connaissances humaines actuelles. Or, il n ’existe plus dé ces
philosophes des siècles passés qui dominaient toute la science
de leur temps ; ils ont disparu dans notre ère de spécialisation
à outrance. Devons-nous pour cela renoncer à faire de la géographie,
à résumer dans une généralisation les faits de détail
collectés par l’observation, à chercher l’explication et la théoriè
des phénomènes? Evidemment non; mais l’oeuvre nous est plus
difficile que jamais. Dans le volume que je publie aujourd’hui,
j ’ai dû faire de la géographie, quoique n ’étant pas géographe,
de la géologie, quoique n ’étant pas géologue, de la climatologie,
quoique n ’étant pas météorologiste, de l’hydrographie, de l’hydrologie,
quoique n ’étant ni ingénieur ni technicien. Dans les
volumes qui suivront, je devrais, pour être à la hauteur de ma
tâche, me transformer successivement en un physicien, en un
chimiste, un zoologiste, un botaniste, un archéologue, un historien,
un économiste. Je vais avoir à présenter des études tra itant
successivement de toutes ces sciences â la critique de spécialistes...
Que cette critique soit indulgente à l’auteur qui reconnaît
son insuffisance sur tous les peints, mais qui plaide les
circonstances atténuantes en invoquant le but qu’il a eu devant
les yeux. Il a aspiré à faire oeuvre utile. Les anciennes descriptions
du Léman nous ont servi chaque jour dans notre Carrière
de naturaliste; peut-être la nôtre aura-t-elle aussi son intérêt.
L histoire naturelle n ’est que la collection se renouvelant sans
cesse des travaux des générations qui se succèdent; le tableau
d’ensemble des faits que nous avons réunis, nos prédécesseurs,
nos contemporains, nos collaborateurs et nous-même, devait
être établi ; il sera, nous osons l’espérer, commode pour ceux qui
continueront après nous à étudier le même champ. Malgré la
témérité de l’entreprise, nous avons tenté d’apporter notre
pierre à la construction de cet édifice qui s’appelle l’histoire
physique et naturelle du lac Léman.
La seconde difficulté dans la composition de notre monographie
a été la diversité des lecteurs auxquels nous devons
nous adresser. Les choses du lac intéressent le public scientifique;
nombre de faits de physique générale, d ’histoire naturelle,
de géographie du Léman appartiennent à la science et
doivent être résumés pour les physiciens et naturalistes de profession.
— Les choses du lac intéressent l’homme instruit qui
veut avoir l’explication des faits de la nature qui l’intriguent
ou qu’il admire. — Les choses du lac intéressent les riverains,
pour lesquels la vaste masse d ’eau du Léman est un océan qui
intervient dans tous les incidents de la vie individuelle ou
sociale. — Les choses du lac intéressent le batelier ou le
pêcheur qui vit sur le lac, qui vit du lac, et qui réclame des
notions et instructions précises sur les éléments de son industrie.
Or il n ’eût pas été possible d’avoir quatre ou cinq éditions
différentes d ’une monographie du Léman, chacune d’elle tra itant
les mêmes faits au point de vue spécial d ’un public restre
in t; nous serons donc obligé de combiner dans nos descriptions
tous les intérêts auxquels il nous faut satisfaire, et nous devrons
donner en même temps aussi bien les faits et théories qui
s’adressent à l’homme de science que les détails pratiques qui
répondent aux questions d’un batelier du lac. Il en résultera une
inégalité fâcheuse dans le degré des notions exposées successivement
dans nos divers chapitres ; qu’elle nous soit pardonnée
par ceux qu’elle choquera. Que nos collègues les naturalistes et
les physiciens excusent les explications qui leur paraîtront trop
triviales ou trop banales; elles ne s’adressent pas à eux. Que
nos collègues les riverains, les bateliers et les pêcheurs excusent
les dissertations qui leur paraîtront trop scientifiques ou
trop obscures ; elles ne s’adressent pas à eux. Que les uns et les
autres les passent dans leur lecture et qu’ils les laissent à ceux
que cela pourra intéresser. Nous ne pouvons avoir la prétention
de satisfaire en même temps à des besoins si différents ; si
chacun de ceux auxquels nous pensons arrive à trouver dans ce
livre quelques faits, quelques explications qui répondent à
ses questions personnelles, nous nous estimerons heureux
d ’avoir atteint notre but.