raisonnable,
de 1 % avec un surexhaussement de 500“ , de 1.5 °/0 avec
un surexhaussement de 1000“ . Il y aurait eu là une pente suffisante, et
nous ne serions plus obligé à des subtilités d’interprétation pour comprendre
l’écoulement de ce glacier. Il me paraît donc que l’on peut
tirer des faits observés qui se rapportent à l’époque'glaciaire un argument
fort probant en faveur de notre hypothèse du surexhaussement
post-miocène des Alpes.