Quelle qu’en soit l’interprétation théorique, si les deux classes de
brises, brise lacustre et brise montagnarde, difïèrent par leur origine,
elles sont semblables par leurs allures et leur direction. Dans les brises
de montagne, il y a établissement d’un courant d’air rasant le sol, s’élevant,
pendant le jour, du bas vers le haut de la montagne, remontant
la vallée, courant d’air descendant le long des talus de la montagne
ou de la vallée pendant la nuit. Si, au pied de la montagne, il y a une
plaine, qu’elle soit de te rre ferme ou d’eau, il y a du fait de la montagne
étabüssement d’une brise diurne remontant contre la montagne,
d’une brise nocturne descendant de la montagne sur la plaine.
Le sens et la direction des brises lacustres et des brises de montagne
sont donc les mêmes; là où les conditions le permettent, elles
peuvent donc se surajouter.
Les brises de montagne étant dues uniquement à l’inclinaison du sol,
leur intensité doit être nulle sur une plaine, et maximale sur un talus d’un
certain angle, probablement fort incliné. La terre ferme qui entoure le
Léman présente ces dernières conditions dans la région du Haut-lac,
sur les flancs de La Vaux et des montagnes de Montreux, sur la côte
de Savoie jusqu’à Thonon, peut-être encore, sur les flancs de La Côte
près de Rolle; il est donc probable que dans ces parties l’effet des
brises de montagne peut être dominant. Dans le reste du lac, d’Ou-
chy et Tbonôn à Genève, la déclivité de la te rre ferme au voisinage
du lac est assez faible pour que ce soit l’effet des brises lacustres qui
l’emporte. Les deux sortes de brises soufflant dans les mêmes conditions
et avec la même direction, il est difficile de les différencier par
des caractères spéciaux et de les distinguer d’une manière pratique.
C’est dans ces termes généraux que je crois devoir répondre à la
critique que M. le Dr J. Müller a faite de la question dans la séance du
1er mai 4889 de la Société vaudoise des sciences naturelles et qu’il
a reprise dans son mémoire sur les vents du nord dans la Suisse occidentale,
(2) Il a cru pouvoir nous démontrer, à coups de statistique météorologique,
que nous faisions erreur dans l’interprétation des faits
de notre lac; il s’est refusé à admettre l’existence de brises lacustres
sur les bords du lac Léman, et il n’y a voulu voir que des brises de
(*) Bull. S. V. S. N. XXV, xxi, 1890. Arch, de Genève, XXI, 548, 1889.
(2) Annalen der schweiz. meteorolog. Central-Anstalt, XXV, suppl. 5, année 1888*
montagne. Je reviendrai sur ce sujet quand j ’aurai décrit les brises du
Léman.
Voici les formes de brises que je connais sur notre lac :
1° Brises de périodicité journalière. Dans la période des
vingt-quatre heures, nous avons les deux brises classiques des côtes
de la mer ou des lacs, la brise de te rre et la brise du lac.
I. La b r i s e de t e r r e est connue sous le nom de m o r g e t , (D
avec le diminutif de m o r g e a s s o n lorsqu’elle est faible. Elle est la
plus fréquente et la mieux caractérisée, sous forme d’un vent du nord,
sur la côte vaudoise entre Oucby et Rolle et plus spécialement entre
St-Sulpice et St-Prex, mieux encore dans le golfe de Morges ; elle est
sensible aussi sur d’autres parties du lac, dans la Grande-Conche, où
elle souffle du sud, devant la plaine du Rhône où elle vient du sud-
est', dans le golfe du Cully où elle descend des monts de La Vaux.
Le morget souffle régulièrement, en temps de calme général de l’atmosphère,
depuis 5, 6 ou 7 heures du soir jusqu’à 7, 8 ou 9 heures du
matin, ou, mieux dit, depuis le coucher du soleil jusqu’au milieu de
la matinée. Son intensité va en décroissant depuis son début jusqu’à
sa terminaison. C’est une brise fraîche qui peut aller jusqu’à la formation
de moutons.
L’ancienne théorie des brises lacustres voulait que la brise de terre
de la période journalière soit causée par une aspiration de l’air sur la
nappe du lac, plus chaude que la te rre déjà refroidie ; l’air s’élèverait
sur l’eau et attirerait, par appel de toutes parts, les couches inférieures
; la perturbation aurait, dans ce cas, heu sur le lac, et, si cela
était vrai, le courant d’air devrait débuter sur le domaine des eaux. La
théorie de Hann, que nous avons exposée, cherche au contraire la
(1) Ge nom de m orget vient-il de la ville de Morges où ce vent est à son maximum
d’intensité ? Vient-il du verbe patois s ’emmourg e r , partir sous voile
du port ? S’emmourger vient-il de morget ? Je suis disposé à répondre affirmatif
vement à la première et à la troisième de ces questions, négativement à la seconde
— demandant toutefois à être dispensé de justifier ces préférences étymologiques.
— Le terme de mo r g e t , comme aussi celui de rebat que nous allons
rencontrer, sont commodes et plus expressifs que les formules banales de brise de
terre ou brise' du lac. Témoin le récit du batelier vaudois qui revenait de faire le
tour du monde : « On é t a it par le travers du RiodelaPlata; on sor ta i t du port
de Buénos-Ayres ; il soufflait un joli pe t i t morget......